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Quelle est la nature des amendes prononcées à l’encontre de kinésithérapeutes et praticiens de l’art infirmier qui ne consignent pas dans un registre toutes les prestations qu’ils dispensent ?

Commentaire de C. trav. Liège, 11 février 2008, R.G. 33.947/06

Mis en ligne le vendredi 19 septembre 2008


Cour du travail de Liège, 11 février 2008, R.G. 33.947/06

TERRA LABORIS ASBL – Pascal HUBAIN

Dans un arrêt du 11 février 2008, la Cour du travail de Liège considère que l’amende infligée par l’INAMI à charge d’un kinésithérapeute indépendant qui n’a pas présenté ses registres personnels de prestations n’est pas une sanction de nature pénale.

Les faits

Le 19 janvier 1994, un médecin inspecteur du service du contrôle médical de l’INAMI a dressé un procès-verbal à charge de Monsieur R., kinésithérapeute indépendant. Le médecin inspecteur a, en effet, constaté que Monsieur R. est resté en défaut, lors du contrôle, de présenter ses registres personnels de prestations pour les années 1992 à 1994. Une copie de ce procès-verbal a été envoyée à Monsieur R. par lettre recommandée du 20 janvier 1994.

Monsieur R. a pu faire valoir ses moyens de défense auprès du fonctionnaire dirigeant du service du contrôle administratif de l’INAMI. Par lettre recommandée du 21 décembre 1995, ce fonctionnaire a alors notifié à Monsieur R. sa décision de lui infliger une amende administrative chiffrée à une somme de 1.166.705 francs belges, représentant 33% du montant total de l’intervention de l’assurance maladie invalidité pendant deux ans (du 20/01/92 au 18/01/94).

Par requête du 18 janvier 1996, Monsieur R. a contesté cette décision devant le tribunal du travail de Liège.

Par conclusions, l’INAMI a sollicité la confirmation de la décision contestée mais a réduit l’amende à 883.167 francs belges, soit 25% du même montant (l’INAMI a en effet appliqué immédiatement le nouvel arrêté royal du 25 novembre 1996 fixant les modalités de tenue d’un registre de prestations et déterminant les amendes administratives applicables). L’INAMI a également introduit une demande reconventionnelle pour obtenir la condamnation de Monsieur R. à payer ce montant, majoré des intérêts de retard au taux légal depuis le 1er janvier 1996.

Le jugement n’a été prononcé qu’en date du 19 janvier 2006 et a déclaré la demande de Monsieur R. non fondée. Il l’a condamné à payer à l’INAMI la somme de 21.910,49 € à majorer des intérêts moratoires depuis le 1er janvier 1996. Monsieur R. a interjeté appel de ce jugement le 23 février 2006.

La position des parties devant la Cour

Monsieur R. conteste toute infraction à la législation, soutenant avoir été victime du vol de son registre de l’année 1992, plainte ayant été déposée. Il invoquera ensuite le fait que ce même registre était en fait rangé dans sa cave au moment du contrôle. Pour ce qui concerne le registre de 1993, il précisera qu’il l’avait remis à un fiscaliste et pour le registre de 1994, il a refusé de le laisser examiner par l’inspecteur pour des motifs de secret professionnel.

Monsieur R. a dans le passé tenté de contester la validité du constat même en raison d’un manque d’impartialité et d’objectivité du médecin inspecteur contre qui il avait déposé plainte pour diffamation et calomnie.

Il semble ensuite argumenter qu’en fait les constatations querellées seraient viciées par des procédures antérieures administratives et judiciaires.

Enfin et surtout il invoque la nature pénale de la sanction infligée par l’INAMI dont il déduit diverses conséquences :

  • il s’agirait de sanctions pénales sans habilitation prévue par la loi
  • la procédure est irrégulière car elle n’a pas respecté les grands principes qui gouvernent l’instance pénale et plus particulièrement le fait que l’INAMI tient à la fois le rôle de procureur et de juge
  • la législation créerait une discrimination d’ordre procédural qui ne serait pas raisonnablement justifiée entre le prévenu d’une infraction à ladite législation et le prévenu d’une autre infraction pénale

Subsidiairement, il demande le bénéfice soit d’une simple déclaration de culpabilité, vu le délai écoulé depuis les infractions commises, soit d’un simple avertissement ou encore d’un sursis à l’exécution de la sanction.

