Terralaboris asbl

Maladies rares, pathologies lourdes et nomenclature : discrimination ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 4 juin 2009, R.G. 48.270

Mis en ligne le mardi 10 novembre 2009


Cour du travail de Bruxelles, 4 juin 2009, R.G. n° 48.270

TERRA LABORIS ASBL – Pascal HUBAIN

Dans un arrêt du 4 juin 2009, la Cour du travail de Bruxelles considère que des raisons budgétaires ne peuvent pas justifier une différence de traitement entre une personne atteinte d’une pathologie lourde reprise dans la nomenclature, et une personne atteinte d’une maladie rare, s’agissant d’une maladie qui, par définition, touche peu de monde et ne peut donc pas raisonnablement avoir pour conséquence de mettre en péril l’équilibre financier de l’I.N.A.M.I.

Les faits

Madame T.L. souffre de la maladie de Darier. Il s’agit d’une maladie de la peau, chronique, héréditaire et rare. La maladie entraîne des lésions de la peau et des muqueuses, provoquant des surinfections et des infections généralisées, avec retentissement neurologique.

Madame T.L. est hospitalisée pour une exacerbation inflammatoire infectieuse due à la maladie. Le rapport médical fait également état d’un syndrome fibromyalgique secondaire.

Elle demande au médecin conseil de sa mutuelle l’autorisation de suivre un traitement de kinésithérapie pour pathologie spéciale au tarif prévu par l’arrêté royal du 23 mars 1982 portant fixation de l’intervention personnelle des bénéficiaires ou de l’intervention de l’assurance-soins de santé dans les honoraires pour certaines prestations.

La liste « E » de la nomenclature prévue par l’article 7, alinéa 3 c) de l’arrêté royal du 23 mars 1982 reprend les pathologies lourdes reconnues par la réglementation, pathologies qui peuvent alors donner un accès à des taux réduits d’interventions personnelles pour des soins de kinésithérapie et de physiothérapie.

Les taux réduits des interventions personnelles du bénéficiaire prévus par cette disposition ne sont appliqués qu’après accord préalable du médecin-conseil, cet accord étant donné sur la base des informations médicales données par le médecin traitant, en concertation avec un spécialiste.

Le médecin conseil refuse la prise en charge du traitement parce que Madame T.L. ne répond pas aux conditions de la nomenclature relatives aux affections spéciales.

Après un premier recours infructueux devant le collège des médecins directeurs de l’I.N.A.M.I., Madame T.L. introduit un recours devant le tribunal du travail de Bruxelles.

Position du tribunal

Le tribunal annule la décision du médecin conseil de la mutuelle « confirmée par celle du collège des médecins directeurs de l’I.N.A.M.I. » pour le motif qu’elles ne sont pas motivées, au sens de la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs.

Le tribunal considère ensuite que Madame T.L. a droit à l’intervention de l’assurance soins de santé dans le traitement de kinésithérapie suivi pour les soins résultant des pathologies dont elle souffre (dont la maladie de Darier). Le tribunal retient en effet une discrimination injustifiée dans la mesure où les pathologies dont souffre Madame T.L., suite à cette maladie, répondent au même degré de gravité que d’autres pathologies lourdes reprises dans la nomenclature.

Le tribunal a retenu la gravité de la maladie et ses conséquences, la reconnaissance de cette gravité par le médecin conseil de la mutuelle, le caractère essentiel des séances de kinésithérapie pour diminuer le retentissement et les complications articulaires, neuromusculaires et respiratoires et enfin l’aggravation de l’état de santé de Madame T.L. concomitant à la limitation des séances de kinésithérapie.

Le médecin conseil de la mutuelle marque son accord sur les termes du jugement, pour la période du 1er octobre 2003 au 30 septembre 2006.

Entre temps, l’I.N.A.M.I. interjette appel du jugement.

Position des parties en appel

L’I.N.A.M.I. maintient que les frais de kinésithérapie n’entrent pas dans la nomenclature et que le juge ne pouvait pas accorder les soins sur base de l’article 7, c, de l’arrêté royal du 23 mars 1982.

Il invoque le caractère d’ordre public de la nomenclature, qui est de stricte interprétation.

