Terralaboris asbl

Quelles sont les conséquences sur le délai de recours d’une notification irrégulière d’un jugement ?

Commentaire de C. trav. Mons, 7 novembre 2007, R.G. 16.739

Mis en ligne le vendredi 19 septembre 2008


Cour du travail de Mons, 7 novembre 2007, R.G. n° 16.739

TERRA LABORIS ASBL – Pascal HUBAIN

Dans un arrêt du 7 novembre 2007, la Cour du travail de Mons considère qu’en matière d’assurance maladie invalidité, un jugement notifié sans indiquer les voies de recours ne fait pas l’objet d’une notification valable, en sorte que le délai de recours contre ce jugement n’a pas commencé à courir.

Les faits

M. P. est affilié à sa mutuelle depuis le 27 juillet 1987 comme salarié. Il a été reconnu incapable de travailler depuis le 3 septembre 1990 puis invalide jusqu’au 31 décembre 1992.

Des indemnités d’incapacité de travail lui ont été accordées jusqu’au 30 septembre 1992.

Par la suite, M. P. a signalé à sa mutuelle qu’il avait repris une activité professionnelle comme indépendant du 21 février 1991 au 17 juin 1991 et qu’il renonçait aux indemnités à partir du 1er octobre 1992.

L’INAMI a alors entrepris un contrôle approfondi de la situation, des renseignements complémentaires étant demandés.

Dans l’attente du résultat de l’enquête faite par l’INAMI, la mutuelle a, à titre conservatoire, adressé à M. P. une lettre de mise en demeure pour interrompre la prescription de deux ans prévue par la législation.

Une deuxième lettre recommandée, envoyée dans le même but, sera renvoyée avec la mention « non réclamée ».

Le 17 novembre 1994, le médecin inspecteur de l’INAMI notifiera à M. P une fin d’incapacité de travail au 20 février 1991 et la mutuelle lui notifiera alors sa décision de récupérer un montant de 370.657 FB (indemnités indûment payées du 20 février 1991 au 30 septembre 1992).

La décision fut notifiée par une lettre recommandée du 14 mars 1995, qui est également revenue avec la mention « n’habite plus à l’adresse indiquée ».

Une nouvelle lettre recommandée sera adressée à sa nouvelle adresse le 27 juin 1995 et M. P. informera alors sa mutuelle de son désaccord, et ce par lettre du 17 juillet 1995.

Le jugement

Un jugement par défaut fut prononcé le 15 septembre 1998 par le tribunal du travail de Tournai, condamnant M. P. à verser à sa mutuelle la somme de 370.657 FB.

Ce jugement fut notifié à M. P. le 28 septembre 1998 en application de l’article 792 du code judicaire, la notification ayant été retournée au greffe par la poste avec la mention « parti sans laisser d’adresse ».

M. P. a interjeté appel de ce jugement par une requête réceptionnée par le greffe de la Cour du travail de Mons le 8 mai 2000 seulement.

La position des parties en appel

M. P. considère tout d’abord que le jugement, prononcé par défaut, devait être signifié dans l’année en sorte que, réputé non avenu, il ne peut plus produire d’effet.

Il considère ensuite que l’action de la mutuelle est prescrite, déniant tout effet à ses lettres recommandées des 16 février 1993 et 7 novembre 1994 dans la mesure où ces courriers ne contenaient aucune motivation au sujet de l’interruption de la prescription.

M. P. fait enfin valoir qu’il n’a travaillé comme indépendant que quelques heures par jour du 20 février au 17 juin 1991 et que la récupération doit donc être limitée aux indemnités versées durant cette période.

M. P. a également expliqué à la Cour qu’il avait fait l’objet d’une décision d’internement par la chambre du conseil de Liège le 29 septembre 1993 et qu’il fut interné dans l’établissement de défense sociale de Tournai jusqu’au 9 juillet 1996, date à laquelle il a été libéré à l’essai, une décision de réintégration en défense sociale ayant été prise le 7 juin 1997.

Il conteste avoir reçu la notification du jugement et n’en a eu connaissance que lorsque celui-ci lui a été signifié par un exploit d’huissier de justice le 6 avril 2000, alors que sa requête d’appel a été réceptionnée au greffe le 8 mai 2000.

Il invoque également l’absence de motivation des deux courriers recommandés des 16 février 1993 et 7 novembre 1994 et une erreur dans le courrier du 7 novembre 1994, qui se fonde sur un article 174 de la loi du 9 août 1963 qui n’existe pas.

De son côté, la mutuelle maintient que la requête d’appel est irrecevable car tardive.

Elle précise, ensuite, que le jugement dont appel n’est pas un jugement rendu par défaut mais bien un jugement réputé contradictoire (ancien article 751 du code judiciaire) en sorte que l’article 806 du code judiciaire ne s’applique pas.

