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Élections sociales : obligation d’entamer la procédure électorale pour les magasins franchisés DELHAIZE

Commentaire de Trib. trav. fr. Bruxelles, 3 juillet 2024, R.G. 24/418/A

Mis en ligne le vendredi 25 octobre 2024


Trib. trav. fr. Bruxelles, 3 juillet 2024, R.G. 24/418/A

Terra Laboris

Le tribunal du travail francophone de Bruxelles a conclu dans un jugement du 3 juillet 2024 à l’obligation pour un magasin franchisé DELHAIZE d’organiser des élections sociales, dans la mesure où le nombre du seuil des travailleurs occupés est atteint.

Les faits

Depuis les élections sociales de 2020, la société DELHAIZE comptait une UTE pour le conseil d’entreprise et neuf autres pour le CPPT.

Parmi ces dernières, trois concernent le bureau central et les deux centres de distribution, les six autres le personnel des magasins « intégrés », les 22 supermarchés de Bruxelles étant regroupés au sein d’une même UTE.

Lorsque la société a entrepris, en 2023, de franchiser des supermarchés, de nouvelles sociétés ont été créées, dont une SR AL RETAIL, qui a repris le magasin (DELHAIZE Boondael) le 1er novembre 2023.

D’autres supermarchés ont également été cédés. Des transferts conventionnels d’entreprise sont dès lors intervenus.

Pour la société DELHAIZE, le conseil d’entreprise et les CPPT de 2020 devaient continuer à fonctionner sans les délégués du personnel des magasins franchisés.

Les premières opérations des élections sociales 2024 sont intervenues en décembre 2023 (information X – 60 entre le 15 et le 28 décembre 2023).

Une organisation syndicale représentative a mis la société AL RETAIL en demeure d’organiser les élections, par courrier recommandé du 3 janvier 2024, ce que celle-ci a estimé ne pas devoir faire, répondant qu’elle ne tombe pas dans les conditions prévues, la période de référence pendant laquelle l’UTE devait occuper au moins 50 travailleurs étant du 1er octobre 2022 au 30 septembre 2023 et qu’à cette époque elle n’occupait aucun travailleur, le magasin en cause ne constituant pas par ailleurs une UTE à part entière.

Cette organisation représentative a introduit une procédure, dans laquelle les deux autres sont parties intéressées.

Objet de la demande

L’organisation demanderesse sollicite la condamnation de la société à entamer la procédure électorale conformément aux dispositions de la loi du 4 décembre 2007 relative aux élections sociales, et ce le cinquième jour suivant la notification par le greffe à de la décision à intervenir, ce jour étant également le jour X – 35 du calendrier électoral, sous peine d’astreinte. À titre subsidiaire, une question est suggérée à l’attention de la Cour constitutionnelle.

Une demande analogue est faite par une seconde organisation, par voie de conclusions, la troisième organisation faisant défaut.

Développement de la position des parties

La partie demanderesse considère que la législation en matière d’élections sociales ne règle pas expressément la question au cœur du débat, étant le calcul de l’effectif en cas de transfert intervenu après la période de référence. En conséquence, il faut appliquer le régime de base, l’articulation des matières (élections sociales et transfert conventionnel d’entreprise) imposant de prendre en compte l’effectif occupé par l’entité économique transférée (l’UTE au sein de laquelle les élections doivent avoir lieu étant définie, le nombre de travailleurs de celle-ci étant vérifié durant la période de référence (suivant ici les règles du transfert conventionnel à savoir les travailleurs du supermarché) et le seuil légal étant atteint).

La deuxième organisation précise que la règle de l’article 51bis, dernière phrase, de la loi du 4 août 1996 (également article 7, § 3, de la loi du 4 décembre 2007) n’est pas applicable, le transfert étant intervenu après la période de référence. L’effectif examiné est celui de l’UTE qui doit le cas échéant organiser les élections sociales et non la personne juridique employeur ou l’entité juridique responsable de l’exploitation de celle-ci. Elle souligne que son raisonnement permet d’assurer l’application correcte de la directive européenne en matière de transfert conventionnel d’entreprises.

Quant à la société, elle se fonde sur l’article 7, § 3, de la loi du 4 décembre 2007, qui, selon elle, ne conditionne pas son application au fait que le transfert soit intervenu pendant la période de référence mais seulement à celui qu’il y a eu un tel transfert. Aucune partie de cette période n’étant située après le transfert, aucun effectif n’existe sur une période de référence pertinente. Elle fait grief à la demanderesse de confondre la notion d’UTE et celle d’entité économique transférée. Il faut, dans sa thèse, entendre pour l’application des articles 69 à 76 de la loi du 4 août 1996 la notion d’entreprise comme l’entité juridique. Elle ne conteste pas que le supermarché forme une UTE postérieurement au transfert mais estime qu’il ne constituait pas à lui seul une telle UTE avant celui-ci.

La décision du tribunal

Le tribunal procède à un examen approfondi des règles applicables.

