Terralaboris asbl

Mentions obligatoires dans une décision de récupération d’indu et conséquences sur le délai de recours

Commentaire de C. trav. Liège, 14 juin 2007, R.G. 32.068/04

Mis en ligne le jeudi 18 septembre 2008


Cour du travail de Liège, 14 juin 2007, R.G. 32.068/04

TERRA LABORIS ASBL – Pascal HUBAIN

Dans un arrêt du 14 juin 2007, la Cour du travail de Liège a rappelé que la décision de répétition de l’indu doit uniquement contenir le contenu et les références des dispositions en infraction desquelles les paiements ont été effectués mais non le texte légal in extenso.

Les faits

Par lettre recommandée du 14 février 2003, une mutuelle réclame à son affilié le remboursement d’indemnités d’incapacité de travail et des débours de soins de santé pour le motif qu’en date du 31 mai 2001, l’assureur loi a refusé de prendre en charge les conséquences d’un accident du travail dont Monsieur M. soutenait avoir été victime le 9 mars 2001.

La mutuelle prétend, en effet, qu’elle s’est trouvée dans l’impossibilité d’obtenir le remboursement de ses prestations en vertu de son droit de subrogation.

La lettre recommandée fait également référence à l’article 295 de l’arrêté royal du 3 juillet 1996 sans en reproduire le texte in extenso.

Toutefois, dans sa lettre, la mutuelle résume à son affilié le sens de cette disposition, à savoir que la mutuelle peut intervenir dans le remboursement des prestations à la condition qu’elle soit en possession des informations nécessaires afin de pouvoir exercer son droit de subrogation.

Cette lettre informe également Monsieur M. qu’il a la possibilité d’introduite un recours devant le tribunal du travail contre cette décision dans un délai de trois mois mais Monsieur M. n’a pas contesté la décision.

Par requête (lettre recommandée) du 15 juillet 2003, la mutuelle a alors introduit auprès du tribunal du travail une demande de titre exécutoire à concurrence d’une somme de 2.178,05 €.

Le jugement

Par jugement contradictoire du 16 décembre 2003, le tribunal du travail de Liège a fait droit à la demande de la mutuelle, la décision du 14 février 2003 étant devenue définitive à défaut de contestation dans le délai légal.

La position des parties en appel

Monsieur M. soutient que le délai de recours contre la décision du 14 février 2003 n’a pas commencé à courir car la décision ne comporte par le texte et les références des dispositions en infraction desquelles les paiements ont été effectués (comme le prévoit l’article 295ter, alinéa 3, 3° de l’arrêté royal du 3 juillet 1996).

La mutuelle demande la confirmation du jugement intervenu.

La position de la Cour du travail

La Cour du travail considère au contraire que les mentions reprises dans la décision sont suffisantes car l’article 295ter, alinéa 3, 3° de l’arrêté royal du 3 juillet 1996 n’exigerait pas que la disposition en cause figure in extenso dans la décision notifiée.

S’appropriant, par ailleurs, l’avis écrit de l’Avocat général, la Cour rappelle que l’article 295ter a été inséré dans l’arrêté royal du 3 juillet 1996 par un arrêté royal du 24 novembre 1997, en exécution de la charte de l’assuré social (loi du 11 avril 1995).

Or, l’article 15 de la charte de l’assuré social n’exige pas que le texte légal soit repris in extenso dans la décision de répétition de l’indu mais uniquement qu’elle contienne le contenu et les références des dispositions en infraction desquelles les paiements ont été effectués.

La Cour en déduit que la décision de la mutuelle répond à cette exigence.

Enfin, elle considère que ladite décision est devenue définitive à défaut de recours dans le délai légal en sorte que l’indu ne peut plus être contesté ni dans son fondement ni dans son montant.

L’intérêt de la décision

Les données du litige ne sont pas clairement expliquées dans l’arrêt commenté.

Il semble que l’assuré social, qui a prétendu être victime d’un accident du travail, n’ait pas respecté à l’égard de sa mutuelle les obligations contenues dans l’article 295 de l’arrêté royal du 3 juillet 1996.

