Terralaboris asbl

Cumul autorisé de plusieurs pensions de retraite (secteur public et secteur privé) et prise en compte du paiement du capital d’une assurance de groupe

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 20 février 2008, R.G. 42.419 - 42.468

Mis en ligne le jeudi 28 août 2008


Cour du travail de Bruxelles, 20 février 2008, R.G. n° 42.419 – 42.468

TERRA LABORIS ASBL – Pascal Hubain

Dans un arrêt du 20 février 2008, la Cour du travail de Bruxelles a eu à connaître de l’application des règles de limitation de cumul prévues par la loi du 5 août 1978 de réorientation économique. Elle a, à cette occasion, admis sa compétence s’agissant, dans une telle situation de cumul, de statuer dans le cadre d’une pension du secteur public et elle a une nouvelle fois rappelé les conditions d’application de l’article 20 de la Charte de l’assuré social.

Les faits

Après avoir travaillé pendant 34 ans pour le Centre d’étude de l’énergie nucléaire (CEN) et avoir également été chargé de cours à l’ULB, un salarié sollicite une pension de retraite le 14 décembre 1987 auprès de l’ONP. Lui est liquidé, quelques jours plus tard, un capital d’assurance groupe souscrite par le CEN d’un montant de l’ordre de 500.000€. Une première décision est prise par l’ONP, six mois plus tard, accordant une pension de retraite sur la base d’une carrière de 44/45es. Une décision interviendra ultérieurement corrigeant la carrière, qui est alors prise en compte à concurrence de 45/45es. En octobre 1992, une pension de retraite est accordée à l’intéressé pour son activité de chargé de cours à l’ULB, et ce pour un montant de l’ordre de 3000€ par an.

Celui-ci reçoit entre-temps une rente de vieillesse de l’ONP, de l’ordre de 1.250€ par an.

Cinq ans plus tard, en 1997, l’Administration des Pensions (Ministère des Finances) annonce à l’intéressé une réduction de sa pension de l’ordre 8.500€ par an en application de l’article 40 de la loi du 5 août 1978 de réformes économiques et budgétaires (qui fixait un plafond de cumul en cas de perception de plusieurs pensions de retraite). La pension de chargé de cours est dès lors suspendue avec effet immédiat. L’Administration des Pensions avise dans le même temps l’ONP de ce qu’il y a lieu de réduire la pension de retraite dans le régime des travailleurs salariés à concurrence de la différence entre le montant global de la réduction et l’avantage déjà retiré, étant la pension du secteur public.

En conséquence, l’ONP signale à l’intéressé que sa pension dans le régime des travailleurs salariés serait réduite à concurrence de l’ordre de 5.000€ environ. Un recours est introduit par le bénéficiaire.

La position du tribunal

Le tribunal du travail de Nivelles doit ainsi statuer sur la nature du Centre d’étude de l’énergie nucléaire au regard de la loi du 5 août 1978, étant de savoir s’il s’agit d’une institution ayant un but d’utilité publique. Il répond par l’affirmative mais considère qu’il n’est pas visé par l’article 38 de la loi, celui-ci concernant les organismes créés par l’état, les provinces et les communes dans un but d’utilité publique. Dès lors, il n’y a pas lieu de faire intervenir dans le calcul du plafond du cumul l’assurance de groupe versée par les AG en capital.

Pour le tribunal, il n’y a dès lors pas dépassement du plafond et le recours doit être considéré comme fondé.

La position des parties en appel

L’ONP et l’Etat belge interjettent tous deux appel, mais l’Etat belge revient rapidement sur sa position, vu un arrêt rendu par la Cour du travail de Gand le 10 décembre 2004 sur la nature du CEN. Il accepte dès lors de reprendre les paiements de la pension d’enseignant avec effet rétroactif. Ultérieurement, l’ONP revoit également sa position et reprend le paiement de la pension avec arriérés. Il décide, en conséquence, de ne plus poursuivre la réformation du jugement.

L’Etat belge, Administration des Pensions (devenu entre-temps un organisme public : Service des Pensions du Secteur public) demande toutefois à la Cour de se déclarer incompétente ratione materiae en ce qui concerne la pension du secteur public, d’où la décision de la Cour sur cette question.

