Terralaboris asbl

Ecartement d’une infirmière enceinte travaillant en MRS même si le risque de transmission du cytomégalovirus est faible

Commentaire de C. trav. Liège, 25 juin 2009, R.G. 33.578/2005

Mis en ligne le jeudi 10 décembre 2009


Cour du travail de Liège, 25 juin 2009, R.G. n° 33.578/2005

TERRA LABORIS ASBL – Mireille Jourdan

Dans un arrêt du 25 juin 2009, la Cour du travail de Liège rappelle, conformément à une jurisprudence actuellement répandue que, même si le risque de transmission du cytomégalovirus est faible, il y a lieu d’écarter une infirmière enceinte prestant dans une MRS.

Les faits

Une infirmière prestant en maison de repos et de soins dépendant d’une association intercommunale est écartée de son activité professionnelle par le médecin du travail au motif qu’elle ne peut travailler dans les locaux où existe un risque de maladies infectieuses. Le Fonds des maladies professionnelles, saisi d’une demande de paiement du complément aux indemnités AMI, refuse la reconnaissance du risque au motif de l’absence de raisons médicales suffisantes pour justifier un arrêt temporaire de la fonction.

La procédure judiciaire

Le tribunal du travail ordonne une expertise. L’expert y relève que les risques visés sont les risques d’infection par le cytomégalovirus et le virus de l’hépatite B. L’intéressée possède des anticorps contre ceux-ci, démontrant que ces risques sont nuls. Il constate par ailleurs que le travail de l’infirmière n’entraîne pas de risque accru contre les autres agents infectieux. En conséquence, l’exercice de l’activité professionnelle n’avait pas, selon lui, pour effet d’exposer la travailleuse au risque de contracter une maladie reprise à la liste des maladies professionnelles incompatible avec l’état de grossesse. C’est sur la base du bilan immunologique que cette conclusion est faite.

Le tribunal s’écarte du rapport, par une triple motivation. Il considère, en effet, que dans le secteur public il n’est pas légalement requis que l’exposition à l’influence nocive soit nettement plus grande que celle subie par la population en général, condition exigée dans le secteur privé. Le système mis en place par le législateur est ainsi moins restrictif. Ensuite, il rappelle que le système de la double liste utilisé dans l’arrêté royal du 28 mars 1969 ne fait pas de distinction entre le type de personnel selon les institutions de soins dans lesquels il travaille, exigeant pour certains et non pour les autres un bilan immunologique, et ce en suivant des critères internes décidés par le Fonds en contravention avec les dispositions légales, qui ne font aucune distinction. Enfin, le tribunal fait grief à l’expert judiciaire de ne pas avoir rencontré les hypothèses liées aux autres risques, notamment l’hépatite A et la tuberculose, l’exposition aux risques étant pourtant bien réelle.

L’appel

Le Fonds des maladies professionnelles considère essentiellement que certaines affections dont le cytomégalovirus et la toxoplasmose ne peuvent se contracter dans des maisons de repos et qu’il y a lieu de tenir compte de l’immunisation pour justifier ou non l’écartement.

La position de la Cour

La Cour rend un premier arrêt le 28 juin 2006, ordonnant une nouvelle expertise judiciaire. L’expert va conclure à l’absence de risques accrus, considérant que les activités professionnelles exercées n’ont pas pour effet d’exposer l’infirmière de manière spécifique au risque de contracter des maladies professionnelles indemnisables incompatibles avec l’état de grossesse. Il se fonde sur le dossier médical, dont le bilan immunologique.

Dans son arrêt du 25 juin 2009, la Cour du travail ne suit cependant pas cet avis. Elle va d’abord rappeler les dispositions applicables.

