Terralaboris asbl

Maladie ostéo-articulaire provoquée par les vibrations mécaniques : conditions d’exposition au risque professionnel

Commentaire de C. trav. Mons, 1er décembre 2008, R.G. 19.760

Mis en ligne le vendredi 17 avril 2009


Cour du travail de Mons, 1er décembre 2008, R.G. n° 19.760

TERRA LABORIS ASBL – Sandra Cala

Dans un arrêt du 1er décembre 2008, la Cour du travail de Mons rappelle les principes en matière de preuve de l’exposition au risque professionnel d’une maladie : l’appréciation doit être individualisée.

Les faits

Un ouvrier, en incapacité de travail depuis le 7 mars 2001, introduit, quatre mois plus tard, une demande d’intervention auprès du Fonds des maladies professionnelles pour une maladie ostéo-articulaire affectant la région lombaire, provoquée par les vibrations mécaniques. Il a à l’époque 37 ans. Le Fonds procède, par l’intermédiaire de son ingénieur industriel, à une enquête dont il résulte qu’il a conduit des engins de manutention pouvant provoquer des vibrations mécaniques pendant une durée totale de deux ans et demi chez deux employeurs successifs. Une activité ultérieure auprès d’un autre employeur est considérée comme n’ayant pas entraîné d’exposition à un risque vibratoire au niveau lombaire, la fonction ayant été exercée en position debout. Aussi, pour l’ingénieur du Fonds, il n’y a pas d’exposition à un risque vibratoire au niveau de la colonne lombaire selon les critères d’exposition rédigés par le Conseil technique du Fonds et en référence à la norme ISO 2631.

Ultérieurement, l’intéressé introduit une nouvelle demande en ce qui concerne des lombosciatalgies gauches à répétition, consécutives à son occupation auprès du troisième employeur ci-dessus, en qualité de pontier. Il y a également refus du Fonds pour cette demande.

La position du tribunal du travail de Bruxelles

Après avoir désigné un expert qu’il a chargé de la mission de dire si le demandeur avait été exposé au risque professionnel d’une maladie ostéo-articulaire affectant la région lombaire et provoquée par des vibrations mécaniques, le tribunal rendit un jugement le 21 avril 2005. Il se déclarait insatisfait de l’expertise, qui avait conclu à l’absence de risque professionnel, au motif qu’il avait l’impression que l’expert s’était exclusivement fondé sur la position et les avis des responsables et directeurs techniques du Fonds, sans toutefois justifier ce choix et sans prendre l’avis d’une personne neutre. Le tribunal faisait également grief à l’expert d’avoir minimisé - voire occulté totalement - la carrière de l’intéressé en qualité de pontier (période de travail qui dura douze ans). Un autre expert fut dès lors désigné.

Le Fonds interjeta appel de ce jugement.

Position des parties en appel

Le Fonds considère que le demandeur a la charge de la preuve de l’existence de l’exposition au risque de la maladie, conformément à l’article 32 des lois coordonnées du 3 juin 1970 et que, au stade de l’appel, aucune preuve n’a encore été apportée. Il précise que l’exposition au risque de contracter la maladie professionnelle, au sens de l’article 32, exige que l’exposition à des vibrations atteigne une intensité, une durée et une fréquence déterminées en manière telle qu’elle soit plus grande que celle à laquelle est exposée la population en général. En ce qui concerne la norme ISO 2631,le Fonds fait valoir que le recours à une norme générale et internationale présente l’avantage de garantir à tous les assurés sociaux un traitement identique tout en prenant en considération les particularités physiques de chaque travailleur.

Quant au demandeur, il sollicite la confirmation du jugement, faisant également grief au premier expert désigné de s’être limité à reprendre textuellement l’enquête du Fonds sans avoir analysé son exposition au risque professionnel eu égard à sa constitution propre.

