Terralaboris asbl

Notion de dignité humaine

Commentaire de C. trav. Liège, sect. Namur, 4 mars 2008, R.G. 8.210/06

Mis en ligne le vendredi 20 février 2009


Cour du travail de Liège (section Namur) – 4 mars 2008 – R.G. n° 8.210/06

TERRA LABORIS ASBL – Sandra CALA

Selon les circonstances, la dignité humaine justifie qu’une aide sociale sous forme d’un raccordement A.D.S.L. et abonnement à Internet soit accordée, étant utile à la socialisation du demandeur

Les faits de la cause

Le demandeur souffre de schizophrénie.

Il perçoit pour tout revenu des indemnités A.M.I. et introduit auprès du C.P.A.S. une demande visant à obtenir le remboursement des frais médicaux et pharmaceutiques ainsi que la prise en charge de l’installation et de l’abonnement à l’A.D.S.L.

Le C.P.A.S. refuse la prise en charge de l’intégralité de la demande au motif que les ressources financières dont l’intéressé dispose doivent lui permettre de faire face à ces frais.

Décision du tribunal

Le tribunal réforme la décision en ce qu’elle refuse la prise en charge des frais médicaux et pharmaceutiques. Il condamne le C.P.A.S. à intervenir sur présentation des justificatifs.

Relevant que le médecin traitant du demandeur a précisé que la connexion Internet ne peut que lui être utile, le tribunal fait droit à la demande dès lors que celui-ci vit seul et que ce mode de vie « autonome » a été bénéfique.

Appel du C.P.A.S.

Le CPAS relève appel au motif que la dignité humaine du demandeur n’est pas affectée s’il ne bénéficie pas d’un accès internet.

Décision de la cour

La cour rappelle que :

  • En vertu de l’article 1er de la loi du 8 juillet 1976 organique des centres d’action sociale, toute personne a droit à l’aide sociale. Celle-ci a pour but de permettre à chacun de mener une vie conforme à la dignité humaine. La condition de revenus - et donc d’état de besoin - découle de cette disposition légale : la personne qui sollicite une aide doit établir qu’elle n’a pas la possibilité par elle-même de mener une vie conforme à la dignité humaine.
  • L’aide peut poursuivre divers buts : elle peut être palliative, curative, préventive. Elle est de divers types : matérielle, sociale, médicale, médico-sociale ou psychologique.

Après avoir examiné les ressources et charges de l’intéressé, la cour constate que l’état de besoin est justifié à suffisance de droit par rapport à l’aide sollicitée. Les moyens de l’administré ne lui permettent pas de faire face à la dépense.

La cour examine ensuite l’octroi d’une aide sociale sous forme de l’installation d’une connexion Internet, relevant que, s’il est exact que l’accès à l’information et aux communications grâce à l’Internet se répand et s’il est tout aussi exact que la classe politique affiche clairement l’objectif de donner à tout un chacun la possibilité d’accéder à cet outil, il n’est théoriquement pas nécessaire de disposer à domicile de l’accès à Internet pour mener une vie conforme à la dignité humaine. Cependant, il faut examiner chaque cas distinctement en fonction des éléments particuliers de l’espèce. Une connexion à Internet peut en effet être pour une personne isolée, soit parce qu’elle est handicapée et ne peut quitter son domicile, soit parce qu’elle est profondément asociale, un moyen de communiquer avec le monde extérieur et, ainsi, de s’ouvrir à la culture. Dans ce cas, l’accès à Internet peut constituer le seul mode réel de communication et, à ce titre, être un élément indispensable pour permettre d’assurer une vie conforme à la dignité humaine. Donner un accès à des contacts à l’extérieur du domicile peut être ferment de socialisation.

En ce sens, la cour cite M. VAN RUYMBEKE et PH. VERSAILLES, qui font autorité en la matière. Ceux-ci écrivent que le C.P.A.S. assure, en respectant le libre choix de l’intéressé, la guidance psychologique, morale ou éducative nécessaire à la personne aidée pour lui permettre de vaincre elle-même progressivement ses difficultés et qu’il prend en compte la personnalité du demandeur, sa formation socioprofessionnelle, ses difficultés psychosociales, son état de santé, la composition familiale, son souhait d’indépendance ou d’autonomie, etc., pour décider s’il est ou non à même de faire face seul à son état de besoin.

Examinant la jurisprudence en la matière, ils relèvent que les juridictions du travail s’écartent parfois de toute considération financière et apprécient l’aide, non en termes de nécessités économiques, mais en termes d’opportunité, d’aptitude à permettre au demandeur de faire face à une situation délicate (p. ex., le décès d’un proche) ou à contribuer à l’amélioration des conditions de son épanouissement personnel, sur les plans social, culturel ou intellectuel. Il en découle que la dignité humaine ne s’apprécie plus alors en fonction de besoins de première nécessité ou de conditions minimales de vie à assurer dans le chef du demandeur, mais en fonction des aides à mobiliser pour accompagner la personne intéressée dans sa recherche légitime d’épanouissement personnel, de réalisation de soi et de sa condition d’homme ou de femme.

Il ne faut dès lors pas se limiter à une stricte analyse financière de la situation mais examiner si existe un désir d’une vie autonome, l’aspiration à une émancipation sociale ou à une intégration culturelle dans la société, ce qui permet d’apprécier l’aide la plus appropriée.

En ce sens, il a été rappelé qu’actuellement, en Belgique, les droits fondamentaux dépassent la simple satisfaction des besoins de base (nourriture, logement, habillement, soins de santé, …) et comprennent le droit au travail, le droit au respect de la personne, le droit à des relations sociales ainsi que le droit à des activités d’épanouissement physique ou culturel.

Aussi, la cour considère que, si l’intervention sollicitée ne rentre pas dans le cadre des besoins de base, elle est cependant susceptible de permettre une certaine socialisation qui n’est pas réalisable autrement au vu de la maladie dont souffre le demandeur et elle n’a pas pour but de soigner mais de lui donner l’accès à une forme d’épanouissement culturel.

Intérêt de la décision

Cette décision rappelle que l’aide à accorder doit tenir compte de la situation concrète et des besoins réels du demandeur et que la dignité humaine ne se limite pas aux besoins de base mais qu’elle est un concept plus large, le C.P.A.S. devant également s’intéresser à l’épanouissement personnel de l’intéressé.


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