Il relève d’abord que certaines dispositions de la loi du 4 août 1996 concernent le transfert conventionnel d’entreprise (articles 70 et 75), de même que l’article 7, § 3, de la loi du 4 décembre 2007.

Ce dernier vise le calcul du nombre de travailleurs occupés dans l’entreprise en cas de transfert en période préélectorale. Il dispose que « En cas de transfert conventionnel d’entreprise au sens (...) des articles 69 à 73 de la loi du 4 août 1996 relative au bien-être des travailleurs lors de l’exécution de leur travail (...), le calcul s’effectue sur la base de la partie de la période de quatre trimestres fixée au paragraphe premier se situant après le transfert et en divisant par le nombre de jours civils se situant dans cette même partie le total des jours civils visés au paragraphe premier qui se situent dans cette même partie ».

Le jugement précise que depuis les élections sociales de 2020 la période de référence a été décalée de trois mois, débutant le premier jour du sixième trimestre qui précède celui au cours duquel se situe le jour des élections. Cette modification est intervenue par la loi du 4 avril 2019, dont les travaux préparatoires précisent qu’il s’agit d’éviter qu’une entreprise entame la procédure électorale et constate à la fin de la période de référence que le seuil du nombre de travailleurs n’est pas atteint.

Il souligne que la loi sur les élections sociales ne contient aucune disposition spécifique sur les cessions intervenues entre la fin de la période de référence et la fixation des UTE et que depuis la modification législative la période de référence commence un trimestre plus tôt qu’auparavant.

En l’espèce, le transfert est intervenu postérieurement à la période de référence et l’UTE occupe depuis la période susvisée entre 50 et 99 travailleurs.

Le tribunal examine ensuite l’obligation pour la société d’organiser les élections sociales.

Il suit un raisonnement en quatre étapes.

La première est de rappeler que l’UTE ne correspond pas nécessairement à l’entité juridique.

La deuxième est que c’est en décembre 2023 qu’il faut circonscrire le nombre d’unités techniques d’exploitation pour lesquelles les organes de concertation doivent être institués. Le tribunal relève ici que la société admet qu’à dater du transfert le magasin constitue une UTE et que la loi n’impose pas que celle-ci ait déjà une forme circonscrite au début de la période de référence.

Le troisième constat est que la période de référence court du 1er octobre 2022 au 30 septembre 2023, renvoyant à l’article 51bis de la loi du 4 août 1996 et à l’article 7, §§ 1er et 3 de la loi du 4 décembre 2007. L’article 7, § 3 ne trouve, pour le tribunal, à s’appliquer qu’en cas de transfert d’entreprise intervenant au cours de la période de référence et non en cas de transfert survenant après celle-ci.

En l’absence de dispositions spécifiques, il faut retenir le régime de base, étant l’article 7, § 1er, de la loi du 4 décembre 2007, c’est-à-dire une période de référence de quatre trimestres.

Il précise encore que rien ne justifie légalement que dans une telle hypothèse les élections sociales n’auraient pas à être organisées et que l’adoption de dispositions spécifiques en matière de transfert d’entreprise (base réduite) vise précisément à éviter l’ingénierie sociale par le recours à des transferts pendant la période de référence.

Il en vient alors à la directive 2001/23 du 12 mars 2001 en matière de transfert conventionnel d’entreprises, qui fait obligation aux États membres de prendre les mesures nécessaires pour que les travailleurs transférés qui étaient représentés avant le transfert continuent à être « convenablement représentés » durant la période nécessaire à une nouvelle formation ou désignation de la présentation des travailleurs, conformément à la législation ou la pratique nationale (article 6, § 1er).

La quatrième étape est le constat de l’existence de plus de cinquante travailleurs au cours de la période de référence, ce qui n’est pas contesté.

Le tribunal rappelle ici que le fait que la société n’avait pas d’existence juridique à ce moment est sans incidence, renvoyant à la règle selon laquelle l’UTE ne se confond pas avec l’entité juridique.

La conclusion est que des élections sociales doivent être organisées au sein de la société.

Le tribunal décide cependant de ne pas accorder l’exécution provisoire vu les effets d’une réformation éventuelle de sa décision notamment sur le régime de protection des travailleurs qui auraient posé leur candidature.

Il considère enfin que la demande d’astreinte n’est pas motivée.

Intérêt de la décision

Ce jugement - qui n’est pas définitif– fait une stricte application des dispositions légales.

Il écarte l’application de l’article 7, § 3 au profit de la règle de base, au motif qu’il vise exclusivement une hypothèse de transfert conventionnel d’entreprise, étant le transfert intervenant au cours de la période de référence. Il ne vise pas le transfert survenant après celle-ci.

La législation étant d’ordre public, cette interprétation – stricte – est non seulement la seule compatible avec le texte lui-même, mais également avec la directive européenne, qui fait obligation aux États de garantir que les travailleurs transférés entre la fin de la période de référence et avant la détermination des UTE restent’ « convenablement représentés » vu que, à défaut, ceux-ci ne seraient pas représentés et ne pourraient l’être avant les élections sociales suivantes (à la condition – soulignée par le tribunal – que les effectifs soient encore suffisants.


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