Position de la Cour

La Cour rappelle les principes contenus dans l’article 32 des lois coordonnées le 3 juin 1970 relatives à la réparation des dommages résultant des maladies professionnelles. Selon cette disposition, il y a risque professionnel lorsque l’exposition à l’influence nocive est inhérente à l’exercice de la profession et est nettement plus grande que celle subie par la population en général et dans la mesure où cette exposition est, selon les connaissances médicales généralement admises, de nature à provoquer la maladie.

La Cour relève les difficultés d’appréciation concrètes de cette notion d’exposition au risque et l’existence, en conséquence, de tentatives d’objectivation par l’élaboration de critères et de normes, ainsi la norme ISO 2631. Cependant, malgré les qualités scientifiques des auteurs de ces critères et normes, ceux-ci n’ont qu’une valeur indicative et ne lient nullement les juridictions, non plus que les experts judiciaires. Il faut en effet les adapter à chaque cas particulier en fonction de la constitution de la victime, de la sensibilité de son organisme et de son état antérieur. La Cour rappelle une jurisprudence de fond constante.

En ce qui concerne les maladies ostéo-articulaires, celles-ci peuvent être contractées dans des situations aussi bien privées que professionnelles et elles feront l’objet d’une indemnisation à la condition que la victime ait été exposée au risque professionnel de la maladie, ce qu’elle doit établir. Il faut qu’elle apporte la preuve qu’elle a été professionnellement soumise à une dose suffisante de vibrations mécaniques pour que celles-ci aient pu causer au moins partiellement la maladie. Reste bien-sûr à déterminer ce qu’il faut entendre par ’dose suffisante’ : c’est ’la dose effet’ ou ’seuil d’exposition’, qui s’apprécie selon les critères suivants : fréquence et direction des vibrations, niveau d’accélération, durée totale de l’exposition, et ce en tenant compte des particularités de la constitution personnelle du travailleur, ainsi une faiblesse congénitale ou encore un état antérieur fragilisé.

Après avoir constaté en l’espèce que l’expert s’était borné à quantifier le temps pendant lequel l’intéressé aurait été exposé et à faire siennes les conclusions de l’ingénieur industriel, sans recourir à un avis d’expert technique, la Cour conclut que l’expert judiciaire a certainement violé le respect du droit de la défense.

Elle relève en sus que l’expert a omis de procéder à une adaptation individualisée et rappelle notamment les conditions d’exercice de la fonction de pontier, dont elle considère qu’il n’est à priori pas exclu de penser qu’elle a également pu avoir une incidence. Elle confirme donc la nécessité de recourir à un autre avis d’expert, avec une mission légèrement modifiée, qu’elle reformule donc.

Enfin, répondant à une objection du Fonds relative à l’absence de remarques faites par le demandeur après les préliminaires, la Cour du travail rappelle l’arrêt de la Cour de cassation du 17 février 1984 (Pas., I, p. 704), selon lequel la circonstance que la ou les partie(s) n’a(ont) fait part d’aucune observation à l’expert na pas pour conséquence de la(les) priver du droit de soumettre à l’appréciation du juge ses(leurs) griefs concernant l’expertise.

L’intérêt de la décision

Cette décision vient rappeler les critères à la lumière desquels doit s’apprécier, de manière individualisée, l’exposition au risque professionnel, étant d’une part les critères tenant au risque lui-même (fréquence et direction des vibrations, niveau d’accélération, durée totale de l’exposition) ainsi que les critères particuliers propres à la constitution personnelle du travailleur (dont notamment une faiblesse congénitale, un état antérieur fragilisé, etc.).

La mission d’expertise doit dès lors contenir de manière précise la référence à ces éléments. En l’espèce, dans la mission, la Cour souligne que l’exposition doit être démontrée compte tenu de la constitution propre de l’intéressé.

Enfin, le petit rappel de l’arrêt de la Cour de cassation du 17 février 1984 en cas d’absence d’observation sur les préliminaires du rapport d’expertise est également utile.


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