Terralaboris asbl

Assurance soins de santé et indemnités : notion de travailleur régulier

Commentaire de C. trav. Liège, 18 décembre 2009, R.G. 36.268/09

Mis en ligne le mercredi 14 avril 2010


Cour du travail de Liège, 18 décembre 2009, R.G. 36.268/09

TERRA LABORIS ASBL – Mireille JOURDAN

Dans un arrêt du 18 décembre 2009, la Cour du travail de Liège, devant définir la notion de travailleur régulier en matière de soins de santé et indemnités, précise qu’il faut faire une lecture cohérente des articles 93 et 93bis de la loi coordonnée ainsi que de l’article 224 de son arrêté royal d’exécution.

Les faits

Une nettoyeuse occupée au service d’une commune est victime d’un accident du travail le 14 février 1996, suite auquel elle subit une période d’incapacité de travail totale jusqu’au 31 mars 1997. Une reprise à temps partiel (25%) est tentée du 1er avril au 31 août 1997. Une rechute en accident du travail intervient cependant le 28 août et elle est de nouveau en incapacité temporaire totale jusqu’au 31 mai 1998, date de la consolidation avec un taux de 20%.

Il n’y a cependant pas de reprise du travail mais indemnisation à partir du 1er juillet 1998 par l’organisme assureur ANMC, dans le cadre de l’assurance soins de santé et indemnités. Le taux des indemnités est calculé sur la base du taux pour travailleur régulier.

Suite à un changement d’organisme assureur, l’intéressée est reprise avec les mêmes conditions, par l’UNMN, à partir du 1er juillet 2000.

Un contrôle administratif de l’I.N.A.M.I. fait apparaître diverses irrégularités dans le dossier, en date du 27 août 2002, mais l’indemnisation se poursuit, comme précédemment, jusqu’en novembre 2003.

L’UNMN va prendre ultérieurement non moins de six décisions rectificatives, décisions qui seront toutes contestées devant le Tribunal du travail. Elle réclame, en conséquence, un indu d’un montant de l’ordre de 12.000 €.

La procédure

Un premier jugement est rendu par le Tribunal du travail de Liège, qui conclut à l’absence d’obligation de remboursement vis-à-vis du premier organisme assureur. Il considère, cependant, que l’intéressée avait la qualité de travailleur régulier au sens de l’article 224 de l’arrêté royal du 3 juillet 1996 (portant exécution de la loi coordonnée du 14 juillet 1994). Le Tribunal se fonde sur le fait que la date de début de l’incapacité de travail correspond à l’indemnisation en assurance maladie, étant le 1er juillet 1998. En conséquence, les prestations à prendre en compte (prestations effectives ou assimilées de l’année civile antérieure) sont celles de l’année 1997. Il constate qu’il y a dès lors lieu de revoir toutes les décisions fondées sur une indemnisation en qualité de travailleur non régulier et ordonne une réouverture des débats.

Le Tribunal constate par ailleurs qu’il y a eu des cumuls prohibés, et ce vu le calcul erroné de la rente d’accident du travail, et que ces cumuls sont également à la base des décisions litigieuses de récupération. Sur cette question, il applique l’article 17, alinéa 2 de la Charte de l’assuré social, étant qu’il n’y aura pas d’effet rétroactif, l’indu résultant manifestement d’une erreur de l’institution de sécurité sociale.

Position des parties devant la Cour

L’UNMN considère que ce n’est pas l’année 1996 qu’il y a lieu de retenir mais l’année 1997, la date de début de l’incapacité au sens légal étant non la date du début de l’indemnisation par la mutuelle mais celle de la rechute en accident du travail. Pour la mutuelle, il faut prendre en compte l’incapacité de travail indemnisée par l’assureur-loi.

En ce qui concerne l’application de la Charte de l’assuré social, elle fait valoir qu’elle s’est fondée sur les informations qui lui avaient été données par le précédent organisme assureur.

Quant à l’intéressée, elle demande confirmation du jugement et plaide également pour l’absence de rétroactivité de remboursement de l’indu.

Position de la Cour

La Cour commence par énoncer que la notion de travailleur régulier a une incidence considérable sur le montant de l’indemnisation de l’assuré social titulaire des indemnités. Selon que le travailleur invalide revêt en effet cette qualité ou non, son taux d’indemnisation varie de 60% au moins ou 40% au moins. S’il n’a pas la qualité de travailleur régulier, le taux sera réduit sans cependant pouvoir être inférieur au montant du revenu d’intégration sociale de sa catégorie.

La notion de travailleur régulier est visée à l’article 93, alinéa 7 de la loi et la notion de travailleur non régulier à l’article 93bis. Les deux dispositions confient au Roi le soin de déterminer ce qu’il y a lieu d’entendre par l’une et l’autre notion.

