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Droit aux prestations familiales garanties pour le titulaire d’une attestation d’immatriculation : un rappel de la Cour du travail de Bruxelles

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 13 mars 2024, R.G. 2021/AB/157

Mis en ligne le vendredi 25 octobre 2024


C. trav. Bruxelles, 13 mars 2024, R.G. 2021/AB/157

Terra Laboris

La Cour du travail de Bruxelles reprend, dans un arrêt du 13 mars 2024, la jurisprudence de la Cour de cassation : l’attestation d’immatriculation de modèle A constitue une autorisation de séjour au sens de la réglementation en matière de prestations familiales garanties : il s’agit en effet d’un document qui atteste pour sa durée de validité de la légalité et la régularité du séjour.

Les faits

Une employée au service de l’ambassade du Burkina Faso (dont elle a la nationalité) a introduit pour elle-même et pour sa fille une première demande de régularisation de séjour le 8 octobre 2012, sur pied de l’article 9ter de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, l’établissement et l’éloignement des étrangers.

Elles ont toutes deux bénéficié d’une attestation d’immatriculation, la demande étant déclarée recevable. Elle a cependant été rejetée en décembre 2014 avec un ordre de quitter le territoire.

Une deuxième demande a été introduite le 18 décembre 2015 et les deux intéressées ont été alors réinscrites au registre des étrangers. Seule la fille a cependant reçu une attestation d’immatriculation, la demande formée au nom de la mère étant déclarée alors irrecevable. Un recours devant le Conseil du Contentieux des Étrangers a été rejeté.

La mère s’est cependant vu délivrer ultérieurement une attestation d’immatriculation, sa demande de régularisation de séjour étant en fin de compte déclarée fondée à partir du 8 septembre 2017 et une carte A (séjour temporaire) étant délivrée.

Depuis le 1er octobre 2020, la situation de la mère et de la fille sur le plan du séjour est régularisée définitivement.

Le 11 janvier 2017, la mère avait introduit à l’époque auprès de FAMIFED une demande de prestations familiales garanties, qui avait fait l’objet d’une décision de refus, vu l’absence de document d’autorisation de séjour.

Une deuxième décision est intervenue, toujours en 2017, au motif de l’absence de preuve d’une résidence ininterrompue de cinq ans. Cette deuxième décision n’a pas été contestée, la mère introduisant une demande de dérogation ministérielle à cette condition de résidence.

En fin de compte, FAMIFED régularisa la situation au niveau des prestations familiales garanties, qu’elle accordera à partir du 1er novembre 2017.

La mère sollicitait, cependant, le bénéfice de celles-ci à dater du 1er décembre 2015 ou en tout cas du 1er octobre 2016.

La procédure judiciaire a dès lors été introduite, en deux requêtes.

La procédure devant le tribunal du travail

La mère, demanderesse, sollicite l’annulation des deux décisions prises par IRISCARE (anciennement FAMIFED), la première refusant les prestations familiales garanties et la seconde limitant son droit au 1er novembre 2017. Elle sollicite l’octroi de celles-ci à partir des dates ci-dessus.

Quant à IRISCARE, elle estime la demande non fondée et, à titre subsidiaire, propose une question préjudicielle à destination de la Cour constitutionnelle, fondée sur l’article 1er, alinéa 8, de la loi du 20 juillet 1971 instaurant les prestations familiales garanties (question portant sur une discrimination qui existerait en matière de prestations familiales garanties entre les étrangers dont la demande de séjour pour motif médical a été déclarée recevable et ceux dont la demande a été déclarée fondée).

La décision du tribunal

Le tribunal du travail, après avoir joint les causes, dans un jugement du 19 janvier 2021, a dit pour droit que la condition de résidence effective et non interrompue durant les quatre années qui précèdent la demande ainsi que la condition d’absence de ressources sont remplies.

Il a débouté la caisse de sa demande de question préjudicielle et a ordonné une réouverture des débats afin de permettre de régler une question d’adresse et de vérifier la condition du séjour légal à partir du 1er décembre 2015 et ce jusqu’au 3 octobre 2016 ainsi que la prise en charge de l’enfant par sa mère.

IRISCARE interjette appel.

La décision de la cour

La cour reprend les éléments d’appréciation du litige, renvoyant en premier lieu aux conditions mises par la loi du 20 juillet 1971 instituant des prestations familiales garanties (telle qu’applicable à l’époque). Ces conditions sont au nombre de cinq (exigence que l’enfant soit exclusivement ou principalement à charge d’une personne physique qui réside en Belgique, condition de résidence de cinq ans – ramenée à quatre ans par circulaire ministérielle du 16 juillet 2007 –, exigence d’une autorisation de séjour, résidence effective de l’enfant en Belgique et conditions de ressources).

Elle rappelle ensuite que l’attestation d’immatriculation de modèle A constitue une autorisation de séjour au sens de la réglementation (avec renvoi à Cass., 8 avril 2019, S.17.0086.F). Il s’agit en effet d’un document qui atteste pour sa durée de validité de la légalité et la régularité du séjour.

