Terralaboris asbl

Accord de la victime et contestation ultérieure

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 25 février 2008, R.G. 46.166

Mis en ligne le mardi 9 septembre 2008


Cour du travail de Bruxelles, 25 février 2008, R.G. n° 46.166

TERRA LABORIS ASBL – Mireille Jourdan

Dans un arrêt du 25 février 2008, la Cour du travail de Bruxelles, a considéré que l’accord donné par la victime d’un accident du travail, dans le cadre de la procédure fixée à l’arrêté royal du 24 janvier 1969 relatif à la réparation des accidents du travail dans le secteur public, engage définitivement celui-ci.

Les faits

Un agent contractuel subventionné est victime d’un accident du travail dans ses fonctions de préposé à une bibliothèque communale. Il subit une période d’incapacité de travail, qui n’est pas contestée, et reprend son travail pour la suite de son contrat.

Le médecin conseil de l’assureur de la commune propose une période d’ITT d’environ un an, une date de consolidation au jour de l’examen médical et un taux d’IPP de 5%.

Après ce rapport et après la consolidation, l’intéressé retombe en incapacité de travail et cette période est rejetée par l’assureur qui fait valoir à la victime que l’on se trouve à ce moment après consolidation et qu’il peut soumettre le litige au tribunal du travail. La commune précise que, à ce moment, son dossier est toujours examiné par le Service de Santé Administratif (SSA - actuellement MEDEX) en vue de fixer le taux d’invalidité éventuel.

Ceci sera fait quelques mois plus tard et le SSA adresse à ce moment à l’intéressé les conclusions de l’expertise médicale. Il précise que, s’il marque accord avec celles-ci, elles seront communiquées au service du département auquel l’accident a été déclaré et que, par contre, s’il n’y a pas accord, il dispose d’un délai de 10 jours pour interjeter appel. Les circonstances du renvoi de ces conclusions au SSA ne sont pas claires, l’assuré social signalant avoir fait des réserves mais celles-ci ne sont pas établies.

Quelques semaines plus tard, les conclusions du SSA sont transmises à l’administration communale et celle-ci envoie à l’intéressé une proposition d’indemnisation, lui demandant s’il est d’accord sur le taux de réparation et sur la rente. Il répond qu’il « signale (son) accord sur le taux de réparation et sur ladite rente ». Le Collège communal prend ensuite une décision définitive, décision qui fera courir le délai de revision visé aux articles 10 et 11 de l’arrêté royal du 24 janvier 1969.

Deux mois après cette décision, la victime assigne l’administration communale devant le tribunal du travail de Tournai afin d’entendre désigner un expert dont la mission portera sur l’incapacité de travail dont il est atteint, son origine ainsi que la relation causale avec l’accident. Il fait valoir qu’il se trouve à cette époque toujours en incapacité de travail et que celle-ci doit être considérée comme la conséquence de l’accident en cause.

La position du tribunal

Le tribunal du travail désigne un expert, qu’il charge d’une mission complète consistant à apprécier l’ensemble des conséquences de l’accident et non pas uniquement les seules périodes de l’incapacité temporaire. À la suite de ces travaux d’expertise, l’expert conclura à une date de consolidation postérieure à celle admise, ainsi qu’à un taux d’IPP beaucoup plus élevé (30% au lieu de 5%). Ces conclusions sont acceptées lors de la séance d’expertise médicale par les deux médecins conseils.

Le tribunal entérine ces conclusions.

La position de la Cour du travail de Mons

Saisi de l’appel de l’administration communale, la Cour du travail de Mons va confirmer le jugement dont appel sauf en ce qu’il visait la loi du 10 avril 1971 (la législation applicable étant la loi du 3 juillet 1967).

La position de la Cour de cassation

La Commune se pourvoit en cassation par arrêt du 8 mai 2000 et la Cour suprême va casser l’arrêt de la Cour du travail de Mons et renvoyer la cause vers la Cour du travail de Bruxelles.