Pour rappel, selon cette disposition, l’octroi des prestations prévu à l’article 136, § 2 de la loi coordonnée le 14 juillet 1994 (c’est-à-dire les prestations qui sont octroyées par la mutuelle en attendant que le dommage soit effectivement réparé en vertu d’une législation étrangère, d’une autre législation ou du droit commun) est subordonné aux conditions que celui qui, pour lui-même ou les personnes à sa charge, fait appel aux prestations de l’assurance mette son organisme assureur dans la possibilité d’exercer son droit de subrogation en l’informant :

  1. de ce que le dommage qui motive cet appel est susceptible d’être couvert par le droit commun ou par une autre législation belge ou étrangère,
  2. de tous les éléments ou circonstances de nature à établir si le dommage doit être réparé en vertu du droit commun ou d’une autre législation, y compris les informations ou actes judiciaires dont lui-même ou les personnes à charge feraient l’objet à propos du dommage,
  3. de toute action ou autre procédure engagée en vue d’obtenir, pour lui-même ou pour les personnes à sa charge, la réparation du dommage en vertu du droit commun ou d’une autre législation.

Par contre, il est difficilement compréhensible que les indemnités d’incapacité de travail et les débours de soins de santé puissent être récupérées par la mutuelle auprès de son affilié pour le seul motif que l’assureur loi a refusé de prendre en charge les conséquences de l’accident du travail dont l’assuré social prétendait avoir été victime.

En effet, l’article 63 de la loi du 10 avril 1971 sur les accidents du travail organise un système d’information, qui oblige l’assureur loi qui refuse de prendre le cas en charge de prévenir l’organisme assureur auquel la victime est affiliée.

De plus, comme le délai de prescription de la mutuelle à l’égard de l’assureur loi est de trois ans à dater de l’accident, on ne comprend pas pourquoi la mutuelle s’est trouvée dans l’impossibilité d’obtenir le remboursement de ses prestations auprès de l’assureur loi, en exerçant son droit de subrogation.

Rien n’empêche, en effet, la mutuelle, en lieu et place de son affilié, de contester la décision de l’assureur loi qui refuse de prendre en charge les conséquences de l’accident du travail.

L’assuré social a certes une obligation d’information mais l’opinion selon laquelle il doit participer à la réussite de l’action subrogatoire de sa mutuelle n’est pas partagée par tous les auteurs (voyez Jean-Paul JANSSENS et Nicole MALMENDIER, Article 76quater § 2 de la loi du 9 août 1963- interdiction de cumul et droit de subrogation, in R.D.S., 1994/1, p.124 à 126 et les références citées).

Mais l’essentiel du débat devant la Cour du travail n’est pas là.

Il réside dans une apparente contradiction entre l’article 15 de la loi du 11 avril 1995 visant à instituer « la charte » de l’assuré social et l’article 295ter, 3°de l’arrêté royal du 3 juillet 1996, inséré par l’article 43 de l’arrêté royal du 24 novembre 1997, précisément pris en exécution de ladite loi.

L’article 295ter alinéa 3, 3° précité vise expressément, au titre du contenu obligatoire d’une décision de récupération de prestations, le texte et les références des dispositions en infraction desquelles les paiements ont été effectués tandis que l’article 15 de la charte de l’assuré social vise uniquement le contenu et les références de ces mêmes dispositions.

En réalité, l’article 15 de la loi du 11 avril 1995, dans sa version d’origine, visait également le texte et non le contenu des dispositions légales en cause.

Les mots « le texte » de l’article 15, alinéa 1er, 3° a été remplacé par les mots « le contenu » par l’article 17 de la loi du 25 juin 1997 ( MB du 13/09/07) modifiant la loi du 11 avril 1995 visant à instituer la charte de l’assuré social.