Aucune durée particulière n’est en effet prévue comme condition d’octroi des prestations familiales. Ceci reviendrait à ajouter une condition qui ne figure pas dans la loi.

Par ailleurs, la condition de la résidence ininterrompue sur le territoire belge durant cinq (ou à tout le moins quatre) ans ne suppose pas un séjour légal et régulier mais une présence continue et effective.

En l’espèce, si la fille est en possession d’une attestation d’immatriculation à partir du 18 décembre 2015, ce n’est pas le cas pour la mère, qui n’en a bénéficié que depuis le 4 octobre 2016.

Même si la mère n’a pas un introduit de recours à l’encontre d’une décision prise par FAMIFED le 1er décembre 2017, la cour considère qu’elle est tenue de procéder au contrôle incident de légalité en vertu de l’article 159 de la Constitution, celui-ci existant de manière permanente, même après l’échéance du délai d’introduction d’un recours.

Reprenant les éléments de fait, la cour constate effectivement la présence ininterrompue en Belgique pendant cinq ans (travail au sein de l’ambassade, inscription au registre des étrangers, scolarisation de la fille, soins médicaux,… etc.).

Par ailleurs, la condition de ressources est remplie, la mère ayant bénéficié après la fin de sa période d’occupation pour le compte de l’ambassade de l’intervention du C.P.A.S.

Enfin, dans la mesure où les deux intéressées ont été réinscrites à la même adresse, il y a présomption de prise en charge par la mère, principalement, de son enfant. Cette présomption n’est pas renversée par le fait qu’il y aurait eu hébergement régulier au sein du SAMU social. La cour relève ici qu’IRISCARE n’établit nullement que la preuve serait rapportée que l’hébergement d’urgence en l’espèce aurait entraîné une prise en charge par le SAMU social de plus de la moitié du coût de l’entretien de l’enfant.

La cour confirme dès lors le jugement, retenant la date du 1er octobre 2016.

Tout en notant qu’IRISCARE a renoncé à sa demande d’interroger la Cour constitutionnelle, la cour relève que cette question n’a pas lieu d’être, vu l’erreur de la prémisse, étant que l’étranger dont la demande sur pied de l’article 9ter a été déclarée recevable serait sur le plan de l’autorisation de séjour dans une situation fondamentalement différente de celle de l’étranger dont la demande a été déclarée fondée, et ce vu que dans l’un et l’autre cas le séjour est légal et que, dans un premier temps du moins, il est à durée limitée.

Intérêt de la décision

Cette affaire est l’occasion pour la Cour du travail de Bruxelles de revenir sur l’arrêt de la Cour de cassation du 8 avril 2019 (précédemment commenté), qui a tranché une polémique importante en la matière.
La question jugée par la Cour de cassation dans cette décision est spécifiquement relative à la question de l’octroi des prestations eu égard à la nature du titre autorisant le séjour, étant de savoir si une attestation d’immatriculation (dont le caractère est temporaire) peut ouvrir le droit à celles-ci.
La Cour a rappelé que les prestations familiales sont accordées dans les conditions fixées par ou en vertu de la loi du 20 juillet 1971 en faveur de l’enfant qui est exclusivement à la charge d’une personne physique résidant en Belgique. Celle-ci, si elle est étrangère, doit être admise ou autorisée au séjour ou à s’y établir. L’article 9ter permet à un étranger, dans les conditions qu’il prévoit, de demander l’autorisation de séjourner dans le Royaume, les cas où la demande doit être déclarée irrecevable étant prévus par la loi.

La loi du 15 décembre 1980 ayant été modifiée par celle du 15 septembre 2006, un arrêté royal du 17 mai 2007 (fixant des modalités d’exécution de celle-ci) a prévu, en son article 7, alinéa 2, que le délégué du Ministre donne instruction à la Commune d’inscrire l’intéressé au registre des étrangers et de le mettre en possession d’une attestation d’immatriculation. Dès lors, il est autorisé à séjourner dans le Royaume, conformément aux dispositions de la loi du 15 décembre 1980, fût-ce de manière temporaire et précaire.
Cette question avait fait l’objet de diverses positions en jurisprudence. L’on se référera utilement, outre à l’arrêt du 14 août 2017 dont la conclusion a été confirmée par la Cour de cassation, à deux autres arrêts de la Cour du travail de Bruxelles (C. trav. Bruxelles, 19 octobre 2017, R.G. 2016/AB/302 et C. trav. Bruxelles, 12 janvier 2017, R.G. 2015/AB/867 – tous précédemment commentés).
Relevons enfin que la Cour constitutionnelle avait été interrogée par la Cour du travail de Bruxelles dans un arrêt du 21 mai 2014 (R.G. 2010/AB/333) sur la condition de cinq ans de résidence interrompue exigée dans le chef de la personne physique qui demande les prestations familiales garanties pour un enfant né en Belgique et y résidant depuis lors. La Cour avait considéré dans son arrêt du 23 octobre 2014 (n° 155/2014) qu’il n’y avait pas violation des articles 10 et 11 de la Constitution (lus en combinaison avec l’article 22).


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