Terralaboris asbl

Allocations de chômage et exercice d’un mandat de président d’une asbl

Commentaire de C. trav. Liège, sect. Namur, 18 mars 2008, R.G. 8.424/2007

Mis en ligne le mercredi 10 septembre 2008


Cour du travail de Liège, sect. Namur, 18 mars 2008, R.G. 8.424/2007

TERRA LABORIS ASBL – Sophie Remouchamps

Dans un arrêt du 18 mars 2008, la Cour du travail de Liège statue sur le droit aux allocations d’une chômeuse ayant exercé, sans déclaration préalable, un mandat de président au sein d’une asbl. La Cour se prononce sur le droit applicable, de même que sur les conditions de cumul entre cette activité et le bénéfice des allocations de chômage.

Les faits

Mme D., alors bénéficiaire d’allocations de chômage (chômage complet), constitue une asbl, dont les statuts sont déposés au greffe le 25 septembre 2003. Elle est désignée présidente de celle-ci.

Elle retrouve du travail du 1er octobre 2004 au 31 mars 2006 et exerce, à partir du 2 janvier 2005, une activité accessoire (massage).

Elle bénéficie à nouveau d’allocations de chômage à partir du 3 avril 2006. Au moment de sa demande d’allocations, elle déclare l’existence d’activités accessoires, étant d’une part celle exercée pendant la période de travail et d’autre part son mandat de présidente de l’asbl.

La première activité sera acceptée par l’Onem (autorisation de cumul). Mme D., à la suite des informations reçues pendant l’enquête administrative, démissionne par ailleurs de son mandat de présidente le 13 juin 2006, démission acceptée par l’A.G. de l’asbl le 15 juin (délibération déposée au greffe du Tribunal de commerce le 20 juin).

Par décision du 25 août 2006, l’Onem exclut l’intéressée du bénéfice des allocations de chômage pour les périodes du 10 avril 2003 (date de rédaction du projet de statut de l’asbl) au 30 septembre 2004 et du 10 avril 2006 au 25 août 2006. Cette exclusion est fondée sur l’exercice d’une activité pendant la période de chômage, étant celle de mandataire de l’asbl, activité qualifiée d’activité exercée « pour son propre compte ». La récupération des allocations (pour un montant de plus de 11.000 €) est également ordonnée. Quant à la sanction, elle est limitée à un avertissement, au regard de l’ignorance de l’intéressée de son obligation de déclarer l’activité bénévole.

Contestant cette décision, Mme D. saisit le Tribunal du travail, qui déclare son recours non fondé.

La position des parties en appel

Mme D. interjette appel de la décision du Tribunal, contestant d’une part l’exercice d’une activité intégrée dans le courant des échanges de biens et de services (vu son caractère ponctuel) et d’autre part la période d’exclusion, le mandat ayant été exercé de la création de l’asbl (septembre 2003) à la démission (juin 2006).

A titre subsidiaire, elle demande que l’indu récupérable soit limité aux jours de prestation et, à défaut, aux 150 derniers jours d’indemnisation, vu sa bonne foi.

La décision de la Cour

La Cour constate qu’il y a lieu de faire application des articles 44 et 45 de l’A.R. du 25 novembre 1991.

En vertu de l’article 45, est considérée comme du travail soit l’activité effectuée pour son propre compte intégrée dans le courant des échanges économiques et non limitée à la gestion normale des biens propres soit l’activité exercée pour un tiers, qui procure une rémunération (ou un avantage matériel contribuant à la subsistance du chômeur ou de sa famille).

L’activité litigieuse était en l’espèce celle de présidente de l’asbl et non l’activité accessoire, exercée en dehors de l’association. Pour la Cour, l’activité constituée par l’exercice du mandat de président au sein d’une asbl est une activité pour compte propre, solution retenue par analogie aux décisions de jurisprudence relatives aux mandataires de société.

La Cour constate ensuite que l’article 45, dans sa rédaction actuelle, contient trois conditions pour qu’une activité (pour compte propre) soit considérée comme limitée à la gestion normale des biens propres (et donc cumulable). Elle relève que ces conditions ont été introduites par l’A.R. du 26 mars 1996, arrêté dont la légalité est discutée, et ce vu les termes de la motivation de la dispense d’avis du Conseil d’Etat. Elle note que les dispositions de cet arrêté ont été reprises par l’A.R. du 28 juillet 2006, qui ne s’applique qu’aux activités exercées après le 1er août 2006.

