Terralaboris asbl

Interruption de travail pour cause économique : obligation de l’ONVA ou des Caisses spéciales de vacances en matière de contrôle

Commentaire de Trib. trav. Bruxelles, 14 juillet 2008, R.G. 16.884/06

Mis en ligne le jeudi 6 novembre 2008


Tribunal du travail de Bruxelles, 14 juillet 2008, R.G. n° 16.884/06

TERRA LABORIS Asbl – Pascal Hubain

Dans un jugement du 14 juillet 2008, le Tribunal du travail de Bruxelles rappelle les obligations contenues dans l’arrêté royal du 3 mars 1967, obligations à charge de l’ONVA ou des Caisses spéciales de vacances, en cas de refus d’assimilation, pour le pécule de vacances des ouvriers, des journées de chômage temporaire suite à un manque de travail pour cause économique.

Les faits

Le demandeur est occupé par une société de construction, rénovation et restauration de bâtiments.

Dans le courant de l’année 2005, le contrat de travail est suspendu en application de la loi du 3 juillet 1978 pour manque de travail résultant de causes économiques.

La Caisse de vacances (Caisse Nationale Patronale pour les congés payés dans l’industrie du bâtiment et des travaux publics) va contacter le travailleur, début juillet 2006, lui signalant que la société l’ayant déclaré pendant l’année 2005 avec un nombre important de jours de chômage économique, elle ne peut assimiler ceux-ci pour le calcul du pécule de vacances 2006. Pour la Caisse, du fait que le chômage économique était intervenu dans les années précédentes également, il s’agit d’un chômage de nature structurelle au sens des articles 16,14° et 20,5° de l’arrêté royal du 30 mars 1967 déterminant les modalités générales d’exécution des lois relatives aux vacances annuelles des travailleurs salariés.

La Caisse expose que, lorsqu’il apparaît que la suspension du contrat de travail est la conséquence d’une organisation déficiente ou d’une mauvaise gestion de l’entreprise ou encore lorsqu’il présente un caractère structurel, l’assimilation est refusée. Elle explique que l’on peut considérer comme étant de type structurel le manque de travail propre à la nature de l’activité de l’entreprise ou du secteur ou qui vise à devenir permanent par le fait qu’il persiste de manière presque ininterrompue durant plusieurs exercices ou encore qu’il présente un déséquilibre par rapport aux prestations de travail des mêmes travailleurs.

La Caisse précise qu’il lui appartient (ou à l’ONVA) d’apprécier de manière autonome la conformité de la déclaration de ces journées d’interruption de travail aux règles contenues dans l’arrêté et que, en conséquence, il n’y aura pas de pécule de vacances à payer pour les jours de chômage économique de l’année 2005.

La position des parties devant le Tribunal

Le travailleur fait valoir que la décision de suspendre le contrat de travail a été prise par l’employeur et que lui-même n’a aucune prise sur cette décision, qui s’impose à lui. Les journées de chômage ont été admises par l’ONEm comme périodes de suspension dans le cadre du chômage temporaire et l’ONEm n’a, quant à lui, soulevé aucune contestation quant à l’existence d’un manque de travail résultant de causes économiques. Aucun débat sur les raisons économiques du chômage n’a eu lieu. Il se déclare dès lors dans l’impossibilité d’établir les raisons économiques qui sous-tendent le manque de travail invoqué par son employeur. Se voyant privé de son pécule de vacances, il considère qu’il appartient à la Caisse de démontrer qu’il n’y a pas de manque de travail pour raisons économiques et que, en l’occurrence, cette preuve n’est pas apportée.

La Caisse invoque, pour sa part, que depuis le 2e trimestre 2002 à tout le moins, l’intéressé est déclaré « très régulièrement » en chômage économique et que, depuis le 3e trimestre 2003, il y a systématiquement plus de jours de chômage économique que de jours de travail. Elle relève encore le nombre de journées de chômage économique pour les années précédentes et conclut que depuis 2002 en tout cas d’autres travailleurs du même employeur sont également régulièrement déclarés avec des jours de chômage économique, ce qui contribue à conforter le caractère structurel de celui-ci. Enfin, elle fait état d’un courrier de l’employeur qui a exposé l’évolution de son carnet de commandes, les difficultés du secteur, les problèmes de concurrence, etc. En ce qui concerne le demandeur, l’employeur a précisé qu’il s’agit d’un manœuvre sans qualification, utile lors de travaux impliquant des manutentions d’approvisionnement de matériaux et/ou des évacuations manuelles de décombres, fonctions qui peuvent être exercées en cas de gros chantiers surtout. Enfin, la Caisse relève que l’ONEm n’exerce qu’un contrôle très limité sur la justification de la suspension du contrat et que ce contrôle est d’ailleurs loin d’être exercé de manière systématique.

La position du Tribunal

Le Tribunal rappelle la disposition réglementaire, étant l’article 16 de l’arrêté royal du 3 mars 1967, modifié par l’arrêté royal du 10 novembre 2004. Son 14° vise l’assimilation pour le calcul du montant du pécule de vacances de journées d’interruption de travail résultant d’une suspension du contrat de travail (ou du contrat d’apprentissage) pour chômage temporaire par suite de manque de travail résultant de causes économiques. La disposition prévoit un refus d’assimilation lorsqu’il apparaît que la suspension du contrat a été soit instaurée sans que les obligations en matière de notification ou de reprise du travail aient été respectées, soit masque un travail à temps partiel, une période de préavis ou un chômage partiel pour d’autres raisons, soit résulte du caractère saisonnier de l’entreprise, soit est la conséquence d’une organisation déficiente ou d’une mauvaise gestion, soit présente un caractère structurel. Pour la définition de celui-ci, il s’agit des termes figurant dans la lettre de la Caisse au demandeur.

Le Tribunal reprend également l’article 20 du même arrêté, relatif à la certification de l’exactitude du nombre de journées d’interruption, relevant qu’en vertu de ces dispositions la justification doit être effectuée de manière autonome par l’ONVA ainsi que par les Caisses spéciales, qui se voient ainsi obligés d’apprécier la conformité de la déclaration de ces journées d’interruption aux conditions du texte. En l’espèce, le Tribunal relève que les éléments mis en avant par la Caisse pour refuser l’assimilation des jours de chômage ne sont pas circonstanciés et ne peuvent suffire à établir que la suspension du contrat serait la conséquence d’une organisation déficiente de l’entreprise ou d’une mauvaise gestion de celle-ci ou encore qu’elle présenterait un caractère structurel.

Le Tribunal précise que ce n’est pas parce qu’une suspension pour manque de travail est régulière ou qu’elle est de longue durée qu’elle ne repose pas sur des raisons économiques sérieuses entraînant un manque de travail temporaire. Si la Caisse – ainsi qu’elle le relève – a des moyens de contrôle limités, le Tribunal est sensible à l’argument du demandeur, qui a relevé qu’il est, lui, dans l’impossibilité d’établir les raisons économiques à l’origine du manque de travail.

En conséquence, le Tribunal fait droit à la demande.

Intérêt de la décision

Le jugement annoté est intéressant en ce qu’il rappelle le pouvoir d’appréciation autonome de l’ONVA ou des Caisses spéciales sur la question, ainsi que l’obligation de disposer d’un dossier étayé, en cas de refus d’assimilation.


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