Les articles 2, alinéa 4 et 3bis, alinéa 2 de la loi du 3 juillet 1967 sur la prévention ou la réparation des dommages résultant des accidents du travail, des accidents survenus sur le chemin du travail et des maladies professionnelles dans le secteur public définissent les maladies professionnelles indemnisables et les mesures prévues pour la travailleuse enceinte. Par ailleurs, la loi du 16 mars 1971 sur le travail prévoit dans ses articles 41, 41bis et 42 les mesures à prendre en cas d’existence d’un risque spécifique d’exposition à des agents nocifs. Enfin, l’arrêté royal du 28 mars 1969 dressant la liste des maladies professionnelles donnant lieu à réparation et fixant les critères auxquels doit répondre l’exposition au risque professionnel pour certaines d’entre elles énumère, en son article 1er , diverses maladies pouvant donner lieu à indemnisation (dont les maladies transmises par des animaux ou débris d’animaux, le tétanos, l’hépatite A, la tuberculose, l’hépatite virale, …). La Cour retient que le Fonds a fixé des normes établissant une distinction selon les travailleuses en fonction de leur milieu de travail. Une présomption de risque accru permanent existe pour certaines (celles travaillant en milieu hospitalier, en cabinet médical ou dentaire ainsi que celles prodiguant des soins à domicile) - pour lesquelles un contrôle immunologique n’est pas exigé. Par contre pour d’autres travailleuses (notamment celles qui travaillent en MRS), un tel bilan spécifique est requis pour les risques HBV, herpèsvirus-varicelle-zona. Si la travailleuse est immunisée par rapport au risque pertinent, l’écartement est refusé.

La Cour va alors reprendre l’évolution jurisprudentielle (que nous avions commentée précédemment), qui a admis que des mesures d’écartement pouvaient être décidées pour n’importe quelle maladie professionnelle, aucun argument de texte ne permettant d’opérer une distinction entre ces maladies (qu’elles soient de la liste ou non). En outre, aucune distinction n’intervient davantage sur le plan médical en fonction de l’activité de l’entreprise dans laquelle la travailleuse est occupée, ni en fonction de son activité personnelle (étant admis en jurisprudence actuellement que peuvent être visées les infirmières, les aides-soignantes, les aides-familiales et les techniciennes de surface). Enfin, la Cour rappelle que les personnes occupées en MRS sont visées, sans qu’il ne faille ici non plus procéder à une distinction entre MRS et maison de repos. La Cour cite deux arrêts de la Cour du travail de Mons des 14 mars 2006 et 11 mars 2008 (disponibles sur www.terralaboris.be ).

Appliquant ces principes au cas d’espèce, elle conclura que la seule question à examiner est de savoir si par son activité professionnelle, l’infirmière court un risque accru de contact avec une personne atteinte d’une maladie infectieuse susceptible de mettre en danger le fœtus.

Pour répondre à cette question, la Cour considère qu’il n’y a pas lieu d’imposer à l’infirmière la preuve que sa sérologie est négative par rapport au risque infectieux, et ce sous peine d’introduire une discrimination entre les femmes enceintes selon le milieu dans lequel elles travaillent. Enfin, elle va rappeler que la notion de risque « plus ou moins » accru n’est pas pertinente. Il suffit qu’il y ait risque accru, même faiblement. Elle conclut que le principe est que le risque ne peut être encouru - tout simplement.

Intérêt de la décision

Cette décision s’inscrit dans le même courant que la jurisprudence de la Cour du travail de Mons rappelé dans l’arrêt. Elle contient trois avancées étant la confirmation que

  • les mesures d’écartement peuvent être décidées à propos de n’importe quelle maladie professionnelle,
  • il n’y a pas lieu de procéder à une distinction selon l’activité de l’entreprise dans laquelle la travailleuse enceinte travaille ni en fonction de l’activité qu’elle exerce dans le cadre de celle-ci,
  • ne sont pas visées que les personnes occupées en service hospitalier ou prodiguant des soins à domicile mais également celles prestant dans des maisons de repos et de soins (ceci incluant les maisons de repos elles-mêmes).

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