Les parties n’ayant pas débattu de la légalité de la réglementation, la Cour précise examiner dans un premier temps si les conditions susmentionnées sont réunies dans le cas d’espèce. Si tel était le cas, les allocations seraient cumulables avec l’activité tandis qu’à défaut, la Cour ordonnerait la réouverture des débats pour permettre aux parties de s’expliquer. Elle précise toutefois que la période d’activité antérieure au 1er août 2006 devrait être examinée au regard de la réglementation existant avant les modifications apportées par l’A.R. du 26 mars 1996, de sorte que l’activité ne constituerait un obstacle au bénéfice des allocations que si elle est susceptible de fournir un revenu ou, pour le cas de l’administrateur de société, si elle est exercée dans le but de rentabiliser le capital investi.

C’est donc dans le but d’éviter une éventuelle réouverture des débats que la Cour examine si sont remplies les conditions exigées pour considérer l’activité comme limitée à la gestion normale des biens propres.

En ce qui concerne la 1re condition (l’activité ne doit pas être réellement intégrée dans le courant des échanges économiques et exercée dans un but lucratif), la Cour du travail relève que, si la Cour de cassation a considéré que cette condition n’est pas remplie dans le chef des mandataires de sociétés commerciales, c’est en raison du fait que l’exercice d’un mandat social entraîne l’assujettissement au statut social des travailleurs indépendants (même s’il ne procure pas de revenu). Or, tel n’est pas le cas pour les mandataires d’asbl. La Cour s’interroge ensuite sur la distinction, contenue dans la réglementation, entre « activité intégrée » et « activité réellement intégrée » dans le courant des échanges économiques de biens et de services. Relevant l’absence de travaux préparatoires susceptible d’éclairer l’interprétation, la Cour retient que la seconde hypothèse concerne les activités de loisirs ou celles qui ne poursuivent pas un but commercial ou lucratif. Il ne s’agit en tout état de cause pas d’imposer au chômeur de prouver l’absence d’une activité quelconque, sous peine de vider les textes de signification.

Appliquant ces principes au cas d’espèce, la Cour constate que l’asbl ne poursuit aucun but de lucre, qu’il n’y a aucun investissement personnel de l’intéressée, les recettes de l’absl se limitant à quelques formations dispensées. En conséquence, la Cour estime la 1re condition réunie. Elle précise par ailleurs que la date du début du mandat à retenir est celle du dépôt des statuts et non celle de leur rédaction.

Enfin, sur la 2e condition (activité exercée dans le but de conserver ou accroître modérément la valeur des biens), elle est remplie dès lors qu’il n’y a eu aucun apport personnel, que les éventuels actifs après liquidation de l’asbl doivent être versés à des œuvres similaires et que le mandat est gratuit. Sur le plan des principes, la Cour considère d’ailleurs que cette condition ne pose pas de difficulté dans le cas d’une activité exercée au profit d’une asbl.

Quant à la 3e condition (l’activité ne peut compromettre la recherche ou l’exercice d’un emploi), la Cour relève qu’il convient de vérifier si le chômeur peut encore consacrer du temps à la recherche d’un emploi, condition remplie dès lors qu’il y a eu une période de travail concomitante à l’exercice de l’activité. Vu l’exercice d’un tel emploi et l’absence de preuve que l’activité ait compromis la recherche d’un emploi, la Cour considère cette condition également remplie.

Dès lors que l’intéressée remplit les conditions restrictives de la réglementation en son état actuel, la Cour estime que l’exercice de l’activité ne pouvait constituer un obstacle au bénéfice des allocations. Elle annule ainsi, sans examen de la légalité de la réglementation appliquée, la décision administrative entreprise. Elle note enfin que la déclaration préalable à l’activité bénévole imposée par l’article 45bis de l’A.R. chômage est postérieure aux faits, de sorte qu’elle n’était pas requise.

Intérêt de la décision

La décision fait le point sur la question du droit aux allocations de chômage en cas d’exercice d’un mandat bénévole au sein d’une asbl et contient un important rappel des principes.

L’on peut cependant s’étonner que l’exercice d’un mandat au sein d’une asbl est retenu comme constituant une activité pour compte propre dès lors que le mandataire est également fondateur de l’association. Si une telle solution est aisément compréhensible pour le cas d’un mandataire de société, lui-même détenteur d’un part importante du capital social (qu’il fait indirectement fructifier par l’exercice du mandat), le mandataire de l’asbl exerce en principe le mandat pour le compte de l’asbl et non pour son propre profit. La distinction « travail pour compte propre » - « travail pour compte de tiers » est loin d’être sans conséquence puisque les conditions dans lesquelles l’activité est cumulable avec les allocations de chômage varient en fonction du type d’activité exercée.


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