Terralaboris asbl

Incapacité de travail et état préexistant : des précisions

Commentaire de C. trav. Mons, 20 mars 2008, R.G. 21.042

Mis en ligne le vendredi 19 septembre 2008


Cour du travail de Mons, 20 mars 2008, R.G. n° 21.042

TERRA LABORIS ASBL – Pascal HUBAIN

Dans un arrêt du 20 mars 2008, la Cour du travail de Mons investit un expert judiciaire de la mission de vérifier préalablement si l’assujetti social ne présentait pas un état préexistant, avant sa première insertion professionnelle sur le marché général de l’emploi, justifiant à lui seul, une incapacité de travail supérieure à 66%.

Les faits

Mme P. a été reconnue incapable de travailler pendant près d’un an jusqu’à ce que l’INAMI décide qu’elle ne réunit plus les critères de l’article 100 de la loi relative à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités pour le motif que la cessation de ses activités n’était en réalité pas la conséquence directe du début ou de l’aggravation de lésions ou de troubles fonctionnels mais trouve son origine dans un état antérieur ou préexistant.

En effet, Mme P. âgée d’un peu plus de 51 ans, a poursuivi des études dans l’enseignement professionnel sans jamais avoir obtenu de diplôme, n’a jamais travaillé, n’aurait jamais été inscrite ou indemnisée comme chômeuse avant d’être prise en charge par le CPAS de sa commune, trois ans avant le début de son incapacité de travail.

En réalité, elle fut engagée par le CPAS dont elle dépendait comme aide familiale dans le cadre de l’article 60, § 7 de la loi organique des CPAS mais n’a travaillé que pendant un mois en cette qualité sur les six mois initialement prévus.

Elle a donc été admise en incapacité de travail après de nombreuses interruptions de ses prestations pour compte du CPAS, et uniquement sur la base de ce seul mois de travail.

C’est lors de l’examen devant le conseil médical de l’invalidité de l’INAMI qu’un état antérieur fut constaté, ce qui a provoqué la décision litigieuse.

Mme P. a contesté cette décision devant le tribunal du travail de Mons, qui a désigné un expert judiciaire avec la mission habituelle de vérifier si les conditions de l’article 100 de la loi coordonnée le 14 juillet 1994 sont remplies à partir de la fin d’incapacité de travail sans toutefois qu’il ne soit question d’examiner l’existence d’un état antérieur ni son influence sur l’appréciation de la capacité de gain au sens de la législation.

La position des parties en appel

L’INAMI a interjeté appel du jugement précisément parce que la mission confiée à l’expert judiciaire ne tient pas compte de la problématique de l’état antérieur.

L’INAMI demande à la Cour du travail de donner à l’expert judicaire désigné la mission de vérifier si la personne concernée présentait ou non, avant toute insertion sur le marché général de l’emploi, un état préexistant ou antérieur justifiant à lui seul un taux de réduction de sa capacité de gain supérieure à 66%, mission qui serait fondamentalement différente de celle confiée par le tribunal du travail de Mons.

La décision en degré d’appel

La Cour du travail considère tout d’abord que les éléments médicaux qui lui sont soumis permettent de suspecter l’existence d’un état antérieur, en sorte que pourrait ne pas être remplie la condition de début ou d’aggravation de lésions ou de troubles fonctionnels exigée par l’article 100 de la loi relative à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités.

Toutefois, elle relève que, lorsque des personnes qui présentent un handicap ou une affection congénitale ou encore certaines prédispositions médicales ont effectivement exercé un emploi, on doit considérer qu’elles ont eu une véritable capacité de gain.

La Cour considère toutefois que ce raisonnement n’est valable que pour les personnes présentant ce genre de prédispositions mais qui ont tout de même travaillé pendant une période significative alors que, en l’espèce, l’insertion socioprofessionnelle de Mme P. n’est certes pas strictement inexistante mais est fort limitée, en l’occurrence à un seul mois.

La Cour examine ensuite les importantes conséquences que la consécration d’un état antérieur par une juridiction du travail peut avoir sur la situation de la personne concernée, à savoir de l’exclure définitivement du régime d’assurance maladie invalidité mais également de la rendre indisponible sur le marché de l’emploi au sens de la réglementation sur le chômage, voire de lui interdire d’envisager la signature d’un contrat d’intégration dans le cadre de la loi concernant le droit à l’intégration sociale ou d’être engagée dans le cadre d’une aide sociale sur pied de l’article 60, § 7 de la loi organique des CPAS.