Cette modification a été justifiée par le législateur par le fait que « l’obligation de mentionner le texte des dispositions en contradiction desquelles les paiements ont été effectués exige dans certains cas que de nombreux textes soient ajoutés à une décision. L’adjonction de tous ces textes juridiques ne favorise pas la lisibilité des décisions et entraîne des frais supplémentaires considérables. Il convient par ailleurs de constater que tous les textes légaux n’existent pas dans une traduction allemande officielle. Il semble dès lors plus judicieux et plus praticable de modifier le texte des articles 14,4° et 15,3° de telle sorte que soit reprise ( sic) le contenu des dispositions concernées et non le texte juridique intégral » (Chambre des Représentants, session ordinaire 1996-1997, Doc. Parl., Projet de loi n° 907/1, Exposé des motifs, p.13)

L’article 15 de la charte de l’assuré social ne prévoit pas de dérogation possible, par arrêté royal. La Cour du travail de Liège n’aurait-elle dès lors pas mieux motivé sa décision en la fondant uniquement sur l’article 15 de la charte de l’assuré social et en écartant en réalité l’article 295ter, 3° de l’arrêté royal du 3 juillet 1996, qui modifie en réalité le texte de l’article 15, 3° de la loi du 11 avril 1995 ?

Sur ce point, et sous réserve de cette précision, la solution dégagée par l’arrêt doit être approuvée.

Le contenu d’une disposition légale ne doit donc pas être confondu avec son texte complet (voyez également à cet égard, l’obligation de mentionner le contenu des articles 728 et 1017 du code judicaire).

Toutefois, mentionner le contenu et non le texte de la disposition légale peut exposer l’institution de sécurité sociale a une autre critique, celle de l’absence ou de la mauvaise motivation de sa décision.

En effet, la motivation doit être claire en telle sorte qu’elle doit permettre de comprendre l’articulation du droit et du fait et ainsi de savoir pourquoi, en fonction des circonstances, la décision a été prise car l’ambiguà¯té de la motivation équivaut à l’absence de celle-ci dès lors que l’assuré social n’est pas en mesure, sur la base de la motivation, de saisir la portée de l’acte et d’en vérifier la légalité.

Or, la décision prise en l’espèce n’est pas à l’abri de toute critique concernant sa motivation…

Enfin, on peut regretter que la Cour considère qu’en l’espèce l’indu ne peut plus être contesté ni quant au fondement, ni quant au montant, à défaut d’avoir fait l’objet d’un recours dans le délai légal.

Ceci pose le délicat problème de la décision administrative (exécutoire).

Selon certains auteurs, l’opinion selon laquelle une décision de récupération non contestée dans le délai légal s’imposerait aux juridictions sociales en telle manière que celles-ci seraient obligées d’accorder un titre exécutoire à l’institution sans pouvoir apprécier le bien-fondé de la récupération, se heurte à l’article 159 de la Constitution (voyez Jérôme MARTENS, la charte de l’assuré social, le privilège du préalable et la décision administrative « exécutoire ». Commentaires de l’arrêt n° 196/2005 rendus par la Cour d’arbitrage le 21 décembre 2005, Chron. D.S. 2006, p. 573).

Selon Jérôme MARTENS, le contrôle des juridictions du travail portera non seulement sur le respect des délais de prescription, la régularité de la procédure administrative, l’existence d’un paiement et le caractère indu de celui-ci mais aussi sur le caractère récupérable des sommes payées indûment au regard de l’article 17 de la charte (op. cit. p. 573).

C’est en tout cas en ce sens que s’est prononcé le Tribunal du travail de Bruxelles (9e chambre) dans un jugement inédit du 30 juin 2006 (Alliance Nationale des Mutualités Chrétiennes C/S, R.G. n° 35997/02), suivi par d’autres juridictions.

Le juge doit donc écarter l’application d’une décision illégale et il lui est interdit d’accorder un titre exécutoire à l’organisme de sécurité sociale.

Assurément, la charte de l’assuré social n’a pas encore révélé auprès des juridictions du travail toutes ses potentialités de protection des assurés sociaux.


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