Terralaboris asbl

Une mutuelle peut-elle récupérer des soins de santé remboursés en faveur d’un assujetti en séjour illégal ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 7 novembre 2007, R.G. 48.351

Mis en ligne le jeudi 18 septembre 2008


Cour du travail de Bruxelles, 7 novembre 2007, R.G. 48.351

TERRA LABORIS ASBL – Pascal HUBAIN

Dans un arrêt du 7 novembre 2007, la Cour du travail de Bruxelles refuse de faire droit à la demande d’une mutuelle en récupération d’un indu lorsque le remboursement indu de soins de santé provient exclusivement d’une erreur de sa part.

Les faits

M. H.G., de nationalité iranienne a demandé l’asile politique en Belgique. L’Office des étrangers lui a notifié une décision de refus de séjour avec ordre de quitter le territoire (annexe 26bis). M. H.G. s’est néanmoins affilié à une mutuelle, celle-ci étant en possession de l’annexe 26bis.

M. H.G. a introduit un recours contre la décision de l’Office des étrangers mais le Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides a confirmé la décision de refus de séjour.

Bien que M. H.G. ait introduit des recours en suspension et en annulation de cette décision devant le Conseil d’Etat, la mutuelle a mis fin à son intervention et a demandé à M. H.G. de lui rembourser les interventions en soins de santé effectuées depuis son affiliation .

M. H.G. refusant de rembourser la mutuelle, celle-ci a demandé au tribunal du travail de Bruxelles un titre exécutoire mais a été déboutée par le tribunal.

La mutuelle a interjeté appel du jugement.

La position des parties en appel

La mutuelle considère tout d’abord que les étrangers non autorisés à séjourner de plein droit en Belgique plus de trois mois ne peuvent bénéficier de l’assurance soins de santé. De plus, M. H.G. ne relevait d’aucune des catégories particulières d’étrangers autorisés à demander le remboursement des soins de santé (article 128 quinquies de l’arrêté royal du 3 juillet 1996). Les soins de santé remboursés sont donc incontestablement indus.

La mutuelle conteste par ailleurs l’application faite par le tribunal du travail de Bruxelles de l’article 17 de la charte de l’assuré social. Elle rappelle que cette disposition légale consacre tout d’abord le principe de la rétroactivité de la décision de revision, qui produit ses effets à la date de la décision révisée. La mutuelle conteste, par ailleurs, que M. H.G. puisse se prévaloir de l’exception à cette règle, en cas d’erreur commise par l’institution de sécurité sociale. Elle considère, en effet, que cette exception ne s’applique qu’à la condition que la prestation allouée après la révision soit inférieure à celle accordée initialement, ce qui n’est pas le cas lorsque la révision emporte la constatation de l’absence pure et simple du droit à la prestation, comme en l’espèce. En outre, les autres conditions d’application de l’exception à la règle ne sont pas démontrées par M. H.G., à savoir que la prestation litigieuse trouve son origine dans une erreur de l’institution de sécurité sociale ou que l’assujetti social doit prouver qu’il ne savait pas et qu’il ne devait pas savoir qu’il n’avait pas droit à l’intégralité des prestations (la mutuelle invoque un arrêt de la Cour de cassation du 3 novembre 2000, JC00B34 sur www.juridat.be

Pour la mutuelle, M. H.G. devait savoir qu’il ne satisfaisait pas aux conditions d’octroi de l’assurance soins de santé. En cas de doute quant à l’ignorance de l’assujetti social, il doit également y avoir un doute sur l’application de l’exception à la règle de la rétroactivité. Elle en conclut que M. H.G. doit être condamné à rembourser l’indu ainsi que les intérêts moratoires depuis la décision de révision.

De son côté, M. H.G. rappelle qu’au moment de son affiliation auprès de la mutuelle, il n’avait nullement caché qu’il n’était pas en possession d’un titre de séjour de plus de six mois. Durant la période d’affiliation, il était inscrit dans le registre d’attente des étrangers et au moment de son affiliation était en possession d’une annexe 26bis prorogeable de mois en mois par l’administration communale. Il a payé des cotisations relatives à son affiliation.

Il rappelle que la charte de l’assuré social oblige la mutuelle à conseiller tout assuré social qui le demande sur l’exercice de ses droits ou l’accomplissement de ses devoirs et obligations (article 4). Or, la mutuelle ne l’a pas informé qu’il ne pouvait pas s’affilier mais lui a, au contraire, confirme que son intervention majorée était prolongée vu une attestation du C.P.A.S. Il considère ainsi que la mutuelle est à l’origine de son préjudice puisqu’elle a, en connaissance de cause, décidé de l’affiler. En conséquence, elle ne peut réclamer le remboursement de paiements indus. Il demande dès lors la confirmation du jugement dont appel, qui a fait l’application correcte de l’article 17, alinéas 2 et 3 de la charte de l’assuré social.