Dans son arrêt, la Cour de cassation considère que l’arrêté royal du 24 janvier 1969 relatif à la réparation en faveur des membres du personnel du secteur public des dommages résultant des accidents du travail et des accidents survenus sur le chemin du travail vise, en son article 9 alinéa 3, l’accord des parties sur le montant de la rente à laquelle la victime a droit et que cette disposition laisse à celles-ci toute liberté de consentement, notamment en ce qui concerne la fixation, dans les limites de la décision du SSA, du pourcentage de l’incapacité permanente. Pour la Cour suprême, la Cour du travail de Mons n’a pas légalement justifié sa décision en énonçant que l’accord concernant l’incapacité permanente doit concerner tous les paramètres de l’avis ainsi que l’accord sur la date de la consolidation et qu’en l’occurrence, aucun accord n’étant intervenu quant à cette date, la décision limitée au seul taux d’incapacité permanente était inapplicable.

Elle casse dès lors l’arrêt.

La position des parties devant la Cour du travail de Bruxelles

La victime se fonde sur le caractère d’ordre public de la loi pour tenter de remettre en cause l’accord qu’elle a exprimé quant à la réparation de l’accident. Elle considère que le juge doit vérifier d’office si la loi a été observée, et ce quand bien même la législation dans le secteur public ne comporte pas expressis verbis l’équivalent de l’article 6 § 3 de la loi du 10 avril 1971 relatif à cette obligation de vérification d’office par le juge.

Elle s’appuie en outre sur un arrêt de la Cour de cassation du 4 septembre 1989, qui a considéré que cette obligation s’applique également au secteur public. En conséquence, pour elle, il se justifie d’un point de vue médical de reconnaître une incapacité permanente plus élevée et le juge doit accorder celle-ci quand bien même une proposition initiale inférieure aurait été acceptée.

L’administration communale sollicite, quant à elle, que soit constatée la validité de l’accord.

La position de la Cour du travail de Bruxelles

Après avoir rappelé la procédure mise sur pied par l’arrêté royal du 24 janvier 1969, la Cour se réfère à un arrêt de la Cour du travail de Mons (C. trav. Mons, 1er déc. 2000, J.T.T., 2001, p.32) selon lequel il y a dans la procédure mise sur pied les mécanismes contractuels de l’offre et de l’acceptation, de telle sorte que la « proposition » signée pour accord constitue un contrat consensuel. La nullité de celui-ci peut être poursuivie sur la base d’un vice de consentement ou sur la base de l’article 17 § 2 de la loi du 3 juillet 1967, qui dispose que toute convention contraire aux dispositions de la loi est nulle de plein droit.

Pour la Cour, le caractère d’ordre public de la législation a notamment pour conséquence que les juridictions du travail doivent vérifier si l’accord qui est intervenu est conforme aux dispositions de la loi. Il n’a cependant pas pour effet de rendre nul ou inopérant un accord qui serait régulièrement conclu sur le taux d’IPP tel que fixé par le SSA et sur le montant de la rente. Ainsi, il pourrait être annulé par exemple s’il devait apparaître que la rente n’a pas été établie conformément aux dispositions légales ou si, autre exemple, en cas d’accident mortel, l’accord allouait la rente à une personne qui n’est pas légalement un ayant droit. Telle est, pour la Cour, la portée de la disposition légale. Ceci ne vise toutefois pas l’hypothèse où une expertise réalisée un an après l’accord fait apparaître un taux d’incapacité de travail permanente plus avantageux que celui fixé par le SSA et accepté par la victime.

Se penchant, alors, sur la thèse développée à titre subsidiaire par la victime - étant un vice de consentement, en l’occurrence une erreur substantielle excusable - la Cour va retenir que, sur la base des éléments de fait, une telle erreur n’existe pas. La procédure a en effet été régulièrement suivie, la victime était assistée d’un médecin traitant ainsi que d’un neurochirurgien. Elle considère en conséquence que, s’il y a eu erreur d’appréciation, cette erreur est en l’espèce inexcusable, c’est-à-dire une erreur que n’aurait pas commise un homme raisonnable. Celle-ci ne constitue toutefois pas un vice de consentement au sens des articles 1109 et 1110 du Code civil.

Intérêt de la décision

La décision annotée a le mérite de redéfinir ce qu’il y a lieu d’entendre par caractère d’ordre public de la législation, en ce qu’il détermine le pouvoir du juge. Pour la Cour, dans la mesure où la procédure d’accord est prévue dans la réglementation, le contrôle judiciaire portera non sur les termes de cet accord mais sur la conformité de celui-ci avec le mécanisme légal de réparation. Une erreur faite quant à la fixation du taux ne peut, par ailleurs, constituer un vice de consentement.


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