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Responsabilité de l’organisme de paiement et réouverture des débats sur la possibilité d’une réparation en nature

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Liège), 27 novembre 2023, RG 20/2.724/A et 21/404/A

Mis en ligne le mercredi 27 novembre 2024


Tribunal du travail de Liège (division Liège), 27 novembre 2023, RG 20/2.724/A et 21/404/A

Terra Laboris

Un jugement du Tribunal du travail de Liège du 27 novembre 2023 reprend, appliquées à la situation d’un chômeur qui aurait pu bénéficier des allocations dans le cadre des mesures tremplin-indépendants, les obligations des organismes de paiement.

Faits de la cause

M. X. a été licencié dans le cadre d’une restructuration de l’entreprise, moyennant le paiement d’une indemnité de préavis. Il a ensuite demandé à bénéficier des allocations de chômage à partir du 14 février 2020 et, dans les formulaires C1 et C1A, il a renseigné l’exercice d’une activité indépendante depuis le 1er décembre 2011.

Le 6 juillet 2020, l’ONEm lui a refusé le bénéfice des allocations de chômage compte tenu de ce que cette activité indépendante n’avait pas été cumulée avec une activité salariée durant les trois mois au moins ayant précédé la demande.

Des tentatives de voir rectifier la décision au motif que la demande d’allocations de chômage avait été introduite à tort dans le régime général alors que M. X. pouvait bénéficier de la mesure tremplin ont échoué.

Une demande formelle de bénéfice de cette mesure a été rejetée par l’ONEm le 12 novembre 2020.

Ces décisions des 6 juillet et 12 novembre 2020 ont été soumises au tribunal par des recours recevables et M. X. a dirigé ces procédures également contre son organisme de paiement, la CSC.

La décision commentée

Le tribunal examine tout d’abord le bienfondé des décisions de l’ONEm.

Il rappelle les règles qui régissent l’exercice d’une activité accessoire dans le régime général, bien connues et que nous ne commentons pas, et ensuite les règles particulières dans le cadre de la mesure tremplin indépendant prévues par l’article 45 bis de l’arrêté royal organique, dont l’avantage est notamment de permettre à un chômeur d’entreprendre une activité accessoire indépendante pendant le chômage pour maximum 12 mois à certaines conditions et de déroger à certaines obligations.

Concernant la première décision, prise dans le cadre du régime général, le tribunal retient que M. X. n’établit pas l’exercice d’une activité indépendante pendant trois mois avant le 1er décembre 2018, date de la rupture du contrat moyennant le paiement d’une indemnité compensatoire de préavis. Il ne remplit donc pas la condition de cumul entre travail salarié et activité accessoire prévue à l’article 48, § 1, de l’arrêté royal. Ayant exercé cette activité pendant son chômage, il n’était pas admissible aux allocations.

Quant à la seconde décision, le tribunal décide que c’est à tort que l’ONEm s’est fondé sur ce que M. X. était considéré comme indépendant à titre principal par l’INASTI pour lui refuser le bénéfice de la mesure tremplin : la seule qualification de l’INASTI est insuffisante pour qualifier l’exercice de l’activité comme principale et l’ONEm n’apporte aucun commencement de preuve de l’exercice d’une activité incompatible avec les allocations de chômage. La décision est donc annulée en ce qu’elle est fondée sur des motifs inexacts, contradictoires ou non démontrés.

Il appartient en conséquence au tribunal de déterminer si M. X. pouvait bénéficier de la mesure tremplin indépendant.

Tel n’est pas le cas : la mesure doit, en vertu de l’article 48bis, § 1bis de l’arrêté royal, être demandée soit avant d’entamer l’exercice de l’activité pour le chômeur déjà indemnisé, soit au moment de la demande d’allocations si le travailleur n’est pas encore bénéficiaire d’allocations.

L’autorisation ne pouvait donc être accordée à titre rétroactif depuis le 14 février 2020 lorsque M. X en a fait la demande le 29 septembre 2020. La seconde décision de l’ONEm est donc également confirmée.

Le tribunal examine ensuite la responsabilité éventuelle de l’organisme de paiement, en droit puis dans le cas d’espèce.

Se référant à la doctrine de S. GILSON, Z. TRUSNACH, F. LAMBINET et S. VINCLAIRE (Regards sur la Charte de l’assuré social, Questions spéciales de droit social, CUP, vol.150, Larcier 2014, p. 257) et à l’arrêt de la Cour de cassation du 23 novembre 2009 (S.07.0115.F), le tribunal retient que les organismes de paiement ont aussi une obligation de réactivité qui leur interdit de rester passifs face aux informations qu’ils reçoivent ou en présence d’un dossier incomplet. La Charte de l’assuré social ne prévoyant pas de sanction en cas de méconnaissance de cette obligation, l’article 1382 du Code civil est applicable.

Le tribunal s’interroge ensuite sur la question si la réparation peut consister dans l’octroi des prestations perdues.

Selon la doctrine précitée, la réponse est négative si cela nécessite de déroger aux conditions légales. Par contre, la Cour du travail de Bruxelles, dans un arrêt du 16 mai 2018 cité par ces auteurs, a rappelé qu’en vertu de l’article 167, § 4, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, l’organisme de paiement doit payer directement au bénéficiaire les allocations de chômage lorsque c’est en raison de sa faute ou de sa négligence qu’elles n’ont pu lui être versées.

Appliquant cette doctrine et cette jurisprudence aux faits, le jugement retient que M. X. remplissait les conditions pour obtenir le bénéfice de la mesure tremplin et que l’O.P. avait connaissance de sa volonté d’exercer une activité accessoire pendant son chômage. Or, la CSC ne l’a pas interrogé pour vérifier s’il était dans les conditions pour bénéficier du régime général puis, constatant l’absence de cumul d’au moins trois mois entre un travail salarié et une activité accessoire, elle aurait dû procéder à l’exposé des solutions possibles pour permettre ce cumul, dont la mesure tremplin dont il pouvait bénéficier.

La faute de l’organisme de paiement est donc établie.
Le jugement décide ensuite qu’il est certain que, convenablement informé, M. X aurait demandé à bénéficier de la mesure tremplin.

L’existence d’un dommage est donc établie dans son principe à concurrence d’un euro à titre provisionnel. La réouverture des débats est ordonnée pour que M. X chiffre son dommage et que les parties s’expliquent sur la possibilité d’une réparation en nature et sur l’application de l’article 167,§ 4, de l’arrêté royal.

Intérêt de la décision

La question de la responsabilité de l’organisme de paiement lorsqu’il est acquis que la décision de l’ONEm refusant l’octroi d’une prestation ou prétendant à la récupération d’un indu n’est pas critiquable se pose régulièrement aux juridictions du travail.

Le premier intérêt de la décision est de souligner l’obligation de proactivité qui pèse sur cet organisme et d’en faire application dans le cas d’espèce.

Concernant l’existence d’un dommage, il est acquis que le manquement à cette obligation a, avec certitude, causé un dommage à M. X., qui, s’il avait été correctement informé, aurait demandé à bénéficier de la mesure tremplin qui lui aurait permis de cumuler les allocations et son activité accessoire sans que soit remplie la condition d’avoir exercé cette activité concomitamment avec une activité salariée durant au moins trois mois.

Mais la réparation peut- elle consister dans l’octroi des allocations de chômage comme l’article 167, § 4, de l’arrêté royal semble le suggérer ou de dommages et intérêts sur la base de l’article 1382 du Code civil ?

Peut-on raisonner de manière différente dans le cas de l’absence de respect d’un délai prescrit par la loi ?

Affaire à suivre donc…


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