Terralaboris asbl

Sanction du non-respect de l’article 1410 du Code judiciaire en cas de récupération

Commentaire de C. trav. Liège, 12 janvier 2009, R.G. 34.006/06

Mis en ligne le mercredi 26 août 2009


Cour du travail de Liège, 12 janvier 2009, R.G. n° 34.006/06

TERRA LABORIS ASBL – Mireille Jourdan

Dans un arrêt du 12 janvier 2009, la Cour du travail de Liège a accordé à une bénéficiaire de prestations familiales 4.000 € de dommages et intérêts au titre de réparation du préjudice matériel et moral subi du fait de l’arrêt total du paiement de celles-ci pendant quatre ans aux fins d’apurer le remboursement d’un indu.

Les faits

L’ONAFTS prend en 1996 et 1997 deux décisions de récupération de prestations familiales garanties, d’un montant total supérieur à 10.000 €. Le motif de la récupération est que les ressources du ménage de l’intéressée étaient inconnues et incontrôlables. Suite à ces décisions, l’ONAFTS récupère l’indu sur les prestations familiales à nouveau dues à concurrence de 100% pendant une période de l’ordre de quatre ans et de 10% ultérieurement, jusqu’à la fin du recouvrement.

La position du tribunal

Le tribunal du travail rend un jugement le 20 février 2006, décidant qu’il y a, pour la récupération à 100%, violation de l’article 1410 du Code judiciaire. Les retenues sont illégales et donc fautives. En conséquence, le tribunal condamne l’ONAFTS, au titre de réparation du dommage subi, en application de l’article 1382 du Code civil, à un montant de 2.500 €, soit 2.000 € de préjudice matériel et 500 € de préjudice moral.

La position des parties en appel

L’ONAFTS interjette appel, non sur le caractère illégal des retenues mais sur la condamnation aux dommages et intérêts. Il conteste l’existence même d’un quelconque dommage découlant de sa faute et affectant l’intéressée.

Celle-ci interjette appel incident, demandant la majoration du montant alloué au titre de dommages et intérêts, qu’elle souhaite voir porter à 12.500 €.

La position de la Cour

La Cour constate qu’elle est essentiellement saisie de la question de savoir si l’intéressée a subi un dommage du fait de ne pas avoir disposé des prestations familiales garanties (à concurrence de 90%) en faveur de ses enfants pendant une période d’environ quatre ans.

La Cour retient l’existence d’un dommage matériel, puisque celui-ci consiste dans toute atteinte au patrimoine d’une personne. La privation d’une partie des ressources matérielles qui étaient juridiquement les siennes constitue dès lors un dommage matériel réel et certain. Le fait que l’intéressée a pu être aidée pendant cette période n’est pas de nature à exonérer l’auteur du dommage de l’obligation de réparer. Elle rappelle à juste titre que les secours extérieurs n’éliminent pas celui-ci.

L’essentiel est cependant de l’évaluer et, dès lors, de le réparer. La réparation ne peut consister en la dispense du remboursement de l’indu mais résulte de la circonstance que la demanderesse a été privée temporairement d’une partie de ses ressources. La Cour suit le raisonnement du premier juge, qui a considéré que l’appauvrissement de l’intéressée pouvait être apprécié par référence à l’enrichissement sans cause légale dont l’ONAFTS a pu bénéficier par sa voie de fait. L’enrichissement correspond ici aux fruits civils des mensualités concernées pendant la durée de la récupération et peut constituer le dommage matériel en cause. Le montant de 2.000 € est dès lors confirmé.

Par ailleurs, sur le dommage moral, celui-ci résulte, comme le relève la Cour « de l’inquiétude et de l’affliction » nées de la précarité engendrée par la situation en cause. La Cour retient que vu la durée de cette période le montant retenu par les premiers juges n’est pas suffisant et la Cour le porte également à 2.000 €.

Se pose cependant une deuxième question, étant celle de la renonciation à la récupération des prestations payées indûment. Celle-ci, en vertu de l’article 9, §2 de la loi du 20 juillet 1971 instituant des prestations familiales garanties, peut intervenir si le recouvrement est contre-indiqué pour des raisons sociales ou techniquement impossible ou encore s’il s’avère trop aléatoire ou trop onéreux par rapport au montant des sommes à recouvrer.

La Cour rappelle que le juge peut exercer un contrôle de légalité sur la décision par laquelle l’ONAFTS refuse de renoncer à la récupération dans le cas où l’administré allègue le motif du recouvrement contre-indiqué pour des raisons sociales (et la Cour de rappeler l’arrêt de la Cour Constitutionnelle du 21 décembre 2004, n° 207/2004). Dans cet arrêt, la Cour Constitutionnelle fait une distinction entre les hypothèses ci-dessus. Si la récupération est techniquement impossible, trop aléatoire ou trop onéreuse, il y a ici une liberté d’appréciation établie dans le seul intérêt de l’ONAFTS et sur laquelle le juge ne peut exercer aucun contrôle. Par contre, dans l’hypothèse du recouvrement contre-indiqué pour des raisons sociales, il s’agit de l’intérêt de l’administré. Sur ce dernier critère, le juge du travail doit pouvoir exercer un contrôle de légalité, sans toutefois pouvoir se substituer à l’administration.

En l’espèce, le jugement a quo ayant annulé la décision de l’ONAFTS pour défaut de motivation et ayant rouvert les débats afin qu’une nouvelle décision administrative soit prise, la Cour constate que l’ONAFTS n’a pas pris de nouvelle décision mais que, dans ses conclusions déposées en appel, se retrouve une nouvelle décision de refus exprimée et motivée.

Elle procède dès lors à son contrôle de légalité, aux fins de vérifier si la motivation est adéquate, si elle a pu raisonnablement justifier le refus de l’ONAFTS et si elle n’est pas manifestement inéquitable et ce au regard de trois conditions cumulatives mises par l’ONAFTS pour renoncer à la restitution de l’indu pour raisons sociales, étant que (i) l’assuré social doit avoir demandé le bénéfice de la renonciation, (ii) doit avoir perçu les prestations indues de bonne foi et (iii) sa situation financière est incompatible avec tout ou partie du remboursement.

En l’espèce, la Cour va conclure au non fondement de la demande de l’intéressée, formée en justice, de renonciation à la récupération des prestations indument versées, après avoir analysé les éléments de l’espèce, par rapport à chacune des trois conditions ci-dessus.

Intérêt de la décision

Cette décision rappelle la compétence des juridictions du travail pour exercer un contrôle de légalité sur les décisions administratives de (refus de) renonciation à la récupération d’un indu. Elle présente également un intérêt évident sur la question de l’évaluation des dommages et intérêts à allouer à un assuré social en cas de faute de l’institution de sécurité sociale l’ayant privé pendant une période longue d’une partie de ses ressources matérielles. Les montants alloués sont en l’espèce de 2.000 € au titre de dommage matériel et de 2.000 € au titre de dommage moral.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be