Terralaboris asbl

Crédit-temps : Quelle est l’étendue du contrôle du motif économique de licenciement ?

Commentaire de Trib. trav. Bruxelles, 29 mars 2006, R.G. 77.395/04

Mis en ligne le jeudi 27 mars 2008


Tribunal du Travail de Bruxelles, 29 mars 2006, R.G. n° 77395/04

TERRA LABORIS ASBL – Mireille Jourdan

Dans un jugement du 29 mars 2006, le tribunal du travail de Bruxelles a rappelé qu’un motif économique existe, permettant de licencier un membre du personnel bénéficiant d’une protection contre le licenciement, vu une réduction de prestations, si des difficultés économiques persistantes sont établies et que des mesures de divers ordres doivent être prises pour y remédier.

Les faits

Une secrétaire d’un centre médical avait sollicité un crédit-temps, à concurrence d’un cinquième pour une durée d’un an, demande qui fut acceptée par l’employeur.

Pendant cette période de réduction des prestations, l’intéressée eut une période d’incapacité de travail de deux mois. L’employeur lui notifia, alors, sa décision de mettre fin immédiatement au contrat de travail pour raisons économiques. Le licenciement intervenait sur le champ, moyennant paiement d’une indemnité.

La travailleuse sollicita la justification écrite des motifs du licenciement.

Position des parties

La travailleuse contestait le motif du licenciement et demandait que son ancienneté soit reconnue depuis son engagement par un autre centre, repris par celui pour lequel elle prestait au moment de son licenciement.

Le litige tourna essentiellement autour du motif de licenciement, étant l’existence de raisons économiques, puisque la travailleuse bénéficiait de la protection contre le licenciement en application de l’article 20 §2 de la convention collective n° 77 bis du 19 décembre 2001 (rendue obligatoire par A.R. du 25 janvier 2002). L’employeur demandait la reconnaissance de celles-ci. Il considérait, par ailleurs, ne pas être visé par la CCT 32 bis malgré la reprise du centre dans lequel la travailleuse avait été occupée précédemment. Cette question n’avait toutefois qu’un intérêt limité aux documents sociaux à remplir.

La position du tribunal

(1) Sur la première question, le tribunal commence par rappeler le principe de la protection organisée par la CCT n°77 bis, étant que l’employeur ne peut faire aucun acte tendant à mettre fin unilatéralement à la relation de travail, sauf motif grave ou pour un motif dont la nature et l’origine sont étrangères à la suspension du contrat de travail ou à la réduction des prestations de travail à mi-temps du fait de l’exercice du droit au crédit-temps, à la diminution de carrière ou de prestations à mi-temps visées dans la même CCT.

L’interdiction débute au moment de l’introduction de la demande écrite, soit ainsi au plus tôt trois mois ou six mois (selon la taille de l’entreprise) avant le début de la suspension, pour se terminer trois mois après la fin de celle-ci (que ce soit une suspension totale ou une réduction de prestations). La sanction organisée par la CCT n°77 bis est le paiement d’une indemnité forfaitaire égale à la rémunération de six mois, cumulable avec les indemnités auxquelles le travailleur a droit, en cas de rupture du contrat.

Pour l’appréciation du motif économique, le tribunal renvoie à un arrêt de la cour du travail de Bruxelles du 13 mai 2002 (Bulletin FEB 2002, 88) qui a procédé par analogie avec l’article 63, relatif au licenciement abusif de l’ouvrier. Cet arrêt rappelle que, l’employeur étant seul juge des mesures de gestion de l’entreprise, il n’y a pas de contrôle d’opportunité. Sur la notion de nécessités de fonctionnement de l’entreprise, il considère cependant qu’elles doivent constituer les causes réelles du licenciement, mais que le juge n’a pas à s’immiscer dans la gestion ou l’organisation de l’entreprise et à vérifier l’opportunité des mesures mises en œuvre pour répondre à ces nécessités.

Le tribunal rappelle également un arrêt antérieur de la même cour (CT Brux, 23/12/1999, CDS, 2000, p36) qui avait estimé qu’au-delà de la vérification de l’existence des faits économiques pouvant conduire à des réductions de personnel, les juridictions du travail n’avaient pas à s’immiscer dans la gestion de l’entreprise, sous peine d’outrepasser la règle du contrôle marginal du lien entre le licenciement et lesdites nécessités.

Appliquant ces principes au cas d’espèce, le tribunal relève que les motifs invoqués par l’employeur sont justifiés par un bilan de l’année précédant le licenciement, ainsi qu’un contrat d’engagement d’un travailleur dans le cadre de l’article 60 de la loi organique des CPAS.

