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La négligence de l’entreprise d’assurances (manquement au devoir d’information sur les délais de l’action en revision) engage sa responsabilité civile

Commentaire de Trib. trav. Charleroi, 23 avril 2008, R.G. 06/181.404/A

Mis en ligne le mardi 9 septembre 2008


Tribunal du travail de Charleroi, 23 avril 2008, R.G. 06/181.404/A

TERRA LABORIS ASBL – Sophie Remouchamps

Dans un jugement du 23 avril 2008, le Tribunal du travail de Charleroi admet que, quoique informée d’une aggravation de l’état de santé de la victime, l’entreprise d’assurances qui omet d’informer celle-ci des délais et modalités d’introduction de l’action en revision (ayant conduit à la forclusion du droit) commet une faute engageant sa responsabilité civile. L’absence d’information n’est cependant pas retenue comme constituant une erreur invincible, susceptible de proroger le délai de revision.

Les faits

Monsieur M. est victime d’un accident du travail en date du 28 juillet 1994, ayant entraîné des traumatismes multiples. Les séquelles de cet accident sont fixées par un accord-indemnité, entériné par la F.A.T. en date du 1er décembre 1999. L’incapacité permanente est fixée à 40%.

Le délai de revision des conditions d’indemnisation courait dès lors du 1er décembre 1999 au 1er décembre 2002.

En juin 2002, le médecin traitant de l’intéressé écrit à l’entreprise d’assurances pour demander un accord pour un traitement, du fait d’une aggravation de l’état fonctionnel de l’épaule droite. L’aggravation est admise par le médecin-conseil de l’entreprise d’assurances, qui marque accord sur le traitement proposé.

Ultérieurement, en juillet 2004, le médecin-traitant reprend contact avec l’entreprise d’assurances, signalant, au vu du bilan physique et radiologique, la nécessité de revoir le taux d’incapacité permanente. Dans un rapport de revision d’octobre 2004, le médecin-conseil de l’entreprise d’assurances estime que le taux doit être porté à 45 %.

En janvier 2006, l’entreprise d’assurances signale que, vu l’expiration du délai de revision le 1er décembre 2002, la demande d’aggravation ne peut être prise en compte, d’autant qu’elle aurait pu être faite en septembre 2002.

L’intéressé assigne alors l’entreprise d’assurances, par citation du 1er août 2006, sollicitant la revision du taux d’incapacité permanente et, à titre subsidiaire, une indemnisation sur pied de l’article 1382 du Code civil.

La position des parties

Monsieur M. ne conteste pas que l’action en revision est soumise à un délai de prefix de 3 ans, ayant expiré le 1er décembre 2002. Il soutient cependant, quant à la recevabilité de l’action en revision, que le juge peut proroger le délai de revision, du fait de l’existence d’une erreur invincible. L’erreur invoquée est l’absence d’information de la part de l’entreprise d’assurances quant aux délais pour solliciter une aggravation, alors même qu’elle était au courant de l’existence de l’aggravation.

A titre subsidiaire, il invoque une faute (négligence coupable) dans le chef de l’entreprise d’assurances, celle-ci ayant manqué aux obligations d’information et de conseil prévues par la circulaire n°216 du 20 juin 1986 du Ministère de la ¨Prévoyance sociale et par la Charte de l’assuré social. Le dommage réclamé est l’équivalent des indemnités qu’il aurait pu percevoir si l’action en revision avait été recevable. Il sollicite la désignation d’un médecin expert afin que ces éléments puissent être fixés.

La décision du tribunal

Le Tribunal estime l’action en revision, fondée sur l’article 72 de la loi du 10 avril 1971, irrecevable, étant introduite tardivement. Il rejette ainsi l’argument tiré de l’existence d’une erreur invincible. A cet égard, le Tribunal estime que, n’ayant reçu aucune information ou avis quant au délai de revision, l’intéressé n’a pas été mal informé ou mal conseillé. Vu l’absence même d’information, la jurisprudence relative à l’erreur invincible, qui se fonde sur une information erronée (et donc existante), ne peut trouver à s’appliquer.

Par contre, le Tribunal retient l’existence d’une faute au sens de l’article 1382 du Code civil dans le chef de l’entreprise d’assurances, étant un manquement au devoir d’information et de conseil reposant sur celle-ci, obligations fondées sur la circulaire n°216 précitée ainsi que sur la Charte de l’assuré social (loi du 11 avril 1995).

Concernant ce dernier fondement, le Tribunal relève que l’article 3, alinéa 1er et 3, de la Charte impose à l’entreprise d’assurances d’informer la victime, devoir d’information qui dépasse l’obligation de répondre aux demandes de renseignement de la victime et doit se comprendre à la lumière de ratio legis de la Charte (assurer une prise en charge meilleure de l’assuré social). Il souligne que l’obligation de conseil (art. 4 de la Charte) impose à l’entreprise d’assurances d’aiguiller l’assuré social sur la meilleure manière de faire valoir ses droits, et ce en fonction des éléments de fait en sa possession.

En l’espèce, le Tribunal conclut que, saisie pendant le délai de revision d’une demande de prise en charge d’un traitement, dont l’instruction a démontré une aggravation du bilan séquellaire, l’entreprise devait communiquer d’initiative les informations nécessaires pour permettre à Monsieur M. de faire valoir ses droits, ce qui était encore possible à ce moment là.

En s’abstenant d’informer l’intéressé, spécialement quant aux délais et modalités d’introduction de l’action en revision, l’entreprise d’assurances a commis une faute, engageant sa responsabilité civile.

Quant au dommage, le Tribunal l’estime existant, dès lors que le médecin-conseil de l’entreprise d’assurances a reconnu une augmentation du taux d’incapacité permanente. Monsieur M. estimant que le taux final est supérieur à celui admis, le Tribunal fait droit à sa demande d’expertise, afin de lui permettre de fixer définitivement son dommage. La mission confiée à l’expert est la mission habituelle en matière de revision.

Intérêt de la décision

Outre l’analyse de l’existence d’une erreur invincible en cas d’absence d’information, la décision contient un examen des dispositions de la Charte de l’assuré social, fondement légal suffisant au devoir d’information et de conseil des institutions de sécurité sociale. Le jugement enseigne ainsi qu’à défaut d’informer utilement l’assuré social sur ses droits et la manière de les faire valoir alors qu’elle était en mesure d’apprécier l’existence de ceux-ci, l’institution de sécurité sociale commet une faute et engage ainsi sa responsabilité civile. Le dommage est constitué de la perte des avantages liés à l’absence d’information (ici l’introduction de la procédure judiciaire dans les délais, ce qui aurait permis d’obtenir des indemnités plus élevées).


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