Enfin, il demande de poser à la Cour Constitutionnelle une question préjudicielle dans la mesure où il existerait une discrimination entre prestataires de soins puisque seuls certains prestataires doivent tenir un registre des prestations.

L’INAMI conclut au rejet de toutes les contestations de Monsieur R. et à la confirmation du jugement dont appel.

La position de la Cour

La Cour du travail de Liège commence par rappeler les normes qui étaient en vigueur au moment du litige.

L’article 37ter de la loi du 9 août 1963 instituant et organisant un régime d’assurance obligatoire soins de santé et indemnités (devenu ensuite article 76 de la loi coordonnée le 14 juillet 1994) précise que les kinésithérapeutes et les praticiens de l’art infirmier sont tenus, conformément à des modalités à déterminer par le Roi, de consigner dans un registre de prestations, toutes les prestations qu’ils dispensent.

Selon l’article 101 de la même loi (devenu ensuite article 168 de la loi coordonnée le 14 juillet 1994), c’est le Roi qui détermine les sanctions administratives applicables en cas d’infraction aux dispositions de la loi ou de ses arrêtés d’exécution ainsi que les modalités d’application de ces sanctions. Pour les kinésithérapeutes et les praticiens de l’art infirmier, il s’agissait d’un arrêté royal du 4 juin 1987 dont on peut résumer le contenu comme suit :

  • le registre des prestations est tenu à la disposition du service du contrôle médical de l’INAMI
  • tout registre de prestations doit être conservé pendant cinq ans à un endroit déterminé
  • il est infligé au prestataire de soins dans le chef duquel une infraction a été constatée une amende administrative de 33% au minimum et de 50% au maximum de l’intervention de l’assurance pour les prestations pour lesquelles le registre n’a pas été tenu ou conservé
  • l’amende administrative est infligée par le fonctionnaire dirigeant du service du contrôle administratif ou par le fonctionnaire désigné par lui

Cet arrêté royal a été abrogé et remplacé par l’arrêté royal du 25 novembre 1996 fixant les modalités de tenue d’un registre de prestations et déterminant les amendes administratives applicables. En son article 6, ce nouvel arrêté royal prévoit des amendes administratives moins lourdes, s’agissant désormais d’un taux unique de 25%. Enfin et surtout, il prévoit désormais la possibilité de donner aux dispensateurs de soins concernés un simple avertissement ou de leur accorder le sursis à l’exécution de la sanction. L’arrêté royal du 25 novembre 1996 est entré en vigueur le 13 décembre 1996 mais il s’applique aux amendes administratives prononcées sur base de l’arrêté royal du 4 juin 1987 et qui ne sont pas encore définitives à sa date d’entrée en vigueur.

La Cour du travail rappelle ensuite que les infractions aux dispositions de l’arrêté royal du 4 juin 1987 sont des infractions non intentionnelles ou matérielles : il suffit dès lors de constater leur matérialité, leur auteur pouvant démontrer qu’il n’a pas agi volontairement ou librement.

La défense de Monsieur R. est, à ce sujet, considérée par le Ministère Public dans son avis, et par la Cour du travail, comme infantile et à géométrie variable.

Constatant qu’en réalité, Monsieur R. ne se prévaut d’aucune circonstance constitutive par exemple d’une force majeure de nature à excuser l’infraction effectivement constatée, la Cour en conclut à l’existence des infractions matériellement constatées.

