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Conditions de cumul des allocations d’interruption de carrière avec une activité indépendante

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 17 mai 2024, R.G. 2023/AL/61

Mis en ligne le jeudi 28 novembre 2024


Cour du travail de Liège (division Liège), 17 mai 2024, R.G. 2023/AL/61

Terra Laboris

Résumé introductif

Un litige en matière d’allocations d’interruption de carrière est un litige visé à l’article 582, 5° du Code judiciaire, de sorte que ce n’est pas la notification du jugement qui fait courir le délai d’appel.

Sont recevables au titre d’appel incident respectant l’article 1054, alinéa 2, du Code judiciaire la contestation et les demandes formulées dans les premières conclusions, dépassant les limites de l’appel principal – même si la réformation du jugement n’est pas sollicitée expressément -, l’intimé postulant ainsi clairement l’élargissement de la saisine de la cour au-delà de celles-ci.

Il ne faut pas confondre l’interdiction de cumul entre l’allocation d’interruption et la perception de revenus avec cette même interdiction entre les allocations de chômage et l’activité indépendante, cas dans lequel celle-ci vaut même si le travail ne produit pas de rémunération.

Dispositions légales

  • Arrêté royal du 7 mai 1999 relatif à l’interruption de carrière professionnelle du personnel des administrations - article 23

Faits de la cause

Un agent du secteur public était en congé parental (réduction d’un cinquième de prestations à temps plein) pour la période du 1er mai 2020 au 28 février 2021.

Le 27 août 2020, l’ONEM prit une décision, arrêtant son droit aux allocations afférentes à cette interruption à partir du 7 juillet 2020. L’ONEm se fonde sur l’article 23 de l’arrêté royal du 7 mai 1999 relatif à l’interruption de carrière professionnelle du personnel des administrations, et ce vu le cumul non autorisé avec une activité indépendante, l’intéressé s’étant inscrit ce jour à la BCE.

Un recours a été introduit par requête déposée devant le tribunal du travail de Liège, division Liège.

Le demandeur y expose que sa formation de médiateur agréé s’est clôturée le 4 juillet, l’aboutissement de sa demande d’agrément exigeant cependant une assurance professionnelle. L’inscription à la BCE a été, dans ce contexte, demandée par son courtier pour la souscription du contrat. Il est dès lors inscrit pour des besoins administratifs uniquement. Pour la suite, il explique ne pas avoir pu commencer son activité (manque de moyens, situation COVID) et connaître des difficultés financières suite à la perte des allocations.

La décision du tribunal

Par jugement du 14 novembre 2022, le tribunal, accueillant partiellement la demande, a limité l’exclusion à la période du 29 septembre 2020 au 28 février 2021 et a condamné l’ONEm au paiement des arriérés d’allocations.

C’est à cette date en effet que l’agrément a été obtenu effectivement.

Les deux parties interjettent appel.

Position des parties devant la cour

L’appel principal de l’ONEM vise la date d’inscription à la BCE, qui a été retenue comme date de prise de cours de l’activité indépendante.

Quant à l’intimé, il persiste à considérer que l’inscription ne correspond pas à l’entame d’une activité indépendante, n’ayant effectué aucune prestation et n’ayant eu aucun revenu d’indépendant pour l’année 2020. Il expose également avoir dû reprendre son travail à temps plein le 1er décembre et avoir subi un préjudice financier et moral.

La décision de la cour

La cour tranche en premier lieu une question relative à la recevabilité des appels (principal et incident), ceux-ci devant, selon l’avis du ministère public, être déclarés irrecevables.

Pour ce qui est de l’appel principal de l’ONEM, il a été introduit par requête du 10 février 2023, soit plus d’un mois après la notification du jugement effectuée conformément à l’article 792, alinéas 2 et 3 du Code judiciaire. La position de l’ONEM sur ce point est que cette disposition n’est pas applicable en matière d’allocations d’interruption de carrière, où le délai d’appel ne commence à courir qu’à dater de la signification du jugement.

