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Limitation dans le temps des allocations d’insertion : conditions de neutralisation de la période précédant le mois qui suit le trentième anniversaire

Commentaire de C. trav. Liège (div. Namur), 16 novembre 2023, R.G. 2023/AN/2

Mis en ligne le jeudi 28 novembre 2024


Cour du travail de Liège (division Namur), 16 novembre 2023, R.G. 2023/AN/2

Terra Laboris

Dans un arrêt du 16 novembre 2023, la Cour du travail de Liège applique l’arrêt de la Cour de cassation du 12 juin 2023 sur la neutralisation de la période qui précède le mois qui suit le trentième anniversaire du bénéficiaire, visée à l’article 63, § 2, 2°, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991.

Faits de la cause

Ce litige complexe oppose Mme L.D. à l’ONEm et l’UNMS.

Mme L.D. a été admise aux allocations d’insertion sur la base de ses études et n’a atteint l’âge de 30 ans que le 5 janvier 2024.

Plusieurs décisions sont soumises à la censure des juridictions du travail.

Une première décision de l’ONEm du 27 octobre 2020 (i) l’exclut du droit aux allocations d’insertion comme travailleur isolé à partir du 2 octobre 2014 et à partir du 31 mai 2016 comme travailleur chef de ménage, lui octroyant le taux cohabitant et décidant de la récupération en appliquant une prescription de 5 ans, (ii) récupère, sur la base des articles 36 et 63 de l’arrêté royal, l’entièreté des allocations d’insertion à partir du 5 octobre 2017, date de fin de droit selon la décision et (iii) prononce une sanction de 13 semaines sur la base de l’article 153 de l’arrêté royal.

Une décision de l’ONEm du même jour détaille l’indu, soit 43.521,38€.

Une première décision de l’UNMS du 8 juin 2021 réclame le remboursement des indemnités payées indûment du 10 novembre 2019 au 31 mai 2021.

Enfin, deux décisions de l’UNMS lui suppriment le doit au régime préférentiel au 1er mai 2016 compte tenu de sa cohabitation non déclarée et récupèrent les remboursements de soins à partir du 1er janvier 2020 (compte tenu de la prescription), Mme L.D. n’ayant plus, compte tenu de la décision de l’ONEm, droit à ce remboursement.

La décision du tribunal

Par un jugement du 1er décembre 2022, la 6e chambre du Tribunal du travail de Liège, division Namur, après avoir joint les causes, décide qu’il est établi que les déclarations de situation familiale pendant toute la période litigieuse n’ont jamais correspondu à la situation réelle de Mme L.D., qui était celle de cohabitante avec M. T., qui percevait des allocations de chômage au taux chef de ménage, l’intention frauduleuse étant établie. La décision de l’ONEm est donc confirmée et son action reconventionnelle accueillie.

En conséquence, Mme D. est déboutée de son action contre l’UNMS et la demande de cet organisme est accueillie.

Compte tenu des sommes à rembourser (43.521,38€ à l’ONEm et 27.026,68€ à l’UNMS rien que pour les indemnités de chômage et d’assurance maladie-indemnité), le tribunal décide qu’il n’y a pas lieu de faire droit à la demande de termes et délais.

Mme D. a formé contre ce jugement un appel recevable.

Position de la partie appelante

Mme D. soutient que cette cohabitation impliquait le statut de cohabitant privilégié dans son chef, M. T. ne bénéficiant que de revenus de remplacement.

Elle sollicite ainsi la neutralisation de la période qui précède le mois qui suit son trentième anniversaire, soit le 5 janvier 2024. La période de 36 mois à laquelle les allocations d’insertion sont limitées n’avait donc pas encore commencé à courir.

L’arrêt commenté

La cour du travail reproduit les éléments pertinents de l’enquête du service contrôle de l’ONEm et de la police de Namur tout en relevant que Mme D. ne conteste plus en degré d’appel sa cohabitation avec M. T.

Se fondant sur l’arrêt de la Cour de cassation du 12 juin 2023 (S.22.0089.F, précédemment commenté et sur Juportal avec les conclusions du Parquet), l’arrêt accueille cette argumentation.

Elle rappelle l’article 63, § 2, alinéa 1er de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, selon lequel le droit aux allocations d’insertion est limité à une période de 36 mois, calculée de date à date, à partir du jour où le droit a été accordé pour la première fois, ainsi que le § 2, al. 2, 2° du même texte, qui prévoit qu’il n’est pas tenu compte, dans le cadre de la limitation du droit aux allocations d’insertion à 36 mois, de la période qui précède le mois qui suit le trentième anniversaire, peu importe la situation familiale du jeune travailleur pendant cette période antérieure, pour le jeune travailleur qui est considéré comme travailleur ayant charge de famille ou comme travailleur isolé, conformément à l’article 110, §§ 1er et 2, ou qui est considéré comme travailleur cohabitant, conformément à l’article 110, § 3, et satisfait aux conditions de l’article 124, alinéa 2.

La période de 36 mois est donc neutralisée lorsque le chômeur doit être considéré comme ayant le statut de cohabitant privilégié, soit qui cohabite avec un conjoint ou une personne assimilée à un conjoint qui, au cours d’un mois civil, ne dispose que de revenus de remplacement.

La Cour de cassation a précisé dans son arrêt ci-dessus que l’alinéa 2 avait pour but de préserver jusqu’au mois de son trentième anniversaire le droit aux allocations d’insertion du jeune chômeur qui se trouve dans une des situations familiales visées, la période de 36 mois prenant cours au plus tard le mois suivant et qu’il s’ensuit que cette période ne court pas lorsque le jeune chômeur se trouve dans une de ces situations familiales, jusqu’au plus tard le premier jour du mois qui suit son trentième anniversaire.

Pour la cour du travail, ces trois catégories s’opposent ainsi à celle des cohabitants « ordinaires ».

Elle décide en conséquence que l’ONEm et l’UNMS ne pouvaient procéder à la récupération des indemnités versées que dans la limite de la différence entre le taux accordé et le taux cohabitant et que Mme D. était dans les conditions pour obtenir le remboursement des soins.

La réouverture des débats est ordonnée pour que l’ONEm et l’UNMS déposent un décompte de l’indu tenant compte de l’arrêt.

Intérêt de la décision

Le litige s’est modifié en degré d’appel dès lors que la chômeuse ne contestait plus sa cohabitation avec un chômeur indemnisé.

Il s’agissait alors de décider si l’ONEm avait pu légalement fixer le 5 octobre 2017 comme date de fin de droit aux allocations d’insertion.

Se ralliant à l’avis du ministère public, l’arrêt décide que, compte tenu de la cohabitation de Mme D. avec un chômeur, le délai de 36 mois ne pourra commencer à courir que le 5 janvier 2014, date à laquelle Mme D. aura atteint l’âge de 30 ans.

D’une récupération de toutes les allocations de chômage à partir du 5 octobre 2017, date de fin de droit aux allocations d’insertion fixée par l’ONEm, on passe donc à une récupération de la différence entre le taux accordé et le taux cohabitant.

Mme D. était en conséquence dans les conditions pour bénéficier des indemnités d’incapacité de travail entre le 10 novembre 2019 et le 31 mai 2021, la récupération ne portant que sur la différence entre le taux accordé et le taux cohabitant et il n’est plus question de récupération des remboursements de soins de santé.


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