Terralaboris asbl

Chômage économique : valeur probante des procès-verbaux de l’inspection des lois sociales et examen de la fraude

Commentaire de C. trav. Mons, 28 février 2008, R.G. 20.719

Mis en ligne le mercredi 10 septembre 2008


Cour du travail de Mons, 28 février 2008, R.G. 20.719

TERRA LABORIS ASBL – Sophie Remouchamps

Dans un arrêt du 28 février 2008, la Cour du travail de Mons tranche le cas d’un travailleur ayant presté pendant une période couverte par des allocations de chômage temporaire. Elle retient l’existence de périodes de travail, sur la base des constatations de l’inspection des lois sociales mais rejette l’existence d’une fraude, celle-ci ne pouvant être assimilée à une négligence.

Les faits

Monsieur M. est occupé par une entreprise du secteur du bâtiment. Il bénéfice, pour certaines de périodes, d’allocations de chômage temporaire, sur la base des formulaires C.3.2. remis et complétés par l’employeur.

La société employeur fait l’objet d’une instruction pénale, aux termes de laquelle des listes de présence d’ouvriers sur les chantiers sont saisies. Ayant obtenu l’accès au dossier, l’ONEm compare ces données avec les mentions des formulaires C.3.2. et constate un cumul entre des journées de travail et des journées indemnisées dans le cadre de l’assurance chômage. Il s’agit des 22, 23, 25 et 28 avril 2003.

Entendu par l’ONEm en juin 2006, l’intéressé signale ne pas se souvenir de cette période. Il déclare, en août 2006, avoir pu être abusé par l’employeur, vu notamment sa mauvaise maîtrise du français. Il précise n’avoir jamais signé de feuilles de présence.

L’ONEm prend une décision en septembre 2006, excluant l’intéressé du bénéfice des allocations de chômage pour le mois d’avril 2003 (et ordonnant la récupération des allocations pour cette période). Une sanction d’exclusion est également prise, à concurrence de 6 semaines, et ce vu les irrégularités dans les mentions de la carte de contrôle (absence de noircissement des journées travaillées). L’ONEm retient l’existence d’une fraude, et ce parce que l’intéressé aurait dû avoir conscience du système de fraude mis en place par l’employeur, qui concernait tous les ouvriers de l’entreprise.

L’intéressé conteste la décision et introduit un recours devant le Tribunal du travail.

La décision du tribunal

Le Tribunal réduit la période d’exclusion aux journées travaillées, déclare la récupération prescrite (refusant ainsi la fraude) et assortit la sanction d’un sursis total de trois ans.

La position des parties en appel

L’ONEm interjette appel du jugement quant à la sanction, contestant le sursis accordé par le premier Juge. Il souligne que l’intéressé, en contresignant les formulaires d’indemnisation, a participé à la fraude organisée par l’employeur, de sorte que la sanction doit pouvoir être effective.

L’intéressé introduit un appel incident, sollicitant la réformation pure et simple de la décision administrative. Il conteste la valeur probante de la liste de présence sur laquelle s’est basé l’ONEm pour établir la période de travail. Il signale que son auteur est inconnu et qu’elle ne porte aucune signature des travailleurs. Il conteste par ailleurs l’existence d’une fraude, étant lui-même victime du système mis en place par l’employeur.

La décision de la Cour

La Cour du travail examine tout d’abord si la matérialité des journées de travail est établie.

Elle relève que l’ONEm se fonde sur un procès-verbal de l’inspection des lois sociales. Examinant la valeur probante de celui-ci, la Cour rappelle que la force attachée aux procès-verbaux par l’effet de l’article 9 de la loi du 16 novembre 1972 concernant l’inspection du travail (faisant foi jusqu’à preuve du contraire) ne peut être retenue dans un litige mu devant les juridictions du travail et concernant une décision administrative. La force probante est limitée aux aspects pénaux (et pour autant que le procès-verbal ait été communiqué dans les délais fixés par la disposition). Par contre, vu le libellé de l’article 5 de la même loi, tel qu’il était applicable à la période litigieuse (autorisant l’inspection à communiquer les éléments de l’enquête au service de surveillance des institutions de sécurité sociale), le procès-verbal communiqué à l’ONEm constitue une présomption de l’homme (l’arrêt cite Cass., 28 avr. 1997, RG S960192N).

En l’espèce, la Cour retient le sérieux de l’enquête menée, appuyée par des éléments circonstanciés et corroborés par le service d’inspection de l’ONSS. Elle admet dès lors qu’il y a bien eu travail aux dates indiquées. L’exclusion, dans l’étendue fixée par le jugement (journées de travail), est ainsi confirmée.

En ce qui concerne la récupération, la Cour considère que, pour appliquer un délai quinquennal, l’ONEm doit prouver la fraude, soit l’existence de manœuvres frauduleuse ou de dol dans le chef du chômeur. Elle constate qu’en l’espèce, l’ONEm s’appuie uniquement, non sur le comportement de l’intéressé, mais sur celui de l’employeur (système mis en place par ce dernier). Par ailleurs, l’on ne peut retenir une fraude lorsqu’il n’y a eu que négligence (non vérification des données inscrites sur le formulaire). Les arguments de l’ONEm ne démontrent ainsi nullement la fraude invoquée. La Cour confirme donc le jugement, qui avait déclaré la récupération prescrite.

Enfin, quant à la sanction, la Cour rappelle qu’il lui appartient de vérifier la justesse et la légitimité des motifs invoqués par l’ONEm, que ce soit en fait ou en droit. Elle compare ainsi les arguments avancés par l’ONEm dans la décision administrative avec les faits tels que fixés par elle et estime que les éléments sur lesquels l’ONEm s’est fondé ne sont pas exacts (absence de faux au sens de l’article 196 du Code pénal, absence de fraude établie, période infractionnelle plus courte que celle retenue dans la décision). Si la Cour reconnaît qu’une sanction doit être ordonnée, elle maintient le sursis accordé par le premier Juge, vu le caractère très limité de la période infractionnelle ainsi que l’ancienneté des faits.

Intérêt de la décision

L’arrêt rappelle la force et la valeur probante des procès-verbaux établis par les inspecteurs sociaux. Il contient par ailleurs des précisions utiles quant à la notion de fraude, laquelle doit être distinguée de l’infraction elle-même. En l’espèce, seul un défaut de vérification des données du C.3.2. est retenu, ce qui est assimilable à de la négligence mais non à de la fraude. Il est intéressant de constater que, pour trancher la question de l’existence d’une fraude, la Cour examine uniquement les arguments invoqués par l’ONEm (qui supporte la charge de la preuve) et, constatant qu’ils sont insuffisants, rejette la notion de fraude.

L’arrêt rappelle également l’étendue des pouvoirs du juge en matière de sanction. Ici encore, le raisonnement tenu par la Cour est intéressant puisqu’il passe par une vérification de l’exactitude et le de la justesse des motifs retenus pour fixer la sanction.


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