Terralaboris asbl

L’incapacité de travail ne peut être appréciée de manière purement théorique

Commentaire de C. trav. Mons, 13 mars 2008, R.G. 20.758

Mis en ligne le lundi 3 novembre 2008


Cour du travail de Mons, 13 mars 2008, R.G. n° 20.758

TERRA LABORIS ASBL – Pascal HUBAIN

Dans un arrêt du 13 mars 2008, la Cour du travail de Mons refuse d’entériner le rapport d’un expert judiciaire qui a privilégié une approche purement théorique de l’état d’incapacité de travail d’un assujetti social.

Les faits

Mme B a été reconnue par sa mutuelle incapable de travailler à partir du 1er décembre 2004 pour des douleurs post radio thérapeutiques.

Moins de six mois après le début de l’incapacité de travail, le médecin conseil de sa mutuelle l’informe qu’à partir du premier jour du sixième mois d’incapacité de travail, il considère qu’elle n’est plus incapable de travailler étant donné qu’elle peut effectuer des travaux légers à moyens non qualifiés selon les critères prévus par l’article 100, § 1er de la loi coordonnée le 14 juillet 1994).

Mme B. conteste cette décision devant le tribunal du travail de Charleroi.

Le tribunal désigne un expert judiciaire avec pour mission de déterminer si les lésions ou troubles fonctionnels présentés par Mme B. entraînaient à partir du 1er juin 2005 et postérieurement une réduction de sa capacité de gain telle que définie à l’article 100 de la loi précitée.

L’expert judiciaire conclut à une incapacité de travail inférieure à 66%.

Après avoir relevé que les conclusions de l’expert ne sont pas sérieusement contestées par Mme B., le tribunal du travail de Charleroi entérine le rapport d’expertise et déclare le recours non fondé.

La position des parties en appel

Mme B reproche tout d’abord au tribunal de ne pas avoir pris en compte certains éléments qui la mettent dans l’impossibilité de trouver une activité professionnelle, légère, non qualifiée. Elle reproche également à l’expert judiciaire de ne pas avoir tenu compte des facteurs psychologiques tels qu’une pathologie anxio-dépressive qui, selon elle, accroît son incapacité de travail. Elle demande à la Cour de désigner un neuropsychiatre après avoir écarté le premier rapport d’expertise.

Elle produit un rapport médical circonstancié établi par un médecin, qui reproche à l’expert d’avoir reconnu un état dépressif mais de ne pas en avoir tenu compte, en rejetant la responsabilité de cet état sur sa patiente. Un deuxième rapport médical de ce même médecin conclut qu’en réalité c’est l’association des pathologies physiques et psychiques dont souffre Mme B. qui entraîne une invalidité (sic) supérieure à 66% en tenant compte des critères légaux, à savoir notamment l’âge, la formation professionnelle, le marché du travail et les aptitudes de reconversion professionnelle de Mme B.

La mutuelle demande la confirmation du jugement dont appel pour le motif que l’incapacité de travail de Mme B. doit s’apprécier en tenant compte non seulement du groupe de professions dans lequel se range son activité professionnelle mais également des diverses professions qu’elle a ou qu’elle aurait pu exercer du fait de sa formation professionnelle.

La décision en degré d’appel

La Cour du travail de Mons rappelle tout d’abord les principes applicables.

La reconnaissance de l’état d’incapacité de travail implique la réunion de trois conditions :

  • la cessation de toute activité
  • cette cessation étant la conséquence du début ou de l’aggravation des lésions ou de troubles fonctionnels
  • la réduction des 2/3 de la capacité de gain.

La réduction de la capacité de gain s’évalue par rapport à ce qu’une personne de même condition et de même formation peut gagner par son travail dans le groupe de professions dans lequel se range l’activité professionnelle exercée par l’intéressé au moment où il devient incapable de travailler ou dans les diverses professions qu’il a ou qu’il aurait pu exercer du fait de sa formation professionnelle.

La Cour rappelle ensuite que la réduction de la capacité de gain s’apprécie de manière concrète et en tenant compte des éléments propres à chaque cas d’espèce, ceci pour éviter un déclassement social et / ou professionnel du travailleur.

