Terralaboris asbl

Conditions de l’octroi d’une aide à caractère temporaire

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 29 mai 2008, R.G. 50.028

Mis en ligne le mardi 6 janvier 2009


Cour du travail de Bruxelles, 29 mai 2008, R.G. n° 50.028

TERRA LABORIS ASBL – Sandra Cala

Dans un arrêt du 29 mai 2008, la Cour du travail de Bruxelles, a fait un rappel très utile des critères de distinction sur le plan des ressources entre l’octroi du revenu d’intégration sociale et celui d’une aide sociale.

Les faits

Monsieur C., bénéficiaire d’une pension de l’ordre de 840€, se voit privé de celle-ci suite à une saisie arrêt exécution (saisie entre les mains de l’ONP). L’intégralité de sa pension pour le mois de juillet 2006 est ainsi retenue et il en va de même des mensualités ultérieures.

Il se présente au CPAS de Wavre, qui lui offre pour le premier mois une aide sociale récupérable de 150€ sous forme de tickets alimentaires. Le recours introduit contre cette décision n’aboutira pas.

Pour les mois ultérieurs, pour lesquels il reste privé de sa pension de retraite, il sollicite une aide mensuelle récupérable de 800€. Il précise également bénéficier, en sus de la pension saisie, d’une autre pension (étrangère) de l’ordre de 182€. Il a trois enfants, dont l’un, enfant adopté, est la source du conflit familial.

Le CPAS refuse, le 31 octobre 2006, l’aide sollicitée au motif qu’il est apparu, dans le cadre de l’enquête sur les ressources, que l’intéressé a un bon de caisse, qui viendra à échéance un an plus tard. La motivation de la décision est que Monsieur C. doit vendre son bon de caisse, qui lui procurerait, dès lors, des ressources. Deux mois plus tard, il réintroduit une nouvelle demande, signalant avoir encaissé son bon de caisse, ayant ainsi apuré certaines dettes. Il déclare avoir supprimé sa télédistribution et remboursé une dépense de précompte avec sa pension étrangère. Quant à ses autres dettes (impôts), il prouve avoir négocié un plan de paiement.

Le CPAS décidera alors d’une aide mensuelle de 150€ pour les mois de janvier et février 2007, et ce sous forme de tickets alimentaires. Le CPAS soumet l’octroi de cette aide – récupérable – à une inscription hypothécaire sur l’immeuble dont Monsieur C. est copropriétaire.

L’intéressé introduit un recours contre les deux dernières décisions du Centre, et ce par requête du 30 janvier 2007.

La position du tribunal

Par jugement du 8 juin 2007, le CPAS est condamné à payer à Monsieur C. à dater du 21 décembre 2006 et jusqu’à la fin de la saisie arrêt une aide sociale mensuelle de 500€ en espèces et de 150€ sous forme de tickets alimentaires, deux aides remboursables et garanties par une inscription hypothécaire à prendre par le CPAS. Le jugement est assorti de l’exécution provisoire.

La position des parties en appel

Le CPAS interjette appel essentiellement sur l’appréciation de l’état de besoin. Il se fonde sur le fait que Monsieur C. est copropriétaire de l’immeuble occupé et sur l’existence de débiteurs alimentaires.

L’intéressé demande confirmation du jugement et condamnation du CPAS au dépens des deux instances

La position de la Cour

La Cour est ainsi saisie de l’appréciation de l’état de besoin permettant de déterminer l’ampleur de l’aide à accorder, compte tenu de la situation spécifique du demandeur : dépenses, ressources, débiteurs alimentaires.