La position de la Cour

La Cour suit – en le reproduisant intégralement d’ailleurs – l’avis de l’Avocat général M. Palumbo.

Celui-ci a rappelé que, isolément, le volet pension du secteur public n’est pas de la compétence des juridictions du travail mais qu’en l’espèce le litige principal a opposé l’assuré social à l’ONP. Ce litige relevant tout naturellement de la compétence de la Cour du travail et le second venant se greffer dessus, constituant ainsi l’accessoire « du principal », les deux litiges doivent être jugés ensemble, ce que commande l’administration d’une bonne justice.

Le second point vise la question des intérêts sur les arriérés de pension et le premier Avocat général de rappeler qu’avant la Charte de l’assuré social, il y avait en cas de retard dans le paiement des prestations, recours à l’article 1153 du Code civil, l’obligation portant sur le paiement d’une somme d’argent et entraînant, ainsi, en cas de retard dans l’exécution, la débition d’intérêts moratoires calculés au taux légal. Ce mécanisme exigeait cependant l’envoi d’une sommation, s’agissant d’intérêts moratoires.

Depuis la Charte de l’assuré social, l’article 20 vient régler la question mais il a lieu de le lire en combinaison avec l’article 10, lorsque la décision d’octroi est tardive et que cette lenteur est due à l’institution de sécurité sociale : dans cette hypothèse, les intérêts sont dus à l’expiration du délai prévu à cet article.

Se pose dès lors la question de savoir si la Charte est seulement applicable quand les prestations de sécurité sociale sont payées tardivement en vertu d’une décision d’octroi ou si elle l’est également en exécution d’une décision judiciaire qui vient réformer une décision administrative de refus.

Est alors rappelé l’enseignement de l’arrêt de la Cour Constitutionnelle du 8 mai 2002 (arrêt n° 78/2002), qui a considéré qu’il n’est pas pertinent par rapport aux objectifs du législateur de traiter les bénéficiaires assurés sociaux de manière différente selon que ce retard intervient dans le cadre d’une décision administrative ou d’une décision judiciaire.

Relevant par ailleurs l’autre interprétation qui peut être donnée à l’article 20 de la Charte, c’est-à-dire que la notion d’exigibilité contenue dans l’article 20 s’identifie à la naissance du droit, elle relève que les intérêts moratoires prennent cours à la date à laquelle le droit aux prestations est né, c’est-à-dire à la date à laquelle elles auraient dû être payées. Pour la Cour constitutionnelle, cette interprétation est conforme : l’assuré social, obligé de patienter dans l’attente du paiement des prestations à la suite d’une décision erronée de l’institution sociale ou tenu d’attendre en raison de la lenteur de l’institution, doit se voir appliquer la règle de l’article 20, étant que les intérêts débutent de plein droit à la date à laquelle les prestations auraient dû être payées.

La Cour rappelle également avec le premier Avocat général un autre arrêt de la Cour Constitutionnelle du 16 février 2005 (R.W. 2005-2006, 891) où elle a estimé que sa jurisprudence était également applicable en cas de prestations payées en exécution d’une décision judiciaire réformant la décision d’office de revision par une administration attribuant des allocations plus importantes. Il faut ici comprendre par « exigibilité », la date à laquelle les prestations auraient dû être payées.

En conséquence, en l’espèce, l’on se trouve en présence de deux décisions de revision et les intérêts sont dus pour la période admise ouvrant un droit aux arriérés.

La Cour confirme dès lors l’obligation pour les deux administrations d’augmenter les sommes des intérêts de retard dus en application de l’article 20 de la Charte.

Intérêt de la décision

Cet intérêt est double, puisque d’une part la Cour rappelle que, dans un cas comme celui tranché, les juridictions du travail peuvent se déclarer compétentes pour les pensions du secteur public et, par ailleurs, c’est encore une fois l’application de l’article 20 de la Charte qui est confirmée en cas de retard de paiement de prestations de sécurité sociale, que ce soit dû à une décision administrative ou à une décision judiciaire.


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