La mutuelle fait enfin valoir que la décision de son médecin conseil est devenue définitive faute d’avoir été contestée. Elle pouvait donc entreprendre la procédure de récupération de l’indu, la prescription de sa demande ayant été valablement interrompue par des lettres recommandées des 16 février 1993 et 7 novembre 1994.

Pour la mutuelle, il n’est nulle part exigé que l’acte interruptif de prescription soit motivé.

La position de la Cour

Se référant à l’article 1051 du code judiciaire tel qu’il était applicable à l’époque de l’appel introduit par M. P., la Cour considère qu’effectivement le jugement du 15 septembre 1998 n’a pas été valablement notifié car le formulaire accompagnant l’envoi du jugement ne précisait pas le délai dans lequel le recours devait être introduit ni la dénomination de la juridiction compétente en degré d’appel ni enfin l’adresse de cette juridiction.

La notification du jugement étant nulle, la Cour en déduit que le délai de recours n’a pas commencé à courir en sorte que la requête d’appel est recevable.

La Cour considère ensuite que, M. P. n’ayant pas contesté la décision administrative de remise au travail prise par le médecin conseil de la mutuelle, celle-ci est revêtue de l’autorité de la chose décidée.

Il est donc définitivement acquis que durant la période du 20 février 1991 au 30 septembre 1992 M. P. a perçu des indemnités d’incapacité de travail tout en exerçant une activité professionnelle comme travailleur indépendant sans avoir reçu une autorisation préalable du médecin conseil de sa mutuelle.

La Cour considère ensuite que la prescription de l’action en récupération diligentée par la mutuelle a bien été interrompue par les lettres recommandées à la poste. Pour la Cour, la loi du 29 juillet 1991 ne s’applique qu’aux manifestations unilatérales de volonté des autorités administratives destinées à produire des effets de droit, s’agissant des actes décisoires ayant pour but de modifier ou à tout le moins d’affecter l’ordre juridique. Les courriers de mise en demeure ne sont que des actes interruptifs de prescription et ne produisent aucun effet de droit en sorte qu’ils ne doivent, quant à eux, pas faire l’objet d’une motivation formelle au regard de la loi du 29 juillet 1991.

La Cour considère ensuite que la procédure suivie devant le tribunal du travail, indépendamment de la qualification qui lui est donnée par le juge, détermine la nature du jugement.

Or, en l’espèce, la procédure suivie fut celle prévue par l’article 751 du code judiciaire en sorte que le jugement prononcé le 15 septembre 1998 est bien un jugement réputé contradictoire. Par conséquent, le jugement attaqué ne devait pas être signifié dans l’année sous peine de péremption.

Certes, M. P. n’a pas réceptionné le pli judiciaire qui l’informait de la fixation du dossier sur pied de cette disposition légale mais le greffe a bien notifié le pli à l’adresse qui était indiquée dans la requête introductive d’instance et les conseils de M.P. n’ont jamais porté à la connaissance du greffe un changement de domicile.

La Cour rappelle à cet égard l’important enseignement de l’arrêt prononcé par la Cour de cassation le 9 juin 2000 selon lequel un changement de domicile reste sans incidence sur le procès en cours aussi longtemps que la partie qui a modifié son domicile néglige d’en avertir le greffe et la partie adverse (Bull. Cass., 2000, p.1056).

Examinant l’incidence de l’absence de signature du greffier sur le jugement attaqué (article 782 du code judiciaire), la Cour se réfère à l’arrêt de la Cour de cassation du 16 octobre 2002, selon lequel l’article 782 du code judiciaire n’est pas prescrit à peine de nullité en sorte que l’absence de signature du greffier sur un jugement ou un arrêt n’entraîne pas la nullité de la décision lorsque le P.V. de l’audience, dressé régulièrement lors de la prononciation, renferme toutes les constatations requises pour établir la régularité de la procédure suivie lors du prononcé du jugement (R.D.P. , 2003, p. 302). En l’espèce, il résulte de l’examen du P.V. d’audience que le greffier a assisté au prononcé du jugement puisqu’il a signé le P.V. d’audience publique dressé ce jour là.

La Cour confirme dès lors le jugement dont appel après avoir déclaré l’appel non fondé.

L’intérêt de la décision

Par une seule décision, la Cour du travail de Mons résout quatre problèmes concrets de procédure, étant les conséquences de l’absence de l’indication des voies de recours dans la notification du jugement et de la signature du jugement par le greffier, la permanence du domicile en justice et la détermination de la nature d’un jugement.

Elle rappelle par ailleurs quels sont les actes qui ne doivent pas être motivés au sens de la loi du 29 juillet 1991 : les renseignements, instructions et notes de service, les mesures d’ordre intérieur, les avertissements et les mises en demeure, les actes confirmatifs ou déclaratifs de droit.
Elle apporte néanmoins une nuance importante : pour autant que de tels actes répondent à la nature réelle des choses.


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