Après avoir circonscrit la période litigieuse, la Cour retient le caractère purement temporaire de l’aide sollicitée. Elle relève que, avant la saisie, le demandeur avait apparemment suffisamment de ressources pour avoir un petit train de vie (paiement d’un précompte immobilier d’un certain montant, entretien d’une voiture, plusieurs cartes de crédit, paiement régulier de compléments aux contributions) et elle retient qu’il n’y avait alors aucun état de besoin. Celui-ci doit dès lors être apprécié uniquement en fonction de la saisie. Vu son âge (80 ans), la Cour retient que Monsieur C. ne peut pas faire face à ses besoins élémentaires, même si un léger flou existe quant à certaines rentrées. Cependant, dans la mesure où il accepte le caractère récupérable de l’aide, et où la seule mesure dans laquelle celle-ci est demandée est destinée à faire face à un besoin limité au cours d’une période temporaire, elle considère qu’il n’y a pas lieu d’exiger de l’intéressé qu’il envisage la vente de l’immeuble qu’il occupe, et ce d’autant qu’il s’agirait de la solution ultime pour une personne de son âge. Il n’y a davantage pas lieu de le contraindre à rentrer en maison de repos, une telle décision relevant de la liberté de l’individu.

La Cour rappelle également l’article 98 § 3 de la loi du 8 juillet 1976 qui permet au CPAS, s’il souhaite le remboursement de l’aide récupérable, de se retourner contre les débiteurs alimentaires.

Enfin, répondant à un argument du CPAS selon lequel il faut se situer, pour l’appréciation des ressources, sur celles perçues avant la saisie – et ce en appliquant par analogie les règles en matière de revenu d’intégration sociale – la Cour considère ne pas pouvoir suivre ce raisonnement. Elle précise que les deux droits (droit à l’intégration sociale et droit à l’aide sociale) sont deux instruments légaux visant à permettre à chacun, dans le cadre de régimes non contributifs, de pouvoir vivre une vie conforme à la dignité humaine, principe garanti par l’article 23 de la Constitution. Ces deux instruments relèvent cependant d’objectifs différents : le droit à l’intégration sociale régi par la loi du 26 mai 2002 vise essentiellement l’intégration sociale par l’emploi et prévoit la condition de l’absence de ressources, définissant comment cette condition doit être prise en compte. Quant à la loi du 8 juillet 1976, qui organise l’octroi de l’aide sociale, elle ne balise pas la dignité humaine de manière précise et notamment en ce qui concerne l’absence de ressources. Ces critères doivent faire l’objet dans chaque cas d’une appréciation par le CPAS, après enquête sociale et sous le contrôle du tribunal.

Rappelant l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 15 mars 2006 (arrêt 45/2006), la Cour retient que le législateur de 2002 n’a pas entendu écarter l’application éventuelle à titre subsidiaire de la loi du 8 juillet 1976 au bénéfice d’une personne qui ne pourrait pas ou ne pourrait plus bénéficier du droit à l’intégration sociale.

En l’espèce, les conditions d’une absence de ressources au sens de la loi du 26 mai 2002 ne seraient pas réunies et, en l’absence de saisie, aucune aide sociale ne pourrait être envisagée mais la situation est différente, précisément, en raison de la saisie, qui prive l’intéressé de ressources récurrentes suffisantes.

La Cour en conclut que l’octroi de tickets alimentaires à raison de 150€ par mois ne permettaient pas à Monsieur C. de rencontrer ses besoins essentiels compte tenu de la réduction subite et drastique de ses ressources.

Elle entérine dès lors le jugement.

Intérêt de la décision

Cette décision de la Cour du travail de Bruxelles rappelle très utilement les critères à la lumière desquels s’apprécie l’état de besoin dans la loi du 8 juillet 1976 et dans celle du 26 mai 2002. L’espèce commentée est particulièrement éclairante à cet égard : une personne qui ne satisferait pas aux conditions afin de bénéficier du revenu d’intégration sociale peut, en fonction de critères particuliers, se trouver dans l’impossibilité de mener une vie conforme à la dignité humaine au sens de la loi du 8 juillet 1976. La privation temporaire de ressources en est une illustration.

La Cour rappelle en outre utilement le pouvoir du CPAS de se retourner, après avoir octroyé l’aide sociale, vers le débiteur alimentaire.


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