C’est donc la situation déficitaire présentée qui constitue le motif en lui-même. Le tribunal constate qu’un tel déficit est propre à un grand nombre de centres médicaux de la ville, mais ceci n’empêche qu’ils doivent fonctionner, puisqu’ils sont chargés de divers services médicaux au bénéfice de la population. Toutefois, l’existence de sacrifices financiers faits par les gestionnaires, ainsi que de dettes réelles et importantes de loyers et de frais de chauffage sont avérées. Dans ce contexte, il admet que le centre tente de réduire le coût du personnel.

Il constate que la situation se complexifie du fait qu’après le licenciement de l’intéressée, il l’a remplacée par une autre travailleuse, engagée dans les conditions de l’article 60 de la loi organique des CPAS du 8 juillet 1976. Pour cette employée, le centre verse au CPAS un montant de 500 Euros par mois. Il en résulte, dès lors, que cette mise à disposition permet une économie d’environ 15.000 Euros par an (hors cotisations de sécurité sociale). Aussi, une économie financière de cet ordre, dans un contexte de circonstances économiques très difficiles, peut justifier la nécessité impérative de procéder au licenciement du membre du personnel dont le coût salarial est manifestement plus élevé que celui de la travailleuse mise à disposition par le CPAS.

Pour le tribunal, ceci démontre que le licenciement n’a pas été occasionné par la demande de réduction de prestations, mais bien par le fait d’un motif économique, étant que le centre souhaitait disposer d’une travailleuse au coût salarial moins élevé, dans le cadre d’un contrat à caractère social, dans un contexte de difficultés financières très graves.

Le tribunal conclut que son rôle se limite à vérifier l’existence du motif d’ordre économique qui permet de justifier la nécessité impérative de procéder au licenciement.

Constatant qu’il n’est pas saisi d’une demande de caractère abusif du licenciement, le tribunal arrête là son examen.

(2) La décision porte également sur une autre question, surgie à propos des documents sociaux. En effet, le centre médical a repris les activités d’un autre centre, ainsi que le personnel de celui-ci mas considère que le centre repris ayant déposé son bilan, il n’avait pas à mentionner comme date de début d’activité dans le document C4 celle à laquelle l’intéressée était entrée au service du premier employeur, et ce au motif qu’il s’agissait d’une entreprise n’ayant aucune vocation commerciale et que, en conséquence, la CCT 32 bis ne s’appliquerait pas.

Le tribunal corrige l’appréciation de cette situation faite par le centre, rappelant qu’en application de la CCT 32 bis, il est indifférent que l’entreprise concernée poursuive ou non un but lucratif. Selon la jurisprudence constante de la Cour de justice des communautés européennes, dès lors que le transfert porte sur un ensemble organisé de personnes et d’éléments permettant l’exercice d’une activité économique qui poursuit un objectif propre, toutes les garanties prévues par la CCT, notamment en ce qui concerne la reprise d’ancienneté, trouvent à s’appliquer. Le tribunal rappelle l’arrêt Francisco Hernandez (C.J.C.E., 10/12/1998, aff. C-127/96), qui a précisé qu’un ensemble organisé de salariés qui sont spécialement et durablement affectés à une tâche commune peut, en l’absence d’autres facteurs de production, correspondre à une entité économique.

Il y a dès lors lieu de tenir compte de l’ancienneté depuis le premier contrat.

Intérêt de la décision

La décision tranche deux questions,

(1) la licéité du motif de licenciement invoqué par l’employeur en cas de licenciement d’un travailleur en réduction de prestations. Tout en rappelant qu’il y a lieu de se référer par analogie aux critères de l’article 63 de la loi du 3 juillet 1978, le tribunal estime établi que le motif économique peut découler d’une situation apparemment chroniquement déficitaire d’un centre poursuivant une activité non lucrative (en l’occurrence services de santé) et que, dans les efforts faits dans ce contexte en vue de réduire l’ensemble des coûts – dont le coût de personnel –, il peut être fait appel à du personnel au coût salarial moins élevé. La question reste néanmoins posée, au regard de l’article 63 de la loi du 3 juillet 1978 de la licéité de ce motif, puisqu’une jurisprudence bien établie avait admis que le coût salarial en lui-même ne constitue pas une nécessité de fonctionnement de l’entreprise, et ce à peine de mettre à mal la protection de la rémunération assurée par le législateur et les conventions collectives de travail. En l’espèce, le remplacement de la travailleuse est intervenu sous une autre forme d’engagement qu’un contrat de travail, c’est-à-dire par une mise à l’emploi à caractère social et c’est très vraisemblablement cet élément, couplé à l’économie considérable que permet la mesure, qui a fait admettre la licéité du licenciement.

(2) le tribunal a en outre l’occasion de rappeler les principes dégagés par la jurisprudence de la Cour de justice de Luxembourg en ce qui concerne l’existence d’un transfert d’entreprise, étant qu’il peut porter sur un ensemble organisé de personnes et d’éléments, dont un ensemble organisé de salariés spécialement et durablement affectés à une tâche commune, et ce même en l’absence d’autres facteurs de production.


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