Terralaboris asbl

Absence de pouvoir de substitution du juge en cas d’annulation de sanction administrative

Commentaire de C. trav. Mons, 1er avril 2009, R.G. 21.177

Mis en ligne le jeudi 28 janvier 2010


Cour du travail de Mons, 1er avril 2009, R.G. n° 21.177

TERRA LABORIS ASBL – Sophie Remouchamps

Dans un arrêt du 1e avril 2009, la Cour du travail de Mons, appelée à se prononcer sur l’étendue des pouvoirs de substitution du juge en cas d’annulation de la sanction administrative pour défaut de motivation, a été amenée à faire un complet rappel de la jurisprudence rendue en la matière. Elle relève que, lorsqu’il y a annulation de la sanction administrative, le juge ne peut substituer une nouvelle sanction à celle annulée.

Rétroactes

Madame P. se voit notifier, par courrier recommandé du 12 mai 1995, une décision de l’ONEm, l’excluant du droit aux allocations de chômage au taux de « travailleur ayant charge de famille » du 1er janvier au 31 novembre 1994. Elle n’est admise, pour cette période, qu’au taux attribué aux travailleurs cohabitants. Par la même décision, l’ONEm décide de récupérer les allocations perçues (différence entre les codes) pendant cette période. Enfin, la décision l’exclut du bénéfice des allocations de chômage à partir du 1er mai 1995, et ce pour une durée de 20 semaines. Cette exclusion est fondée sur l’article 153 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 (omission de déclaration ou déclaration inexacte).

Cette décision est fondée sur le fait que l’intéressée aurait cohabité pendant la période litigieuse.

Madame P. conteste cette décision devant le tribunal du travail, qui, par un premier jugement du 14 septembre 2007, confirme la décision administrative dans son principe (la vie sous le même toit étant établie par l’ONEm, Madame P. échouant à prouver l’absence de règlement en commun des principales questions ménagères). Par un second jugement du 9 mai 2008, le tribunal se prononce sur la sanction, la hauteur de celle-ci (20 semaines) n’étant pas motivée au sens de la loi du 29 juillet 1991 et ce point ayant fait l’objet d’une réouverture des débats. Le tribunal estime qu’il peut substituer son appréciation à celle de l’ONEm et prononcer une nouvelle sanction, et ce après avoir annulé la sanction pour défaut de motivation formelle. Il fixe dès lors une nouvelle sanction de 15 semaines, prenant cours le 1er mai 1995.

Par ailleurs, il statue, par même jugement, sur la demande reconventionnelle de l’ONEm, tendant à obtenir le remboursement des allocations de chômage indument perçues.

L’appel

Appel est interjeté du second jugement par l’auditorat du travail de Tournai, qui reproche au premier juge d’avoir estimé pouvoir substituer son appréciation à celle de l’ONEm alors qu’il y a eu annulation de la sanction administrative. Selon l’auditorat du travail, dès lors qu’il y a annulation du quantum de la sanction pour défaut de motivation, la sanction elle-même disparaît. En conséquence, le juge n’a pas à porter son appréciation sur l’opportunité d’infliger ou non une sanction à l’intéressée.

L’ONEm plaide dans le sens du pouvoir du juge de substituer son appréciation à celle de l’administration dès lors que l’annulation ne porterait que sur la hauteur de la sanction. Selon lui, il y aurait dès lors annulation non pas de la sanction en elle-même (principe) mais de la hauteur de celle-ci. Il y aurait donc matière à appréciation propre par le juge.

L’ONEm conteste par ailleurs la recevabilité de l’appel introduit par l’auditeur, sans cependant développer de moyen spécifique à cet égard.

La position de la Cour

La Cour se penche tout t’abord sur la recevabilité de l’appel introduit par l’auditorat du travail. En substance, elle rappelle que dès lors que le contentieux « chômage » est tel que visé par l’article 580, 2° du Code judiciaire et mentionné dans l’article 1052 du Code judiciaire, qui autorise l’auditorat du travail à interjeter appel, l’appel doit être déclaré recevable, pour autant qu’il soit notifié dans les délais. La Cour du travail rappelle ainsi qu’elle n’a pas à vérifier si l’ordre public exigeait l’intervention de l’auditorat, seul le constat que la matière dont appel est effectivement visée par l’article 1052 du Code judiciaire est suffisant.

Sur le fond, la Cour est appelée à se prononcer sur l’étendue des pouvoirs du juge en cas d’annulation des sanctions administratives.