Sur le point essentiel, étant la nature des sanctions, la Cour s’attache ensuite à rencontrer l’argument de Monsieur R. concernant la nature pénale des sanctions administratives prévues par l’arrêté royal du 4 juin 1987. Elle rappelle tout d’abord que dans un arrêt du 17 mars 1997, la Cour de cassation a jugé que ces amendes constituent bien des sanctions administratives et non des sanctions pénales en manière telle que le Roi n’a pas excédé ses pouvoirs en les instituant (Cass., 17/03/1997, Bull., 1997, p. 372). La Cour en conclut dès lors à la légalité des deux arrêtés royaux.

Elle rappelle, ensuite, un autre arrêt de la Cour de cassation du 6 mai 2002, dans lequel la Cour a refusé de casser un arrêt qui avait décidé que la sanction administrative, en cas de tenue du registre des prestations, n’est pas une sanction pénale et ceci après avoir passé en revue les critères permettant de décider si une sanction administrative est une sanction pénale (Cass., 06/05/02, Pas., 2002, I, 1090).

La Cour écarte donc toutes les conséquences que Monsieur R. veut tirer d’une qualification pénale, appliquée à tort, à l’amende administrative contestée. Plus particulièrement, elle considère que la procédure prévue par l’arrêté royal ne contrevient pas au respect des droits de la défense, ceux-ci étant garantis par la notification du procès verbal de constat au prestataire de soins, la possibilité qui lui est offerte de présenter ses moyens de défense, la motivation et la notification de la décision de sanction, notification qui doit en outre indiquer les formes et délais de recours devant le tribunal du travail.

Enfin, en ce qui concerne la question préjudicielle que Monsieur R. voulait faire poser à la Cour Constitutionnelle, la Cour rappelle qu’en réalité dans un arrêt du 17 octobre 1995, cette dernière s’est déjà prononcée (C.A. 17/10/95, M.B. 01/12/95, p. 32691). Elle a considéré que les différences qui existent entre les praticiens de l’art de guérir et entre les auxiliaires paramédicaux, notamment la nature des soins prodigués, peuvent raisonnablement justifier une différence de traitement relativement au contrôle des soins dispensés.

Enfin, faisant implication du nouvel arrêté royal, la Cour du travail de Liège considère que c’est à raison que l’INAMI a adapté l’amende en la réduisant au montant de 883.167 FB ou 21.910,49 € (articles 6 et 11 de l’arrêté royal du 25/11/96).

Considérant que Monsieur R. ne demande pas le bénéfice d’un simple avertissement ou d’un sursis en exécution de l’article 6 précité, mais bien sur pied des principes de droit pénal et sans vraiment justifier le maintien de la décision, la Cour du travail de Liège déclare l’appel entièrement non fondé (elle se réfère à la jurisprudence d’un arrêt de la Cour du travail de Liège du 7 juin 2000 qui considère que l’octroi d’un sursis relèverait du pouvoir discrétionnaire de l’administration).

Enfin, la Cour du travail de Liège taxe les dépens de l’appel et les liquide conformément aux dispositions légales et règlementaires en vigueur avant le 1er janvier 2008 pour le motif que l’affaire a cessé d’être en cours à la clôture des débats le 12 novembre 2007 et ce, bien qu’elle ait prononcé son arrêt à l’audience du 11 février 2008.

Intérêt de la décision

La Cour du travail de Liège suit fidèlement la jurisprudence de la Cour de cassation, dans ses arrêts des 17 mars 1997 et 6 mai 2002, qui refuse de considérer que les amendes administratives prévues à charge des kinésithérapeutes et praticiens de l’art infirmier en rapport avec la tenue de leurs registres de prestation, constituent des amendes pénales.

Vu l’évolution de la jurisprudence sur ce point (voyez notre Brève publiée le 17 décembre 2007), on peut néanmoins se demander si ces amendes ne sont pas aussi de nature pénale…

Sans doute le fait qu’elles ne visent qu’une catégorie déterminée de personne reste-t-il déterminant pour exclure cette qualification… (voyez plus particulièrement la motivation de l’arrêt de la Cour de cassation du 6 mai 2002 précédé des conclusions de l’avocat général Werquin, in J.T.T. 2002, p.464).


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