Il s’oppose au raisonnement du premier juge fondé sur le caractère discriminatoire de la nomenclature et la justifie par des impératifs de bonne administration en général et des impératifs budgétaires en particulier, la différence de traitement trouvant sa source dans l’économie du système de la nomenclature.

Madame T. L. conteste l’intérêt de l’I.N.A.M.I. à interjeter appel et introduit un appel incident. visant à obtenir la condamnation de la mutuelle à lui payer 6.000 € à titre de dommages et intérêts résultant de la non exécution par la mutuelle du jugement (exécutoire) entre la date de son prononcé et le 30 juin 2006. Elle rappelle qu’elle est reconnue en incapacité de travail à plus de 90% et qu’elle souffre d’une catégorie de pathologies reprises à l’article 7, alinéa 3, c, 7°, de la nomenclature, étant « un dysfonctionnement articulaire ».

Elle précise que son état de santé s’est aggravé suite au refus d’autorisation de pouvoir bénéficier du tarif « E » pour ses séances de kinésithérapie, ayant été contrainte de limiter ses soins à hauteur d’une séance par semaine au lieu de trois, en raison de ses moyens financiers limités.

Elle insiste également sur la nécessité d’une kinésithérapie régulière pour maintenir une situation fonctionnelle au niveau actuel et demande d’avoir égard à sa situation exceptionnelle.

Position de la cour du travail

La Cour considère tout d’abord que l’I.N.A.M.I. établit son intérêt à interjeter appel dès lors qu’il était partie défenderesse en première instance, que le premier juge a refusé de le mettre hors cause et qu’il a annulé l’avis de son Collège des médecins directeurs.

Contrairement au premier juge, la cour du travail considère que l’avis du collège des médecins directeurs de l’I.N.A.M.I. n’est pas un acte administratif au sens de la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs, après avoir relevé que cet avis est facultatif en sorte que le juge ne peut pas l’annuler pour non respect de l’obligation de motivation. La Cour considère, par contre, que la décision de l’organisme assureur est un acte juridique unilatéral de portée individuelle, soumise à l’obligation de motivation formelle et que cette décision doit être annulée car elle n’est pas motivée au sens de la loi. La Cour regrette aussi le manque de motivation tant de la décision d’autorisation finalement prise par le médecin conseil de la mutuelle que du revirement ultérieur de position du médecin conseil, tout en admettant qu’une autorisation accordée dans le passé n’emporte pas automatiquement le droit d’en obtenir la prolongation.

La cour du travail de Bruxelles examine ensuite le système de la nomenclature. Elle constate que la maladie de Darier n’y est pas reprise. La discrimination invoquée par Madame T. L., retenue par le premier juge, résulte du fait que Madame T. L. souffre de pathologies répondant au même degré de gravité que d’autres pathologies lourdes qui sont – elles - reprises dans cette nomenclature.

La Cour considère que le caractère d’ordre public de la matière ne peut faire obstacle au respect du principe d’égalité (et de non discrimination) qui n’exclut pas qu’une différence de traitement soit établie entre les catégories de personnes pour autant qu’elle repose sur un critère objectif et qu’elle soit raisonnablement justifiée. La Cour relève tout d’abord que le fait que la pathologie de Madame T. L. ne soit pas reprise dans la nomenclature constitue une différence objective. La question posée est de savoir si cette discrimination est ou non justifiée.

La Cour considère que l’esprit de la mesure ne se limite pas à une liste limitative de pathologies pour lesquelles les soins sont remboursables mais que l’objectif de la réglementation est de compenser la lourdeur des frais de kinésithérapie en cas de pathologies lourdes. La nomenclature tient compte de deux éléments : une liste de pathologies lourdes mais également un bilan fonctionnel - donc individuel -, étant un examen par le médecin conseil de la mutuelle permettant de justifier ou non la nécessité de kinésithérapie en lien avec une pathologie lourde.

La Cour relève également que la contestation soulevée dans le cadre du dossier pose l’un des problèmes générés par les maladies rares, à savoir l’égalité d’accès aux soins, et à des soins de qualité, sur la base de l’équité et de la solidarité car la rareté de la maladie met notamment le patient en difficulté lorsqu’il s’agit de reconnaître sa maladie pour lui permettre d’accéder aux soins. Cette difficulté est d’ailleurs l’objet d’une attention particulière au plan européen.