Elle précise également qu’il ne faut pas prendre en considération le marché du travail et les perspectives d’embauche, ce risque étant couvert par la législation sur le chômage mais qu’il faut par contre tenir compte des réalités du marché du travail contemporain et plus particulièrement se référer à des professions bien réelles et non illusoires ou tombées en désuétude.

La Cour constate qu’en l’espèce, Mme B. ne possède aucune qualification professionnelle et que son parcours professionnel est fort limité : agent d’entretien, serveuse dans un restaurant pendant deux ans, gouvernante chez des particuliers pendant quatre ans et au chômage depuis 14 ans, période interrompue par quelques travaux comme agent d’entretien dans le cadre des ALE. Sur le plan médical, Mme B. connaît non seulement des problèmes d’ordre physique (obésité, mobilité du genou droit et tension artérielle) mais également des problèmes psychologiques relatés par des médecins.

Or, l’expert judiciaire ne reconnaît aucun caractère invalidant à la pathologie d’ordre psychologique, et ce sur la base d’une considération purement subjective (elle est responsable de sa situation) sans avoir rencontré le moindre élément médical ou clinique objectif et alors que l’intéressée est suivie depuis plusieurs années par une psychologue qui considère que son état psychologique ne lui permet pas d’envisager une reprise du travail.

La Cour relève que l’expert reste en défaut de préciser concrètement les activités légères non qualifiées que pouvait exercer Mme B. compte tenu des éléments propres à sa situation (profil scolaire, professionnel, socio économique).

Aussi lui reproche-t-elle d’avoir privilégié l’approche théorique de l’état d’incapacité de travail alors que l’objectif de la législation n’est pas de déclarer capable une personne dont l’aptitude au travail restante rend la reprise du travail tout à fait illusoire ou chimérique.

En conséquence, elle désigne un nouvel expert, neuropsychiatre, à qui il est demandé d’apprécier l’incapacité de travail de Mme B. en tenant compte de l’existence éventuelle de la pathologie psychique et de son incidence sur sa capacité de gain.

L’intérêt de la décision

L’arrêt de la Cour du travail de Mons s’inscrit dans un important et constant courant jurisprudentiel, confirmé par la doctrine, selon lequel il ne serait pas conforme à l’objectif de l’article 100 de la loi coordonnée le 14 juillet 1994 de déclarer capable de travailler une personne dont l’aptitude au travail restante rend la reprise du travail illusoire ou chimérique en sorte que sans réelle aptitude au travail ou à un poste de travail concret et convenable, il n’y a pas de capacité de gain tandis qu’à aptitude réduite au travail, il y a réduction de capacité de gain.

L’assuré social ne peut, en effet, faire l’objet d’un déclassement lors de l’appréciation de la réduction de sa capacité de gain.

Il faut donc procéder à une analyse du cas spécifique tel qu’il est soumis au tribunal et à l’expert judiciaire en tenant compte de divers éléments : profil particulier ou spécifique de l’intéressé, plaintes formulées, pathologies diagnostiquées, métiers ou professions exercés ou pouvant être exercés, condition socioprofessionnelle, etc.

Sont ainsi condamnées les appréciations générales telles que « un travail léger est possible, manuel ou semi manuel » ou encore la référence uniquement à des travaux (« petite manutention, emballage, pesée, petit entretien divers » etc.) et non des professions concrètes.

La jurisprudence insiste également sur le fait qu’il faut personnaliser l’évaluation pour ne pas disqualifier socialement l’assuré social (voyez C. trav. Liège, 04.11.94, Chron. Dr. Soc., 1997, p.181, C. trav. Liège, 09.09.94, Chron. Dr. Soc., 1997, p. 178 et note C. RADERMECKER, C. trav. Liège, section Namur, 13e chambre, 02.10.01, R.G. n° 6.267/98 ; C. trav. Liège, section Namur, 13e ch., 25.10.05, J.T.T., 2006, p. 103 et en doctrine Ph. GOSSERIES, « Assurance maladie-invalidité obligatoire. La réduction de capacité de gain de 66% au moins. Sa portée, ses limites, ses exigences », J.T.T., 1992, p. 140 et Ph. GOSSERIES, L’incapacité de travail des salariés et des indépendants en assurance indemnités obligatoire, J.T.T., 1997, p. 77).


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