Terralaboris asbl

Suspension de l’activité professionnelle d’un responsable de société et obligations en matière de statut social

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 11 mai 2007, R.G. 44.278

Mis en ligne le jeudi 27 mars 2008


Cour du travail de Bruxelles, 11 mai 2007, R.G. N° 44.278

TERRA LABORIS ASBL – Mireille Jourdan

Dans un arrêt du 11 mai 2007, la Cour du travail de Bruxelles a rappelé les critères à examiner en cas de suspension d’activité dans le chef d’un associé d’une société en nom collectif et d’une société civile - en l’occurrence un avocat - afin de déterminer s’il y a ou non maintien des obligations de cotisation au statut social des travailleurs indépendants.

Les faits

Après avoir exercé son activité professionnelle d’avocate en qualité de personne physique, et s’être affiliée à ce titre à une caisse d’assurances sociales, l’intéressée devint associée d’une société civile d’avocats. Par ailleurs, elle fonda avec son époux une société civile à forme de société en nom collectif, qui avait pour objet l’exercice pour compte commun de la profession d’avocat en tant que membre de la société civile ci-dessus. En vertu des statuts de la société en nom collectif, la gestion et l’administration de la société était assurée par chacun des associés, les décisions excédant la gestion des dossiers ou la gestion journalière de la société ou impliquant un conflit d’intérêt étant prises à l’unanimité des associés.

Cette société en nom collectif fut admise comme membre de la société civile. Les statuts de celle-ci prévirent, ultérieurement, que chaque associé avait la qualité d’associé gérant et accomplissait seul tous les actes ressortissant de la profession d’avocat ainsi que tous les actes de minime importance ou requérant célérité.

L’intéressée fut ultérieurement autorisée par la société civile à prendre un congé sabbatique d’un an, à partir du 1er avril 1998, renouvelable une fois. Pendant cette période, elle était dispensée de toute activité professionnelle et ne bénéficiait d’aucune rémunération. La caisse nota une cessation d’activité à la date du 31 mars 1998 et annula provisoirement le dossier à cette date sous réserve de vérification ultérieure par l’INASTI, les cotisations sociales n’étant plus dues. Suite à une enquête de l’INASTI, en 1999, il fut confirmé à la caisse qu’il y avait lieu de maintenir l’assujettissement sans interruption au statut social des travailleurs indépendants, vu le maintien de la qualité d’associé gérante des deux sociétés.

La position du premier juge

Le tribunal a débouté la demanderesse de son action, suivant la thèse de l’INASTI.

La position des parties en appel

La position de la caisse était simple : elle s’appuyait sur le fait que l’intéressée était restée assujettie au statut social pendant la période concernée et que, de ce fait, les cotisations étaient dues.

L’appelante contestait cette position, essentiellement au motif de l’absence d’activité.

La position de la Cour

La Cour rappelle les conditions de l’assujettissement au statut social des travailleurs indépendants, étant qu’est notamment exigé l’exercice d’une activité professionnelle en raison de laquelle la personne visée n’est pas engagée dans les liens d’un contrat de travail ou d’un statut. Par activité professionnelle, il y a lieu d’entendre une activité exercée dans un but de lucre même si en fait elle ne produit pas de revenus, activité devant également être exercée de manière habituelle.

La Cour relève ensuite que l’associé actif exerce une activité professionnelle. C’est celui qui exerce une activité dans la société en vue de faire fructifier le capital qui lui appartient en partie. Il n’est pas requis qu’il ait effectivement perçu des bénéfices (Cass., 9 mai 1983, Pas., 1983, I, p. 1018). Le mandataire de société est, de même, susceptible d’exercer une activité professionnelle s’il exerce une activité de gestion et d’administration dans un but de lucre de manière habituelle. C’est la raison pour laquelle l’arrêté royal n° 38 (art. 3, § 4, alinéa 4) et son arrêté royal d’exécution du 19 décembre 1967 (article 2) font présumer l’exercice d’une activité professionnelle en cas de désignation comme mandataire dans une société assujettie à l’impôt belge des sociétés ou à l’impôt belge des non résidents, de même que dans l’hypothèse de l’exercice d’un mandat dans une société qui se livre à une exploitation ou à des opérations à caractère lucratif.