C’est ainsi que l’article 224, §1er de l’arrêté royal du 3 juillet 1996 énonce les diverses conditions qui doivent être réunies. C’est cette disposition qui est litigieuse. Il s’agit plus particulièrement de l’article 224, §1er, 2°, alinéas 1er, 2 et 6, qui implique que le travailleur régulier totalise, au cours de la période prenant cours à la date à laquelle il est devenu titulaire et expirant la veille du début de son incapacité de travail, un nombre requis de jours de travail ou assimilés. S’il a qualité de titulaire des indemnités depuis le 1er janvier de l’année civile qui précède celle au cours de laquelle a débuté l’incapacité de travail, la période de référence est cependant limitée à cette année civile. Enfin, par dérogation à ceci, certains types de travailleurs (travailleurs saisonniers, travailleurs intermittents ou travailleurs à temps partiel) doivent totaliser au cours de la période de référence un nombre d’heures de travail déterminé.

La Cour relève que, en application des dispositions ci-dessus, la hauteur de l’indemnisation est indirectement liée au montant des cotisations payées en raison des prestations de travail effectuées ou des journées assimilées. Le seuil à partir duquel le législateur a considéré que la qualité de travailleur régulier était réunie est de trois quarts des jours ouvrables de la période envisagée, alors que pour les travailleurs à temps partiel elle est de 18 heures par semaine ou des trois quarts du nombre d’heures de travail accomplies pendant la période de référence.

La Cour juge, ensuite – et sur avis contraire du ministère public – que, dans la mesure où la qualité de travailleur régulier conditionne directement le montant de l’indemnisation, il faut faire une lecture cohérente de l’ensemble de ces dispositions, ce qui aboutit à considérer que cette qualité doit être appréciée au début de l’indemnisation de ladite incapacité, et ce même si l’article 224 de l’arrêté royal ne le prévoit pas expressément.

La Cour précise que la délégation qui a été donnée au Roi a précisément pour objet de définir les conditions de prestations (ou journées d’assimilation pendant une période de référence précédant le début de l’incapacité) à partir desquelles l’indemnisation sera calculée, et ce en fonction d’un pourcentage de la rémunération perdue ou – au contraire – à concurrence d’un minimum correspondant au revenu d’intégration sociale de la catégorie à laquelle le bénéficiaire appartient.

L’organisme assureur ne pouvait dès lors considérer que cette date était celle de la rechute en accident du travail, dans la mesure encore où l’article 224, §1er, 2°, alinéa 1er de l’arrêté royal renvoie à l’article 128 de la loi coordonnée, lequel renvoie encore à l’article 223 de l’arrêté royal, selon lequel sont assimilés à des journées de travail les jours d’inactivité résultant d’un accident du travail, et ceux pour lesquels il y a bénéfice de prestations d’incapacité temporaire totale de travail en vertu de la loi du 10 avril 1971.

La Cour relève encore que l’organisme assureur considère comme début de l’incapacité de travail la date du 28 août 1997. Or, celle-ci correspond au début d’une nouvelle incapacité temporaire totale de travail après une période de tentative de reprise partielle. Il ne s’agit pas pour la Cour d’une nouvelle incapacité de travail mais d’une rechute de l’accident du travail. Elle précise encore que, s’il fallait suivre la thèse de l’organisme assureur, c’est au début de l’incapacité de travail consécutive à l’accident du travail, étant le 14 février 1996, qu’il faudrait se situer et, dès lors, prendre comme référence l’année 1995 ! Pour la Cour, ceci démontre paradoxalement le caractère artificiel du raisonnement de l’organisme assureur, thèse qui aurait pour effet de faire dépendre le taux d’indemnisation d’une incapacité de travail entamée le 1er juillet 1998 de prestations effectuées (ou de journées assimilées) accomplies plus de trois ans auparavant…

Enfin, sur la question de la non-rétroactivité, consécutive à l’application de l’article 17 de la Charte de l’assuré social, la Cour relève que les innombrables rectifications effectuées par l’UNMN sont le fruit d’autant d’erreurs émaillant les calculs successifs de l’indemnisation de l’intéressée et que celles-ci sont entièrement imputables à l’institution de sécurité sociale. Pour la Cour, une nettoyeuse de profession n’aurait en aucun cas pu se rendre compte que sa rente d’accident du travail n’avait pas été calculée correctement et qu’il y avait cumul prohibé avec les indemnités d’invalidité qu’elle percevait. En outre, les controverses autour de la notion de travailleur régulier dépassaient largement la compréhension d’un assuré social moyen.

Intérêt de la décision

Cette décision, très fouillée, énonce un principe clair, en ce qui concerne la définition du travailleur régulier, étant que l’incapacité de travail à prendre en compte est celle pour laquelle l’intéressé est à charge de l’organisme assureur. Tel ne peut pas être le cas d’une rechute indemnisée dans le cadre du régime de réparation des accidents du travail.

L’intérêt de la décision réside encore dans les considérations faites par la Cour sur l’impossibilité pour l’assuré social « moyen » de voir clair dans une telle situation, particulièrement complexe sur le plan juridique.


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