Vu les conséquences préjudiciables pour l’intéressée de la reconnaissance d’un état antérieur, il s’impose certainement d’orienter la personne vers le régime des prestations aux personnes handicapées ou de l’aide sociale à titre tout à fait subsidiaire et en tout cas de faire vérifier l’état antérieur par un médecin expert.

C’est la raison pour laquelle en l’espèce, la Cour confie à l’expert judicaire une mission particulière, étant celle de vérifier, à titre préliminaire, si Mme P. ne présentait pas avant sa première tentative d’insertion professionnelle un état préexistant justifiant à lui seul une incapacité supérieure à 66 % avant toute insertion sur le marché général de l’emploi, fût-ce par le biais d’une mise au travail dans le cadre d’un article 60, § 7 de la loi organique des CPAS.

En cas de réponse négative à cette question, la Cour confie alors à l’expert la mission consécutive de dire si, à partir de la date litigieuse et ultérieurement, Mme P. présentait ou non une incapacité supérieure à 66% conformément aux critères de l’article 100 de la loi coordonnée le 14 juillet 1994.

Enfin, la Cour considère qu’il n’y a pas lieu de renvoyer l’affaire devant le premier juge puisqu’elle revoit la mission de l’expert initialement désigné en premier degré et que l’INAMI demande de réformer le jugement dont appel en modifiant la mission d’expertise, renonçant ainsi implicitement au double degré de juridiction, qui n’est pas un principe général de droit.

L’intérêt de la décision

La question de l’état antérieur devient récurrente en assurance maladie invalidité (voyez à titre d’exemple : C. trav. Liège, 15 juin 1990, Bull.info.INAMI, 1990/6, p.449 ; C. trav. Gand, section de Bruges, 19 mai 1994, Bull.info.INAMI, 1994/5,p.318 ; C. trav. Mons, 10 janvier 1997, J.L.M.B., 1997/495 ; C. trav. Mons, 28 mai 1999, inédit, R.G. n°14.366 ; C. trav. Mons, 21 décembre 2006 ; inédit, R.G. n° 19.9651 ; Trib. Trav. Liège, 6 mars 2007, inédit, R.G. n° 359.534 et 363.714).

De plus en plus de décisions médicales se fondent sur la découverte d’un état antérieur, parfois de nombreuses années après le début de l’incapacité de travail et alors que l’assuré social a effectivement exercé une activité professionnelle – voire plusieurs - avant d’être reconnu incapable de travailler (voir notre commentaire du 24 octobre 2006 d’un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 1er juin 2006 et celui du 17 octobre 2007 d’un arrêt de la même Cour du travail de Bruxelles du 21 décembre 2006, s’agissant alors d’une personne n’ayant jamais travaillé).

En l’espèce, la Cour du travail de Mons fait une distinction, pour les personnes présentant un état antérieur, entre celles dont l’insertion socioprofessionnelle est totalement inexistante, celles qui ont tout de même travaillé pendant une période significative et enfin celles qui ont travaillé pour une période fort limitée.

Soucieuse des conséquences extrêmement lourdes de la reconnaissance d’un état antérieur, la Cour du travail de Mons décide avec bon sens qu’avant de rejeter purement et simplement une personne du système d’assurance maladie invalidité et de l’orienter vers le régime des prestations aux personnes handicapées ou de l’aide sociale, il convient de faire vérifier l’état antérieur par un médecin expert.

La jurisprudence qui se dégage de ces arrêts rend néanmoins le commentateur perplexe : à partir de quelle durée limitée de travail ne convient-il plus d’examiner la situation médicale dans sa globalité en ce compris l’état antérieur ?

Par ailleurs, cette jurisprudence laisse inexplorée la question de la faute de l’institution de sécurité sociale qui remet ainsi en cause les conséquences de sa propre décision d’admissibilité dans un délai tel qu’il pourrait alourdir de manière considérable la charge de la preuve par l’assuré social des conditions d’octroi alors que l’administré n’a, quant à lui, commis aucune faute.


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