Terralaboris asbl

Dignité humaine et droit à l’aide sociale

Commentaire de C. trav. Mons, 5 novembre 2008, R.G. 21.287

Mis en ligne le mardi 6 janvier 2009


Cour du travail de Mons, 5 novembre 2008, R.G. n° 21.287

TERRA LABORIS ASBL – Pascal HUBAIN

Dans un arrêt du 5 novembre 2008, la Cour du travail de Mons rappelle que le droit au logement fait partie de la dignité humaine. Le demandeur d’aide ne peut être pénalisé parce que le coût du loyer peut paraître élevé, dans la mesure où son choix est raisonnable et où il est tributaire des lois du marché.

Les faits

Une mère de trois enfants (dont elle n’a pas la garde) cohabite avec un citoyen de nationalité française. Elle bénéficie d’allocations de chômage d’environ 500€ par mois, son compagnon ayant quant à lui une aide sociale (R.I.S. de catégorie A s’élevant à 380€ environ). Le couple prend en location un appartement à partir du 1er juillet 2007, dont le coût est d’environ 550€. Le paiement du R.I.S. au compagnon de l’intéressée s’arrête en octobre, celui-ci se voyant à ce moment notifier un ordre de quitter le territoire.

Sa compagne introduit, dès lors, une demande de revenu d’intégration au taux ménage. Celle-ci rejetée par le CPAS de Morlanwelz, centre compétent, en date du 30 octobre 2007.

Vu sa situation, l’intéressée sollicite alors la prise en charge de son loyer à partir du mois de novembre 2007, ce que refuse le CPAS par décision du 20 novembre au motif du coût de celui-ci que le CPAS considère comme une dépense engendrant un déséquilibre important dans le budget.

L’intéressée sollicitera ultérieurement diverses aides (bons alimentaires, prise en charge d’une facture d’électricité) et ces aides ponctuelles lui sont octroyées, et même renouvelées. La personne recevra en mars 2008 une attestation de « sans abri ». Vu sa situation, elle a en effet dû quitter son appartement, ayant été expulsée par le juge de paix.

Entre-temps, elle a introduit un recours devant le tribunal du travail de Charleroi pour obtenir la réformation des décisions de refus du R.I.S. au taux chef de ménage, et de prise en charge du loyer.

Position du tribunal

Le premier juge rejette le recours contre la première décision (refus du R.I.S. au taux ménage) mais condamne le CPAS à une aide financière mensuelle correspondant au loyer pour les mois de novembre 2007 à mai 2008 inclus.

Le CPAS interjette appel.

Moyens des parties

Le CPAS soutient essentiellement que la notion de vie conforme à la dignité humaine, non définie par la loi ou la Constitution, doit être précisée par la jurisprudence et la doctrine. Il s’agit de définir le respect que mérite quelqu’un, ce qui correspond non seulement à l’estime de soi mais aussi des autres. Cette notion implique une responsabilité ne permettant pas au citoyen de s’engager financièrement de manière inconsidérée qui aboutirait à faire prendre en charge ses dépenses par la collectivité. En l’espèce, l’intéressée aurait fait preuve d’irresponsabilité en prenant l’appartement en question.

Position de la Cour

La Cour relève l’absence d’appel incident en ce qui concerne le taux du revenu d’intégration sociale et constate donc que sa saisine est limitée à la prise en charge des loyers pour la période considérée.

En droit, la Cour rappelle l’article 1er de la loi du 8 juillet 1976, disposition qui garantit le droit pour toute personne de mener une vie conforme à la dignité humaine.

Pour la Cour, qui se réfère à l’arrêt de la Cour de cassation du 10 janvier 2000 (R.G. n° S990044), cet article ne dispose pas en soi que l’octroi de l’aide sociale doive être examiné au regard de l’exigence d’une absence d’erreur, d’ignorance, de négligence ou de faute dans le chef de la personne qui en réclame le bénéfice.

La dignité humaine n’étant pas définie, la Cour admet qu’il faut retenir la définition de droit commun et, après s’être plongée dans les Dictionnaires Larousse et Robert de la langue française, elle dégage une conclusion, étant que ces deux dictionnaires donnent de la dignité une définition qui renvoie certes à l’humain mais aussi au respect de soi-même ainsi qu’à l’amour propre en fonction de la condition humaine des individus dans la société.

Dans une société dite civilisée - et la Cour relève « et plus particulièrement postindustrielle » -, la notion de dignité recouvre la satisfaction raisonnable (d’une manière responsable) d’autres besoins que celle des besoins élémentaires. La loi organique des CPAS vise d’ailleurs les aides de type palliatif, curatif, préventif et en outre – de manière exemplative – toute aide matérielle, sociale, médicale, médico-sociale ou psychologique. En outre, selon l’article 60, l’aide matérielle accordée doit l’être sous la forme la plus appropriée – ce que la Cour souligne.

En conséquence, l’appréciation de la dignité humaine doit se faire en fonction de chaque cas d’espèce, au-delà d’un « socle irréductible ». Ce sont les CPAS qui doivent apprécier celle-ci et, en cas de conflit, le juge. En l’espèce, l’intéressée s’était trouvée dans un indéniable état de besoin et celui-ci est intimement lié à la satisfaction de besoins strictement alimentaires. En outre, la Cour relève la cherté des loyers même pour un appartement modeste et conclut que l’intéressée n’avait à l’époque d’autres recours que d’accepter les dures lois du marché sous peine de se retrouver à la rue.

Pour la Cour, l’aide sollicitée doit cadrer avec l’appréciation d’une vie conforme à la notion de dignité humaine correspondant raisonnablement à la situation personnelle de la personne concernée.

Intérêt de la décision

La Cour du travail de Mons souligne, une nouvelle fois, dans cette décision nuancée, que l’aide accordée par les CPAS doit être appréciée par ceux-ci en fonction de chaque cas d’espèce, et ce à partir du critère de la correspondance appréciée raisonnablement à la situation personnelle du demandeur d’aide. En outre, s’agissant ici d’un loyer - dont la Cour souligne que le coût est soumis aux lois du marché -, elle rappelle que le logement fait indéniablement partie du droit à la dignité humaine.


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