Terralaboris asbl

Licenciement après une demande de congé parental : la preuve du motif suffisant

Commentaire de Trib. trav. Mons, sect. La Louvière, 23 octobre 2009, R.G. 06/13.402/A

Mis en ligne le mardi 29 décembre 2009


Tribunal du travail de Mons, Section de La Louvière, 23 octobre 2009, R.G n° 06/13.402/A

TERRA LABORIS ASBL – Sandra Cala

Dans un jugement du 23 octobre 2009, le tribunal du travail de Mons examine si la preuve d’un motif suffisant est rapportée par l’employeur, vu le licenciement après une demande de congé parental. Le tribunal confirme que la preuve du motif incombe à l’employeur et, en l’espèce, rejette les éléments produits (attestations), relevant qu’aucun commentaire écrit n’a été adressé à la travailleuse avant sa demande.

Les faits

Madame T. est occupée comme opticienne par un magasin d’optique depuis le 1er mars 1995. Dans le courant du mois de janvier 2006, elle sollicite le bénéfice d’un congé parental, qui prendrait cours le 1er avril. Le 18 janvier 2006, l’employeur signe la demande d’allocation d’interruption de carrière, laquelle est acceptée par courrier du 20 janvier 2006.

A peine un mois plus tard, l’employeur licencie Madame T. moyennant paiement d’une indemnité compensatoire de préavis de trois mois (lettre remise de la main à la main le 24 février 2006).

La lettre de licenciement n’est pas motivée, non plus que le formulaire C4.

Interpellé sur le motif du licenciement, l’employeur fera valoir, ultérieurement à celui-ci (courrier du 3 avril 2006), que l’intéressée bouleversait l’ambiance du travail par son comportement et son esprit belliqueux, comportement qui aurait fait l’objet de plaintes de la part d’autres travailleurs. Est pointé le fait que l’intéressée pousserait les travailleurs à contester la direction en réclamant certains avantages.

Madame T. introduit, auprès du tribunal du travail de Mons, section de La Louvière, une demande visant la correction de l’indemnité compensatoire de préavis, de même qu’une indemnité forfaitaire de six mois de rémunération, eu égard au licenciement intervenant pendant la période de protection suite à la demande du congé parental.

La position des parties

Le complément d’indemnité compensatoire de préavis n’est pas contesté.

En ce qui concerne l’indemnité de protection, la travailleuse soulève l’absence de preuve du motif suffisant, dès lors que l’employeur se repose sur ses propres affirmations ainsi que sur deux témoignages, dont la valeur probante doit être fortement relativisée. L’employeur a en effet déposé une attestation du responsable du magasin, de même que celle d’une travailleuse, toujours en service et donc sur laquelle l’autorité est toujours exercée par lui. La travailleuse souligne encore que les attestations sont similaires du point de vue de la forme (traitement de texte).

Elle invoque également le fait que son comportement n’avait jamais fait l’objet de critiques avant le licenciement tandis que celui-ci est intervenu à bref intervalle à partir de la demande de congé parental.

L’employeur se fonde quant à lui sur les attestations déposées à son dossier, relevant des éléments vagues. Il demande, par ailleurs, à pouvoir prouver par toutes voies de droit que le comportement de l’intéressée, tant vis-à-vis des collègues de travail que de la clientèle ou de la hiérarchie constituait un motif suffisant pour justifier son licenciement. L’un des faits côtés de preuve vise le fait qu’elle faisait régner une tension insupportable dans le magasin en médisant de la direction et démoralisant l’autre employée.

Enfin, l’employeur avance que c’est à la travailleuse de prouver l’absence d’un motif suffisant.

La position du Tribunal

Le tribunal rappelle que la preuve d’un motif suffisant incombe à l’employeur. Rappelant la jurisprudence de la Cour du travail de Mons sur le sujet (16 déc. 2008, R.G. 20.913), le tribunal relève que les motifs liés au comportement sont difficilement admis comme étant des motifs suffisants. Le tribunal se fonde sur le fait que l’employeur n’a jamais adressé de remarques écrites à la travailleuse avant sa demande de congé parental et alors même qu’il soutient que son comportement laisserait à désirer depuis plusieurs mois.

Ceci jette la suspicion sur le motif du licenciement, et ce d’autant plus que le licenciement intervient alors qu’aucune remarque écrite n’a jamais été formulée.

Quant aux attestations produites, le tribunal estime qu’elles ne peuvent être retenues, eu égard à leur caractère tardif et au fait que l’une émane d’un travailleur ayant un poste à responsabilité tandis que le second est toujours sous un lien d’autorité. Le rejet des attestations est également fondé sur le fait que les faits à charge de la travailleuse ne sont pas suffisamment précis.

Le tribunal fait donc droit à la demande d’indemnité forfaitaire.

Sur la question des intérêts, réclamés sur le brut par la travailleuse, le tribunal applique la loi réparatrice du 8 juin 2008, de même que la jurisprudence antérieure de sorte que les intérêts sont attribués sur le brut à dater de l’entrée en vigueur de l’arrêté royal du 3 juillet 2005 (1er juillet 2005) en ce qui concerne l’indemnité compensatoire de préavis et de l’acte valant sommation pour ce qui est de l’indemnité forfaitaire de protection.

Quant à la nature de l’indemnité de protection allouée, le tribunal estime qu’elle couvre à la fois un dommage matériel et un dommage moral, de sorte qu’il n’y a pas lieu à retenue de sécurité sociale mais qu’il s’agit cependant d’une indemnité imposable sur la base de l’article 21, alinéa 2, 3° du Code d’impôts sur les revenus.

Intérêt de la décision

L’intérêt de la décision réside dans l’examen de la preuve des faits allégués par l’employeur, eu égard à la circonstance qu’aucune remarque écrite n’a été adressée à l’intéressée pendant l’exécution du contrat de travail : dès lors que l’exécution du contrat de travail ne confirme en aucune manière les griefs qui sont faits (postérieurement) par l’employeur, la preuve de ceux-ci ne peut être établie par la simple production d’attestations déposées dans le cadre de la procédure.


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