La cour note que le ministère public renvoie à un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 23 août 2017 (C. trav. Bruxelles, 23 août 2017, R.G. 2016/AB/57) selon lequel les allocations d’interruption à charge d’un organisme de sécurité sociale tel que lONEm constituent un avantage social accordé au travailleur salarié en application de la loi ou d’un règlement, étant ainsi visées par l’article 580, 2° du Code judiciaire. En conséquence, l’appel doit être interjeté dans le mois de la notification effectuée conformément à l’article 792, alinéa 2 du Code judiciaire.

L’ONEM fait cependant valoir deux arrêts plus récents en sens contraire de la Cour du travail de Bruxelles prononcés le 13 février 2024 (C. trav. Bruxelles, 13 février 2024, R.G. 2022/AB/243 et C. trav. Bruxelles, 13 février 2024, RG 2021/AB/340), selon lesquels le litige est un litige visé à l’article 582, 5° du Code judiciaire, de sorte que ce n’est pas la notification du jugement qui fait courir le délai d’appel.

La cour se rallie à cette seconde tendance et admet la recevabilité de l’appel principal.

Quant à l’appel incident, qui, selon le Ministère public, ne serait pas conforme au prescrit de l’article 1054, alinéa 2, du Code judiciaire vu qu’il ne figure que dans les deuxièmes conclusions de l’intimé, la cour le reçoit au motif que si l’intéressé n’a pas sollicité explicitement la réformation du jugement dans ses premières conclusions, il a exprimé des contestations et demandes allant à l’encontre de certaines des dispositions de celui-ci, qui dépassaient les limites de l’appel de l’ONEm.

Il s’agit notamment de la circonstance que l’activité indépendante n’avait pas été entamée avant novembre alors que le jugement avait fixé cette date plus tôt et qu’il estimait avoir un préjudice financier. Ce faisant, l’intimé a « clairement postulé l’élargissement de la saisine de la cour au-delà des limites de l’appel principal de l’ONEM ». L’appel incident a dès lors été formé dans les premières conclusions.

Quant au fond, la cour donne le texte de l’article 23 de l’arrêté royal du 7 mai 1999 relatif à l’interruption de carrière professionnelle du personnel des administrations, qui énonce les conditions de cumul des allocations d’interruption avec d’autres revenus.

En règle le cumul est interdit (article 14). Pour vérifier s’il y a des revenus de travailleur indépendant, l’activité en cause doit faire l’objet d’une déclaration à l’INASTI (article 14 bis) et le droit aux allocations est perdu si l’activité produisant des revenus dépasse une année (article 15).

Pour la cour, qui renvoie ici à un arrêt rendu par la Cour du travail de Bruxelles le 28 novembre 2014 (C. trav. Bruxelles, 28 novembre 2014, R.G. 2013/AB/85), en l’absence de revenus les allocations d’interruption sont dues.

Elle reprend un large extrait de cette décision de la Cour du travail de Bruxelles, relevant expressément qu’il ne faut pas confondre l’interdiction de cumul entre l’allocation d’interruption et la perception de revenus avec l’interdiction de cumul entre les allocations de chômage et l’activité indépendante (articles 44 et 45 de l’arrêté royal organique), cas dans lequel l’interdiction de cumul vaut même si le travail ne produit pas de rémunération. La distinction est fondée sur la circonstance qu’en cas de chômage les allocations compensent une perte de revenus et exigent une disponibilité du chômeur sur le marché du travail, ce qui n’est pas le cas en cas d’allocations d’interruption, où le bénéficiaire ne doit pas rester disponible puisqu’il est toujours lié par une relation de travail avec son employeur. Il faut retenir non l’inscription à l’INASTI mais l’existence de revenus.

Pour la cour du travail de Liège, cette inscription peut tout au plus signifier une présomption d’exercice d’une activité indépendante et celle-ci peut être renversée (et ce même par la preuve par vraisemblance – autorisée en vertu de l’article 8. 6 du Code civil).

Elle rejette dès lors la position de l’ONEM selon laquelle la seule inscription à la BCE s’oppose au bénéfice des allocations d’interruption.

La cour ne vide cependant pas sa saisine, une dernière question devant être examinée contradictoirement, s’agissant de savoir le critère à prendre en compte pour l’interdiction de cumul : le seul exercice de l’activité indépendante ou le fait de retirer des revenus de celle-ci ?

Une réouverture des débats est dès lors ordonnée sur cette question.


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