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Une tentative d’assassinat d’un directeur d’un internat scolaire devant son logement de fonction, en-dehors des heures de travail, ne constitue ni un accident du travail ni un accident sur le chemin du travail

Commentaire de C. trav. Liège, 14 mars 2008, R.G. 32.619/04

Mis en ligne le mardi 9 septembre 2008


Cour du travail de Liège, 14 mars 2008, R.G. 32.619/04

TERRA LABORIS ASBL – Mireille JOURDAN

Dans un arrêt du 14 mars 2008, la Cour du travail de Liège a été confrontée au cas d’une tentative d’assassinat d’un directeur d’un internat, perpétré par le compagnon de son ex-épouse, devant le logement de fonction et après qu’il soit allé chercher son fils à son activité sportive. Elle estime qu’il ne s’agit pas d’un accident (sur le chemin) du travail. Dans cet arrêt, la Cour se prononce également sur la possibilité, pour l’autorité publique, de revenir sur une décision d’acceptation des faits.

Les faits

Monsieur T. est directeur d’un internat dépendant de la Communauté française, dans la région de Huy, internat situé dans les bois.

En début de soirée, le vendredi 22 décembre 1995, alors qu’il revient à son domicile de fonction, situé dans l’internat, après être allé chercher son fils à son activité sportive, il est victime de coups de feu. Ceux-ci sont le fait d’un sieur H., compagnon de l’ex-épouse de Monsieur T.

H. sera reconnu coupable, par la Cour d’assises, de tentative d’homicide volontaire, avec intention de donner la mort et préméditation. Il ressort de l’arrêt rendu que les motifs de l’agression sont strictement privés.

Monsieur T., sorti paraplégique de l’agression, décèdera en cours de procédure.

La Communauté française prend une première décision, le 24 janvier 1996, par laquelle elle accepte les faits. Ensuite, elle prend, le 28 juillet 1997, une décision rectificative, estimant qu’il n’y avait ni accident du travail, ni accident sur le chemin du travail.

La position des parties

Monsieur T. (et à sa suite ses héritiers), soutient que la décision rectificative est illégale et demande au Tribunal d’en écarter l’application. A titre subsidiaire, il demande aux juridictions du travail de reconnaître les faits comme constitutifs d’accident du travail ou d’accident sur le chemin du travail.

La décision du tribunal

Le Tribunal rejette la demande, estimant d’une part que la décision rectificative est admissible dans son principe et d’autre part que les faits ne peuvent être qualifiés ni d’accident du travail ni d’accident sur le chemin du travail.

Sur la qualification des faits, le Tribunal estime que, pour retenir l’existence d’un accident du travail, celui-ci doit être survenu dans le cours de l’exécution du contrat et de par le fait de l’exercice des fonctions.

Il appartient à la victime de prouver que l’accident est survenu alors qu’elle était toujours sous l’autorité de l’employeur et que l’exécution du contrat était effective. S’il y a interruption dans le travail, l’accident survenu pendant cette interruption n’est pas un accident du travail. Quant au cas des travailleurs logés dans l’entreprise, le Tribunal estime qu’ils ne peuvent être considérés comme exécutant, en dehors de leurs prestations ordinaires, leur travail que s’il est établi que l’accident est lié à une obligation née du contrat, telle une obligation de surveillance. Pour le Tribunal, cette preuve n’est pas apportée. Il précise par ailleurs que l’accident n’est pas survenu du fait des fonctions de l’intéressé, l’agression ne présentant aucun lien avec l’exécution du contrat ou le milieu de travail. Le seul fait de la situation géographique particulière de l’internat est retenu comme insuffisant, dès lors que l’isolement est un fait courant « à la campagne ».

Le Tribunal estime par ailleurs qu’il ne peut s’agir d’un accident sur le chemin du travail, vu que le trajet accompli au moment où survient l’agression reliait le hall omnisport où le fils avait effectué son activité et le logement de fonction, tandis qu’il n’est pas établi qu’il se rendait à son logement pour y exécuter une prestation de travail.

La décision de la Cour

La Cour confirme la décision du premier Juge, et ce sur les trois aspects du litige.

Ainsi,

En ce qui concerne la légalité de la décision administrative rectificative, la Cour confirme sa validité. Elle se fonde sur le caractère d’ordre public de la loi du 3 juillet 1967, qui autorise l’autorité publique à prendre une décision rectificative dès lors qu’elle constate que les conditions légales de reconnaissance des faits ne sont pas remplies. Pour la Cour, l’autorité publique ne peut attribuer à l’accident la nature d’un accident du travail si tel n’est pas le cas. Elle précise par ailleurs que la règle selon laquelle une décision administrative peut être retirée dans le délai de recours en annulation devant le Conseil d’Etat ne s’applique pas lorsque l’acte est contraire à l’ordre public. Dans ce cas, l’acte peut être retiré à tout moment.

Sur la qualification des faits, la Cour retient également qu’il n’est pas établi que l’accident est survenu dans le cours de l’exécution des fonctions de la victime, dès lors qu’il y a eu interruption dans cette exécution (le fait d’aller récupérer le fils à son activité sportive) et que, même à supposer exact que Monsieur T. ait encore dû faire un tour des bâtiments, l’accident est survenu pendant l’interruption.

Tout comme le Tribunal, la Cour estime que le caractère strictement privé des motifs de l’agression, tels que résultant de l’arrêt de la Cour d’assises, ôte à celle-ci tout caractère professionnel, aucune circonstance ne pouvant relier l’agression à l’exécution des fonctions, laquelle aurait donc pu se produire à n’importe quel endroit.

Enfin, la Cour estime également qu’il ne peut être question d’un accident survenu sur le chemin du travail, le trajet reliant le lieu de l’activité (privée) du fils au logement, soit un trajet qui n’a pas un caractère professionnel.

Intérêt de la décision

Cette décision, qui contient de larges renvois au jugement, fait le point sur les notions d’accident du travail et sur le chemin du travail dans l’hypothèse où l’accident survient en-dehors des heures habituelles de travail. Elle contient ainsi un intéressant rappel des principes applicables, notamment sur la charge de la preuve reposant sur la victime, qui doit établir la survenance de l’accident pendant l’exécution du travail ou sur le chemin normal domicile/lieu du travail.

Cette décision précise par ailleurs qu’une autorité publique peut revenir sur une décision d’acceptation des faits, et ce à n’importe quel moment. La Cour se fonde sur le caractère d’ordre public de la matière.


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