Par ailleurs, la perception de revenus professionnels, étant ceux visés par le C.I.R. peut aussi révéler une activité professionnelle. C’est pourquoi, selon le même arrêté royal n° 38 (art. 3, § 1°, alinéa 2) toute personne qui exerce en Belgique une activité professionnelle susceptible de produire de tels revenus est présumée jusqu’à preuve du contraire se trouver dans les conditions d’assujettissement.
Dans l’hypothèse d’une société en nom collectif, étant celle que forment sous une raison sociale deux ou plusieurs personnes qui répondent solidairement et indéfiniment de tout le passif social, à défaut de gérant indiqué dans les statuts, elle est administrée par tous et chacun des associés.

En l’espèce, c’est le régime mis en œuvre au sein de la société en nom collectif, les pouvoirs de gestion et d’administration des associés découlant par conséquent non pas de la désignation ni de l’exercice d’un mandat de société mais bien du contrat de société lui-même. Il y a dès lors d’examiner si l’intéressée a accompli de manière habituelle des actes qui peuvent constituer l’exercice d’une activité professionnelle pendant la période concernée.

L’examen du dossier révèlera l’absence d’exercice de l’activité d’avocat, ainsi que l’absence d’exercice, de manière habituelle, d’une activité de gestion et d’administration de société en nom collectif. Le pouvoir de gestion et d’administration de la société devait en effet entraîner exclusivement les actes suivants : donner son accord aux décisions communes, étant celles qui excèdent la gestion des dossiers ou la gestion journalière de la société ou impliquent un conflit d’intérêt. Les décisions relatives à la gestion des dossiers et de même à la gestion journalière ont été prises par l’époux de l’intéressée, qui poursuivit lui sa profession d’avocat. La Cour relève encore que les décisions visées, à savoir celles qui excèdent la gestion des dossiers, la gestion journalière ou qui impliquent un conflit d’intérêt sont dans le cas d’espèce rares et d’ailleurs absentes au dossier. Des actes aussi exceptionnels ne sont pour la Cour pas révélateurs de l’exercice d’une activité professionnelle habituelle.

Par ailleurs, l’appelante n’a pas été désignée pour un mandat de société pendant la même période et ne l’a pas exercé. On ne peut donc conclure que les pouvoirs de gestion et d’administration de l’associé d’une société en nom collectif au sein de laquelle aucun gérant n’a été désigné, résulteraient d’un tel mandat ou d’une « présomption réversible de mandat tacite », mais bien du contrat de société lui-même. Quoi qu’il en soit, poursuit la Cour, même si ces pouvoirs résultaient d’un mandat et si l’intéressée était par ce fait présumée avoir exercé une activité professionnelle, elle pourrait renverser la présomption. La Cour rappelle ici le caractère inconstitutionnel et illégal du caractère irréfragable de la présomption, en tout cas pour les personnes qui gèrent des sociétés en Belgique (C.A. 3 nov. 2004, arrêt n° 176/2004, en ce qui concerne l’art. 3 § 1er alinéa 4 de l’arrêté royal n° 38). La Cour cite également de la jurisprudence de fond.

En l’occurrence la preuve contraire est apportée : l’appelante prouve qu’elle n’a pas exercé d’activité de gestion de manière régulière ou habituelle, c’est-à-dire qu’elle n’a pas exercé d’activité professionnelle.

Intérêt de la décision

L’arrêt fait un rappel très utile des principes régissant les obligations des mandataires de société par rapport au statut social des travailleurs indépendants et notamment de l’exigence de l’exercice effectif d’une activité visée par la réglementation.


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