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Existence d’un contrat de travail : l’ONSS non partie au procès pénal ne peut se voir opposer l’autorité de chose jugée du pénal sur le civil … pour autant qu’il soulève l’argument

Commentaire de C. trav. Liège, 25 janvier 2008, R.G. 32.293/04, 32.172/07 et 35.173/07

Mis en ligne le mercredi 10 septembre 2008


Cour du travail de Liège, 25 janvier 2008, R.G. 32.293/04, 32.172/07 et 35.173/07

TERRA LABORIS ASBL – Sophie REMOUCHAMPS

Dans un arrêt du 25 janvier 2008, la Cour du travail de Liège rappelle qu’en application de l’article 6 de la C.E.D.H., l’ONSS, non représenté lors du procès pénal mené contre l’employeur, peut contester les éléments retenus par le Juge pénal, pour autant qu’il le demande. Elle se prononce également sur la recevabilité de l’appel visant deux jugements mais introduit par une même requête.

Les faits

Suite à une enquête, l’ONSS et l’Auditorat du travail estiment que l’entreprise X aurait dû assujettir à la sécurité sociale des travailleurs salariés trois travailleurs occupés par elle.

Vu l’absence de régularisation, l’ONSS cite la société en paiement des cotisations relatives aux prestations de ces trois travailleurs (première citation du 14 février 2001). Il cite une nouvelle fois la société, en mai 2003, sans que puissent être identifiés les travailleurs concernés.

Parallèlement, l’Auditorat poursuit deux administrateurs de la société, de même que celle-ci (en sa qualité de civilement responsable) devant le Tribunal correctionnel, du fait de l’absence d’assujettissement et de tenue du registre du personnel.

Par jugement du 10 mai 2002, le Tribunal correctionnel estime qu’un seul des trois travailleurs a le statut de travailleur salarié et doit en conséquence être assujetti à la sécurité sociale des travailleurs salariés. Notant qu’il y a régularisation par la société et absence de préjudice dans le chef du travailleur, le Tribunal ordonne la suspension du prononcé à l’encontre des administrateurs. La mise à la cause de la société est déclarée sans objet.

La décision du tribunal du travail

Le Tribunal statua sur les deux actions introduites par l’ONSS par deux jugements du 20 février 2004. Compte tenu du jugement correctionnel, il déclara les demandes non fondées.

Ces jugements n’ont pas été signifiés.

La position des parties en appel

L’ONSS interjeta appel des deux jugements par le biais d’une même requête d’appel, faisant grief au premier Juge d’avoir considéré la demande sans objet, dès lors que des cotisations restaient dues. L’ONSS modifia cependant la somme réclamée par la première citation (ne réclamant plus les cotisations que pour le travailleur reconnu salarié par le Tribunal correctionnel).

La société contestant la recevabilité de l’appel (une seule requête pour entreprendre deux jugements), l’ONSS redéposa deux nouvelles requêtes d’appel, afin de « rectifier » la procédure.

Outre l’argument d’irrecevabilité, la société faisait valoir l’autorité de chose jugée du jugement correctionnel, lequel avait constaté la régularisation de la situation et ne l’avait pas condamnée aux indemnités « d’office » prévues par l’article 35 de la loi du 27 juin 1967. A titre subsidiaire, la société faisait valoir une violation de ses droits de défense, vu absence d’explication de l’ONSS quant au maintien des avis rectificatifs.

La décision de la Cour

Statuant sur la recevabilité, la Cour relève que l’on ne peut sanctionner de nullité une requête d’appel qui vise plusieurs jugements que s’il est démontré une réelle incertitude quant à savoir laquelle des décisions est frappée d’appel (application de l’article 861 du C.J. : pas de nullité sans grief). Vu que la société ne démontre pas de préjudice, la Cour refuse la nullité. Elle considère par ailleurs que les deux requêtes déposées ultérieurement ont un caractère ampliatif et sont également recevables.

Statuant ensuite sur l’exception d’autorité de chose jugée soulevée par la société, la Cour rappelle que la décision du juge pénal a autorité, erga omnes, sur le juge civil appelé à se prononcer ultérieurement, de sorte qu’il doit être tenu pour exact ce qui a « certainement et nécessairement » été jugé au pénal quant à l’existence des faits reprochés au prévenu.

La Cour rappelle cependant que la Cour de cassation a réduit la portée de cette règle, se fondant sur le droit au procès équitable consacré par l’article 6 de la C.E.D.H. (voir Cass., 15 févr. 1991, R.C.J.B., 1992, p 5 et note F. RIGAUX). En conséquence, la partie non présente dans le procès pénal (et qui n’a pas pu y faire valoir des moyens de défense) ne peut se voir opposer les constatations du juge pénal et peut faire valoir ses moyens et contester les faits devant la juridiction civile.

La Cour note que n’est pas résolue par la Cour suprême, la question de la contestation, dans le procès civil, des constatations matérielles ayant amené le juge pénal à acquitter le prévenu, le dégageant ainsi de sa responsabilité civile. Se fondant sur la doctrine, de même que la jurisprudence rendue en matière de roulage, la Cour du travail estime que la solution à retenir est identique.

En l’espèce, elle constate que l’ONSS n’était pas à la cause devant le Tribunal correctionnel mais qu’il ne revendique pas non plus le bénéfice de la jurisprudence de la Cour de cassation. Pour la Cour du travail, elle ne peut écarter l’autorité de chose jugée que si cela lui est spécifiquement demandé. Dès lors qu’elle a elle-même, d’autorité, soulevée la question, la Cour réouvre les débats pour permettre aux parties d’en discuter.

Elle relève par ailleurs un manque de transparence dans les décomptes de l’ONSS, lésant les droits de la défense, et impose en conséquence à celui-ci de s’expliquer sur les sommes réclamées.

Intérêt de la décision

L’intérêt essentiel de la décision est de rappeler les contours du principe d’autorité de chose jugée d’une décision pénale dès lors qu’une des parties au procès civil n’était pas à la cause. Celle-ci peut faire valoir ses moyens et contester les éléments de faits sur lesquels se fonde la décision pénale … pour autant qu’elle sollicite le bénéfice de la jurisprudence de la Cour de cassation sur la question.

Notons également les développements sur la recevabilité d’un appel contre plusieurs jugements formé par la voie d’une seule requête ainsi que le constat de ce que le manque de transparence dans les décomptes de l’ONSS constitue une violation des droits de défense.


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