Terralaboris asbl

Exigence d’un lien direct et nécessaire entre le licenciement et un motif tiré de la conduite

Commentaire de Trib. trav. Charleroi, 2 février 2009, R.G. 08/451/A

Mis en ligne le lundi 15 juin 2009


Tribunal du Travail de Charleroi, 2 février 2009, R .G. n° 08/451/A

TERRA LABORIS ASBL – Sophie Remouchamps

Dans un jugement du 2 février 2009, le tribunal du travail de Charleroi a rappelé l’étendue du contrôle judiciaire du motif de licenciement dans le cadre de l’article 63 de la loi du 3 juillet 1978 : il faut un lien direct et nécessaire.

Les faits

Un ouvrier est engagé pour compte d’un institut médico-pédagogique dans le cadre d’un contrat de remplacement, le 21 février 2005. Il est ensuite repris à durée indéterminée, à temps partiel et, ultérieurement, à temps plein, exerçant à la fois des fonctions de chauffeur et de garde de nuit.

L’Institut met un terme aux deux contrats à temps partiel en date du 22 janvier 2007, moyennant paiement d’une indemnité de préavis, au motif de fautes graves commises dans l’exercice des fonctions. Ces fautes sont l’utilisation du GSM en conduisant, le refus d’exécuter les consignes d’un responsable, l’absence du port de ceinture de sécurité ainsi que d’autres griefs relatifs à la conduite du véhicule de l’employeur.

L’intéressé va assigner son employeur pour divers chefs de demandes, dont une indemnité fondée sur l’article 63 de la loi du 3 juillet 1978.

La position du tribunal

Le tribunal du travail commence par rappeler les principes en la matière, étant que l’essence du licenciement abusif est l’absence d’un motif valable de licenciement. Reprenant la jurisprudence de la Cour du travail de Mons (C. trav. Mons, 08/11/2005, RG 18205) il rappelle le mécanisme de la présomption, en vertu duquel l’employeur doit établir que la décision de licencier résulte d’un motif lié à l’aptitude ou à la conduite de l’ouvrier ou qu’elle est fondée sur les nécessités du fonctionnement de l’entreprise. Afin que le licenciement ne soit pas abusif, le motif invoqué doit avoir un lien direct et nécessaire avec le licenciement. Le juge doit dès lors vérifier la réalité du motif invoqué et le lien de causalité nécessaire entre celui-ci et le licenciement (le tribunal citant également C. trav. Mons, 28/06/2006, Chron. Dr. Soc. 2008, p. 255).

En ce qui concerne les motifs, le juge doit vérifier non seulement ceux qui sont invoqués mais également d’autres motifs qui auraient pu conduire au licenciement. C’est la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass., 15/06/1988, J.T.T. 1989, p. 6), ainsi que celle des juridictions de fond : en l’absence de précisions du législateur, il n’y a pas lieu de limiter l’examen des motifs à ceux énoncés lors de la rupture. Il faut tenir compte des motifs réels, même si ceux-ci ne sont exprimés par l’employeur qu’au moment où, confronté à une demande d’indemnité, il est appelé à justifier des motifs ayant abouti à l’exercice de son droit de licenciement (C. trav. Mons, 16/05/2006, RG 19731, citant C. trav. Mons, 09/10/1981, J.T.T. 1983, p. 24).

Appliquant ces principes au cas d’espèce, le tribunal retient l’existence d’un avertissement en date du 13 janvier 2006, avertissement portant sur le respect des règles de sécurité, d’autant que le chauffeur a la responsabilité de personnes handicapées. Lors de cet incident, le chauffeur a précisé – ce que relève le tribunal – qu’un seul passager n’était pas attaché. L’employeur ne formula cependant aucune menace sur l’emploi de ce dernier, le tribunal relevant également l’ancienneté de cet avertissement (plus d’un an avant le licenciement). Suite à celui-ci, l’Institut manifesta sa confiance dans le travailleur puisqu’il l’engagea dans un mi-temps d’abord et dans un second contrat également à mi-temps ensuite, l’occupant ainsi à temps plein.

Un autre incident survint, certes, le 6 juillet 2006, étant un rapport unilatéral de garde. Le tribunal relève cependant qu’il n’a pas été soumis pour signature au demandeur et semble n’avoir eu aucune conséquence, situation corroborée par la circonstance que l’engagement dans le second mi-temps intervint postérieurement à celui-ci.

Le tribunal se déclare, dès lors, interpellé par le fait que ces incidents sont invoqués à l’appui d’un licenciement intervenant beaucoup pus tard, soit le 22 janvier 2007. Il relève certes un « petit accrochage » en date du 13 novembre 2006, relevé encore une fois dans un rapport de garde mais non contresigné par le demandeur, incident que le tribunal qualifie de bénin et qui ne lui semble pas non plus avoir conduit au licenciement du demandeur près de deux mois et demi après.

Il retient encore que l’ensemble de ces faits est sans lien avec la fonction de garde de nuit, qui semble être devenue progressivement la seule fonction exercée par le demandeur, en tout cas à partir du mois de novembre 2006.

Le tribunal ne peut qu’en conclure que les motifs invoqués n’ont pas un lien direct et nécessaire avec le licenciement mais qu’au contraire ils semblent avoir été recherchés à posteriori pour justifier une rupture de contrat dont le motif réel n’apparaît pas. Il ajoute qu’un licenciement fondé sur des motifs qui n’ont pas été stigmatisés en leur temps et/ou ont été suivis d’un renouvellement du contrat puis d’une embauche à temps plein, doit être considéré comme abusif.

Intérêt de la décision

Dans cette espèce, en apparence sans particularités, le tribunal du travail rend une décision claire, équilibrée et très adéquatement motivée en droit et en fait.

Le tribunal retient – contrairement à une autre jurisprudence – que le fait invoqué par l’employeur pour justifier le motif de licenciement doit faire l’objet d’une appréciation quant au lien direct et nécessaire qui doit exister avec la décision de rupture. Le tribunal analyse concrètement les reproches faits au travailleur, reproches qui entrent dans le grief de la conduite. Il retient que, si tous les motifs doivent être examinés et non seulement ceux énoncés par l’employeur au moment de la rupture, celui-ci ne peut créer, à posteriori, un motif à partir d’incidents bénins qu’il a considérés, à l’époque, à ce point insignifiants qu’il a renouvelé sa confiance dans le travailleur en concluant avec lui successivement deux contrats de travail, aboutissant à une fonction à temps plein.

Quant à l’étendue du contrôle judiciaire, qui doit porter sur l’appréciation du lien direct et nécessaire, il y a lieu de relever divers arrêts de la Cour du travail de Bruxelles (30 avril 2007, R.G. 45.158, 14 avril 2008, R.G. 47.205 ainsi que 19 janvier 2009, R.G. 50.427) considérant que le juge dispose, dans ce contentieux, d’un pouvoir de pleine juridiction.


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