La Cour du travail décide ensuite que la portée du principe d’égalité ne peut être méconnue au seul motif de l’équilibre financier, en traitant différemment des catégories comparables de bénéficiaires sans justification raisonnable. Plus particulièrement, eu égard à l’objectif de la mesure prévue par la nomenclature, et à ses effets, les seules raisons budgétaires ne peuvent pas justifier une différence de traitement entre une personne atteinte d’une pathologie lourde reprise dans la nomenclature et une personne atteinte d’une maladie rare, s’agissant d’une maladie qui, par définition, touche peu de monde et qui ne peut donc pas raisonnablement avoir pour conséquence de mettre en péril l’équilibre financier de l’I.N.A.M.I.

La Cour du travail considère également que l’examen du bilan fonctionnel par le médecin conseil de la mutuelle est prévu pour tous les patients souffrant d’une pathologie lourde souhaitant accéder au bénéfice d’une intervention personnelle réduite pour des soins de kinésithérapie. Cette procédure d’autorisation vient donc s’ajouter à la vérification d’une pathologie répondant aux critères de la pathologie lourde et empêche précisément de mettre en péril l’impartialité du système en évitant l’imprévisibilité et l’insécurité juridique pour les assurés sociaux, invoquée par l’I.N.A.M.I.

Enfin, la Cour du travail rappelle qu’une autre maladie rare, étant la maladie d’Ehlers –Danlos, a été reprise parmi les pathologies lourdes de la nomenclature après des péripéties judiciaires mettant en cause également l’égalité de traitement (Trib. trav. Nivelles, 2e ch., 20 avril 1999, Chr.D.S., 2002,p.146)

Pour autant qu’elles répondent aux autres conditions d’accès au remboursement, les personnes souffrant d’une maladie rare, d’une gravité comparable à celle d’une pathologie lourde reprise dans la nomenclature, doivent pour la Cour pouvoir bénéficier de la mesure prévue par l’article et ce même si cette maladie n’est pas reprise dans la nomenclature de l’I.N.A.M.I.

La Cour considère alors qu’il faut vérifier si la situation médicale de Madame T. L. est comparable à celle d’une personne souffrant de l’une des pathologies lourdes reprises dans la nomenclature, en particulier un dysfonctionnement articulaire, ce qui nécessite un examen des données médicales, pour lequel elle désigne un expert médecin.

Intérêt de la décision

Il existe encore peu de jurisprudence publiée sur le sujet de la discrimination en matière de soins de santé et plus particulièrement du droit à un taux réduit d’intervention personnelle pour certains soins (en l’espèce de kinésithérapie) associés à des pathologies lourdes ( voyez concernant l’ostéoporose, Cass., 14 juin 2004, J.T.T. 2004,p.520 ; concernant le délai de renouvellement d’une prothèse oculaire, C. trav. Liège, section de Liège, 6e ch., 24 février 2006 et concernant la prise en charge d’un médicament Trib. trav. Mons, section de La Louvière, 7e ch., 30 juin 2003, R.G. n° 49.206 consultable sur le site internet http://www.juridat.be ).

De plus, s’agissant des maladies rares, c’est généralement dans le cadre d’une demande d’intervention auprès du Fonds spécial de solidarité de l’I.N.A.M.I. que la question du remboursement est examinée. Or, les maladies rares posent avec acuité la question de l’égalité d’accès aux soins, à des soins de qualité, sur la base de l’équité et de la solidarité.

Comme le rappelle opportunément l’arrêt commenté, cette difficulté est l’objet d’une attention particulière au plan européen (voyez la communication de la Commission européenne du 11 novembre 2008 : « Les maladies rares : un défi pour l’Europe – COM ( 2008 ) 679 final et la recommandation du Conseil du 8 juin 2009 relative à une action dans le domaine des maladies rares – JO 3.7.2008 C 151/7).

L’intérêt de la décision commentée est de poser la question sous l’angle d’une possible discrimination, la Cour du travail rappelant que le principe d’égalité ne peut être méconnu au seul motif de l’équilibre financier de la sécurité sociale.


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