La Cour du travail fait au préalable un important rappel de la jurisprudence et de la doctrine sur la question.

Elle souligne ainsi notamment que le pouvoir du juge dépend de l’existence d’un pouvoir discrétionnaire ou lié dans le chef de l’administration, étant entendu qu’en cas de pouvoir lié, le juge exerce un contrôle de pleine juridiction, tandis qu’en cas de pouvoir discrétionnaire, il ne peut qu’opérer un contrôle marginal, c’est-à-dire qu’il peut annuler une décision administrative illégale mais non se substituer à l’administration pour prendre, à sa place, une nouvelle décision ou encore modifier la qualification factuelle retenue par l’administration.

Elle rappelle par ailleurs qu’il y a pouvoir lié dans le chef de l’administration dès lors qu’il existe un droit subjectif pour l’administré.

Elle relève encore que les décisions prises par l’ONEm peuvent être classées en trois catégories distinctes :

  1. celles relatives aux conditions d’admissibilité au chômage, pour lesquelles il y a contrôle de pleine juridiction ;
  2. celles relatives aux conditions d’octroi des allocations, pour lesquelles dans une grande majorité, il y a contrôle de pleine juridiction (seules sont exclues les causes d’exclusion relatives au comportement du chômeur) ;
  3. celles appliquant des sanctions administratives au sens strict.

En ce qui concerne cette dernière catégorie, la Cour passe en revue les arrêts prononcés par la Cour de cassation.

La Cour rappelle ainsi différents arrêts de la Cour de cassation quant au pouvoir du juge de revoir une sanction (non annulée) prise par le bureau de chômage. Dans ses arrêts, la Cour de cassation confirme l’existence du pouvoir de substitution des juridictions du travail, permettant de remplacer la sanction prise par l’ONEm par une autre sanction, ceci s’appliquant également à la question du remplacement d’une sanction d’exclusion par un avertissement.

Elle rappelle ensuite la jurisprudence de la Cour de cassation quant à l’annulation de la décision infligeant une sanction. Dans ce cas d’annulation, la Cour de cassation estime que le juge ne peut se substituer à l’administration pour prononcer une nouvelle sanction. Appliquant ces principes, la Cour du travail considère en conséquence que, dès lors qu’il y a lieu à annulation de la sanction administrative, notamment lorsque sa hauteur n’est pas motivée formellement, le juge ne dispose d’aucun pouvoir de substitution. Elle confirme ainsi qu’il n’y a pas lieu de faire de différence entre le principe de la sanction et sa hauteur, l’annulation portant sur le tout.

En cas d’annulation de la sanction administrative, les juridictions du travail épuisent leur pouvoir de juridiction et ne peuvent infliger une nouvelle sanction en remplacement de celle prononcée par le bureau de chômage qui a été annulée.

La Cour réforme en conséquence le jugement, qui avait limité l’annulation à la seule hauteur de la sanction et confirme dès lors que la décision administrative doit être annulée en ce qu’elle comporte une sanction administrative.

Intérêt de la décision

Cette décision est très intéressante sur le plan des principes, dès lors qu’elle contient un rappel complet des arrêts rendus par la Cour de cassation concernant les pouvoirs du juge dans le contentieux chômage (pleine juridiction ou contrôle marginal).

En résume, en ce qui concerne les pouvoirs du juge sur les sanctions administratives, il y a lieu de distinguer selon que la sanction est annulée (par exemple pour défaut de motivation de la hauteur de la sanction ou encore pour incompétence de l’auteur de l’acte) ou qu’elle n’est pas annulée (et donc subsiste). Dans ce dernier cas, le juge exerce un contrôle de pleine juridiction, substituant son appréciation à celle du directeur du bureau de chômage. En conséquence, il peut réduire la sanction ou lui substituer un avertissement.

Par contre, dès lors qu’il y a annulation de la sanction, ce qui est le cas lorsque le juge constate que la hauteur de la sanction n’est pas motivée formellement, le juge n’a pas le pouvoir de prononcer une nouvelle sanction. La sanction disparaissant du fait de l’annulation, il n’y a pas matière à se substituer pour l’appréciation de la hauteur de celle-ci. Aussi, en cas d’annulation, le juge ne peut-il prononcer une nouvelle sanction.

Le rappel présente un intérêt non négligeable, dès lors que cette question est régulièrement débattue devant les juridictions du travail.


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