La décision de la Cour du travail

La Cour du travail fait siens les arguments développés dans son avis écrit par l’Avocat général. Pour celui-ci, quant une institution constate une erreur (qu’elle soit de droit ou matérielle), elle doit prendre une décision rectificative, le droit de la sécurité sociale étant d’ordre public. En principe, la rectification a un effet rétroactif dans les limites du délai de prescription. Toutefois, la décision rectificative n’a pas d’effet rétroactif et ne produit ses effets que le premier jour du mois qui suit sa notification en cas d’erreur due à l’institution de sécurité sociale (article 17, alinéa 2 de la charte).

Néanmoins, la révision pourra avoir un effet rétroactif si l’assuré social sait ou devait savoir qu’il n’a pas droit ou n’a plus droit à l’intégralité de la prestation (article 17, alinéa 3). Plusieurs conditions sont requises, à savoir qu’il faut une décision, soit un acte juridique de portée individuelle émanant d’une institution de sécurité sociale et qui a pour but de produire un effet juridique à l’égard d’un ou de plusieurs assurés sociaux, qu’il faut une erreur de l’institution et que le nouveau droit à la prestation soit inférieur à celui reconnu précédemment, ce qui exclut la limitation de l’effet de la rectification si la décision est favorable à l’assuré social. L’effet rétroactif est cependant maintenu quand l’assuré social savait ou devait savoir qu’une prestation indue lui est accordée. Pour l’Avocat général, cette dernière condition rejoint la notion de bonne foi dans le chef de l’assuré social, notion qui n’a pas encore fait l’objet d’une approche systématique.

Avant l’entrée en vigueur de la charte de l’assuré social, sur la base du droit commun, en matière d’allocations familiales, la jurisprudence considérait déjà que, si l’indu provenait d’une erreur de la caisse compétente, il n’y avait pas matière à récupération (principe de confiance légitime). La décision ne peut être rétroactive que si l’erreur résulte du dol, de la fraude, de manœuvres frauduleuses ou d’omission par l’assuré social de faire une déclaration prévue par une disposition légale ou règlementaire.

Pour l’Avocat général, en l’espèce la mutuelle a commis une erreur de droit en autorisant l’intéressé à payer des cotisations, et étant de bonne foi, il a pu, légitimement, penser que les prestations lui étaient acquises.

Pour la Cour du travail, la mutuelle est de mauvaise foi lorsqu’elle prétend que la suppression d’un avantage social n’est pas la même chose qu’une réduction d’une prestation. Elle souligne ici, qu’il existe un rapport de force entre une mutualité et une personne étrangère qui demande à s’affilier et que c’est bien la mutuelle qui est la mieux à même d’apprécier si les conditions légales et réglementaires pour procéder à l’affiliation sont réunies, s’agissant même d’une obligation légale de l’organisme assureur, prévue par la charte de l’assuré social.

La Cour du travail considère également que c’est sans le moindre fondement que la mutuelle reproche à M. H.G. de lui avoir caché sa situation administrative d’étranger en séjour illégal. En effet, toutes les pièces utiles à la bonne compréhension de la situation de séjour de M. H.G. en Belgique sont réunies dans son dossier administratif.

La Cour du travail de Bruxelles en conclut que la mutuelle a commis une erreur et que l’indu, dont elle réclame le remboursement, ne peut être mis à charge de M. H.G. mais devra faire l’objet d’une inscription en frais d’administration.

L’intérêt de la décision

La Cour du travail de Bruxelles rappelle utilement que l’article 17 de la charte de l’assuré social ne fait aucune distinction entre une décision de suppression ou de réduction d’une prestation de sécurité sociale.

Elle rappelle, tout aussi opportunément, que la référence au principe de légalité en matière de récupération d’indu n’est pas pertinente, précisément parce que l’article 17 de la charte de l’assuré social constitue le texte de loi dont l’assuré social peut se prévaloir.

Enfin, elle considère qu’un rapport de force existe entre une mutualité et une personne étrangère qui demande à s’affilier et que l’article 4 de la charte de l’assuré social l’oblige à apprécier elle-même si les conditions légales et règlementaires d’affiliation sont réunies.


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