Terralaboris asbl

L’absence d’audition préalable au licenciement d’un « article 60 » occupé par un CPAS constitue une faute donnant lieu à réparation

Commentaire de Trib. trav. Bruxelles, 10 mai 2007, R.G. 2.235/06

Mis en ligne le jeudi 27 mars 2008


Tribunal du travail de Bruxelles, 10 mai 2007, R.G.2235/06

TERRA LABORIS ASBL – Sophie Remouchamps

Dans un jugement du 10 mai 2007, le Tribunal du travail de Bruxelles estime que l’absence d’audition préalable au licenciement (pour motif grave) d’un contractuel (« article 60 ») occupé par un CPAS constitue une faute ayant entraîné un préjudice (évalué à 2.500 €).

Les faits

Monsieur E. était occupé par un CPAS en vertu d’un contrat de travail s’inscrivant dans le cadre de l’article 60, § 7, de la loi du 8 juillet 1976. Il était occupé à un poste d’ouvrier non qualifié polyvalent et effectuait à ce titre une série de tâches dans les établissements du CPAS.

Il est licencié pour motif grave quelques mois plus tard. La faute reprochée est d’avoir frappé une puéricultrice. Le licenciement intervient deux jours après les faits, journées pendant lesquelles Monsieur E. preste normalement.

A la suite de son licenciement, il introduit une demande de revenu d’intégration sociale, auprès du même CPAS. Le bénéfice de celui-ci lui est refusé par décision du 9 février 2005, aux motifs qu’ayant été licencié pour motif grave, il se serait « remis en état de besoin » en raison de son propre comportement. Un recours a été introduit contre cette décision de refus, recours déclaré fondé par le Tribunal du travail. Au moment où le jugement annoté a été rendu, l’appel interjeté par le CPAS était toujours pendant.

La position des parties

Monsieur E. sollicite, devant le Tribunal du travail, le paiement de l’indemnité de rupture. Il conteste en effet la faute reprochée, s’agissant pour lui d’un coup amical et vu les bonnes relations entretenues avec « la victime ». Par ailleurs, il estime qu’il n’y avait pas rupture de confiance, vu les prestations après que la prétendue faute avait été commise.

Par ailleurs, il demande la condamnation du CPAS au paiement de 2.500 € au titre de dommages et intérêts pour violation des principes de bonne administration et des droits de la défense. Cette demande se fonde sur l’absence d’audition préalable à la mesure du licenciement et dès lors l’impossibilité d’avoir pu faire valoir ses arguments à l’encontre des faits reprochés.

Le CPAS soutient quant à lui qu’il y a motif grave et que les principes de bonne administration ont été respectés, Monsieur E. ayant été entendu et ayant disposé d’un délai pour préparer sa défense (le CPAS vise ici le délai entre la prétendue faute et l’entretien survenu deux jours plus tard). Il soutenait par ailleurs n’être tenu que par les seules obligations de la loi du 3 juillet 1978.

La décision du tribunal

Le Tribunal estime tout d’abord le motif grave non établi. Il relève à cet égard qu’aucune précision n’a été apportée par le CPAS sur le fait reproché ni sur les circonstances de celui-ci ou encore sur les relations qu’entretenaient les intéressés. Le Tribunal ne peut dès lors déterminer s’il s’agit d’un coup de poing violent ou d’une bourrade amicale.

De plus, le Tribunal retient l’argument du demandeur, étant les deux journées prestées, estimant ainsi que la faute reprochée n’a pas rendu immédiatement impossible la poursuite des relations contractuelles.

Quant au second chef de demande, le Tribunal y fait également droit. Il relève en premier lieu que, étant une autorité administrative, même lorsqu’il agit comme employeur, le CPAS est tenu, en matière de licenciement, par des règles différentes de celles applicables au secteur privé, parmi lesquelles figurent le respect des droits de la défense et, faisant partie de ceux-ci, le principe de l’audition préalable à toute mesure disciplinaire. Quant au contenu des obligations du CPAS, le Tribunal s’appuie sur les droits généraux accordés aux agents de l’Etat et retient ainsi que ceux-ci doivent

  • connaître les faits retenus par l’administration pour fonder sa décision,
  • disposer du temps nécessaire pour préparer leur défense,
  • pouvoir obtenir l’assistance d’un conseil,
  • être entendus et faire valoir leurs moyens de défense.

En l’espèce, le Tribunal estime que l’entretien qui a eu lieu, le jour du licenciement, n’a été l’occasion que d’annoncer la décision prise et qu’aucune preuve n’existe que, préalablement à celui-ci, Monsieur E. a été mis au courant des faits reprochés et a pu préparer sa défense en conséquence. Il n’existe par ailleurs aucune preuve qu’il a pu demander l’assistance d’un conseil.

Le Tribunal retient dès lors une faute dans le chef de l’administration.

Quant au préjudice, il estime qu’il est constitué, d’une part, de la perte d’une chance d’avoir pu faire valoir sa défense en vue de conserver son emploi et, d’autre part, d’un sentiment d’injustice (préjudice moral). Sur ce dernier point, le Tribunal se fonde sur la décision ultérieure de refus du revenu d’intégration et de l’obligation corrélative de devoir diligenter une procédure, par ailleurs vécue comme complexe et pénible.

Intérêt de la décision

Ce jugement s’inscrit dans une jurisprudence qui tend à s’affirmer, faisant peser sur l’employeur du secteur public, en sa qualité d’autorité administrative, des obligations spécifiques, tirées d’une part de l’obligation de motiver formellement la décision de licenciement et d’autre part des principes généraux de bonne administration, parmi lesquels le droit à présenter sa défense (droit d’audition préalable).


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be