Terralaboris asbl

Harcèlement moral et abus de droit de licencier

Commentaire de Trib. trav. Liège, 29 mai 2007, R.G. 355.076

Mis en ligne le jeudi 27 mars 2008


Tribunal du travail de Liège, 29 mai 2007, R.G. 355.076

TERRA LABORIS ASBL – Sophie Remouchamps

Dans un jugement du 29 mai 2007, le Tribunal du travail de Liège alloue des dommages et intérêts pour abus de droit dans le chef de l’employeur, retenant que l’isolement organisé par celui-ci pendant la période de prestation du préavis constitue une faute. Le Tribunal s’appuie également sur d’autres éléments de fait.

Les faits

Monsieur C., employé depuis octobre 2002, se vit soumettre, courant 2005, un avenant à son contrat de travail, portant notamment cession de la propriété sur les ouvrages rédigés dans le cadre de celui-ci.

Celui-ci contesta l’avenant tel que proposé et soumit diverses demandes de modification. La société employeur acta les réserves par courrier du 13 mai 2005.

Quasi concomitamment, la société, par courrier du 20, licencia l’intéressé moyennant la prestation d’un préavis de 4 mois. Dans un second courrier du même jour, la société précisait les conditions dans lesquelles elle entendait que le préavis soit presté, étant notamment une absence de contact avec les clients et fournisseurs et l’interdiction de l’utilisation de la messagerie électronique.

La nature du travail confié était également modifiée, de même que le bureau de l’intéressé et ses outils de travail. Un isolement était également organisé, par l’interdiction faite à l’intéressé de prendre contact avec les autres services, interdiction également communiquée aux collègues.

La société fut alors interpellée par le conseil de Monsieur C., qui dénonça les conditions de prestations du préavis, invoquant notamment qu’elles confinaient à du harcèlement moral.

Ultérieurement, par courrier du 4 juillet, le conseil de Monsieur C. fait valoir des modifications d’éléments essentiels du contrat et demande la régularisation de la situation, sous peine de dénoncer un acte équipollent à rupture.

Malgré les dénégations de la société, notamment quant à l’horaire de travail ou la nature du travail confié, Monsieur C., par l’intermédiaire de son conseil, dénonça la rupture du contrat le 8 juillet.

Le C.4. ne sera délivré qu’en décembre, suite à l’intervention du service d’inspection de l’ONEm.

Monsieur C. introduisit ensuite une procédure devant le Tribunal, sollicitant le paiement d’une indemnité compensatoire de préavis, d’arriérés de rémunération, de la prime de fin d’année 2005 et également 12.500 € en réparation d’un abus de droit de licencier.

La décision du tribunal

Le Tribunal examine en premier lieu la validité du constat d’acte équipollent à rupture. Après un rappel des principes, il constate que l’intéressé ne prouve pas de modification de la rémunération, de la fonction exercée ou de l’horaire. Quant aux conditions de travail, le Tribunal admet qu’il y a eu modification.

Il retient cependant que les conditions de travail n’apparaissent pas comme un élément essentiel du contrat (absence de mention dans le contrat et d’éléments permettant de constater qu’il s’agissait d’éléments essentiels aux yeux des parties), mais que la modification doit s’analyser comme un manquement contractuel. Le Tribunal rappelle que, en pareil cas, il y a lieu de prouver l’intention de rompre, ce que Monsieur C. reste en défaut de faire (la société l’ayant d’ailleurs mis en demeure de poursuivre l’exécution du contrat).

Le Tribunal rejette donc la demande d’indemnité compensatoire de préavis de l’intéressé et fait droit à la demande reconventionnelle (indemnité de démission) formée par la société (à concurrence d’un euro provisionnel).

En ce qui concerne le caractère abusif du licenciement, le Tribunal retient l’existence d’une faute dans le chef de la société, étant d’avoir procédé de manière brutale au licenciement jusque après le refus de signature de l’avenant et d’avoir fait prester le préavis dans des conditions peu loyales et respectueuses de la personne de Monsieur C.

Sur le dernier point, le Tribunal retient l’isolement dans lequel l’a enfermé la société, caractérisé par la modification de son bureau, l’interdiction de contacts avec les clients, fournisseurs et collègues de travail, l’interdiction d’accès à la messagerie. Pour le Tribunal, il s’agit d’ailleurs de conduites abusives, la société ayant créé autour de l’intéressé un environnement de travail hostile, dégradant, humiliant ou offensant, sans raisons objectives. Le Tribunal retient également que ces conduites ont eu pour effet de porter atteinte à la personnalité, la dignité ou l’intégrité de Monsieur C.

Enfin, le Tribunal appuie sa motivation sur la remise tardive du formulaire C4 (obtenu grâce à l’intervention de l’ONEm).

Pour le Tribunal, l’employeur n’a ainsi pas adopté le comportement du bon père de famille. Il retient également l’existence d’un dommage en relation causale avec la faute, étant l’état anxio-dépressif consécutif au licenciement. Il reconnaît donc un dommage particulier de celui réparé par l’indemnité de rupture, qualifié de moral : atteinte à la personne et à son honorabilité.

Quant à l’évaluation des dommages et intérêts, le Tribunal retient qu’un mois après la rupture du contrat, l’intéressé a créé une société, démontrant ainsi s’être rapidement remis de la situation. Aussi, les dommages et intérêts sont limités à la somme de 4.500 €.

Intérêt de la décision

La décision présente un intérêt particulier, vu le lien fait entre le harcèlement dont s’est rendu coupable l’employeur en période de préavis et le caractère abusif du licenciement, élément manifestement retenu comme circonstance dommageable ayant entouré le licenciement. Il faut cependant noter que la circonstance même du licenciement, intervenu en représailles à des remarques jugées légitimes de l’intéressé sur un avenant, a une place importante dans la motivation de la décision.


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