Terralaboris asbl

Preuve de faits de harcèlement dans le cadre d’une plainte déposée

Commentaire de Trib. trav. Bruxelles, 15 janvier 2007, R.G. 18.702/06

Mis en ligne le jeudi 27 mars 2008


Tribunal du travail de Bruxelles, 15 janvier 2007, R.G. n° 18.702/06

TERRA LABORIS ASBL – Mireille Jourdan

Dans un jugement (non définitif) du 15 janvier 2007, le Tribunal du travail de Bruxelles a admis que peut constituer la preuve d’un motif grave, étant des faits de harcèlement sexuel sur les lieux du travail, le rapport du conseiller en prévention ainsi que l’ensemble du dossier de plainte et ordonne la production de celui-ci.

Les faits

À l’occasion d’un litige mu dans le cadre de la loi du 19 mars 1991, le Tribunal du travail de Bruxelles, saisi d’une demande d’autorisation de licenciement pour motif grave, dut examiner la possibilité pour le juge du Tribunal du travail de prendre en compte, pour l’administration de la preuve d’un fait, le rapport établi par le conseiller en prévention, dans le cadre de l’article 32nonies de la loi du 4 août 1996 relative au bien-être des travailleurs lors de l’exécution de leur travail.

Le motif grave consistait, en effet, dans des faits susceptibles de constituer des actes de harcèlement sexuel sur les lieux du travail. La particularité de l’espèce était que la preuve des faits reprochés reposait entièrement sur le rapport établi par le conseiller en prévention.

Le Tribunal devait donc examiner la possibilité de se fonder sur celui-ci.

La position du Tribunal

Avant d’aborder la question spécifique du rapport du conseiller en prévention, le Tribunal rappela, sur le plan de la charge de la preuve, que la loi du 4 août 1996 comporte des règles spécifiques en ce qui concerne la preuve du harcèlement, destinées à faciliter l’administration de cette preuve, mais que ces règles ne s’appliquent pas à la charge de la preuve des faits de harcèlement reprochés à un travailleur à qui un motif grave est reproché.

En effet, les dispositions de l’article 32undecies ne portent pas atteinte à « d’autres dispositions légales plus favorables en matière de charge de la preuve ». Or, comme le rappelle le Tribunal, en matière de licenciement pour motif grave, il faut appliquer la règle de preuve la plus favorable au travailleur à qui une faute grave est imputée, à savoir l’article 35 de la loi du 3 juillet 1978 (le Tribunal rappelle deux jugements du Tribunal du travail de Nivelles des 20 juin et 19 septembre 2003 – CDS 2004, p. 480).

Sur le plan de l’administration de la preuve, il est rappelé que la loi du 4 août 1996 et la réglementation contiennent de nombreuses exigences, afin de garantir l’indépendance, l’impartialité et la compétence du conseiller en prévention. Le Tribunal rappelle les dispositions légales et réglementaires relatives à l’exercice par ceux-ci de leur mission en toute indépendance, et ce tant vis-à-vis de l’employeur que des travailleurs, requérant un examen du dossier en toute impartialité, ces missions impliquant à la fois des exigences particulières relatives aux diplômes, à la formation et à l’expérience professionnelle, ainsi qu’un agrément du Ministre lorsqu’il s’agit d’un service externe, service soumis, de surcroît, à une surveillance permanente.

Pour le Tribunal l’ensemble de ces éléments confère une crédibilité particulière au rapport qui sera établi par le conseiller en prévention.

Les qualifications professionnelles du conseiller ainsi que les moyens qu’il lui ont été donnés pour l’exercice de sa mission font qu’il est particulièrement outillé pour constater les faits et les analyser en vue de détecter et de préconiser les mesures à prendre en cas de harcèlement. Si le dossier établi constitue un élément précieux pour identifier et apprécier les faits, le Tribunal ne peut abandonner pour autant au conseiller en prévention l’exercice de sa propre compétence ou souscrire d’office à son appréciation.

Malgré la clarté du rapport, en l’espèce, le Tribunal estime nécessaire de se faire communiquer l’entièreté des dossiers établis par le conseiller, et notamment les témoignages recueillis. Le simple résumé de ceux-ci dans le rapport ne permet qu’une connaissance indirecte et globale. Il faut toutefois en connaître le contenu exact, et ce non seulement pour permettre au juge de se forger une conviction mais également pour que l’intéressé puisse se défendre des accusations portées.

Le juge rappelle que l’intervention du conseiller en prévention et celle du Tribunal du travail ont été conçues par le législateur dans une optique de complémentarité et non d’exclusive.

Le dossier individuel de plainte à communiquer comprend les documents reprenant les déclarations de la victime et des témoins et, le cas échéant, le résultat de la tentative de conciliation, ainsi que les documents reprenant les déclarations du ou des auteurs du harcèlement, avec les propositions faites à l’employeur concernant les mesures adéquates à appliquer et, s’il y a lieu, la demande d’intervention de l’inspection médicale du travail.

L’on sait que doivent également figurer dans le dossier les données particulières à caractère personnel relevées par le conseiller en prévention compétent lors des déclarations. Ces dernières lui sont spécifiquement réservées et ne doivent dès lors pas être déposées. Les autres éléments du dossier devant être tenus à la disposition du fonctionnaire chargé de la surveillance et devant en outre lui être soumis lorsque ce fonctionnaire est saisi de l’affaire, le Tribunal en conclut que, a fortiori, ce dossier doit être soumis au Tribunal lorsqu’il est saisi du litige. Le fait que les dossiers et le rapport établis par le conseiller en prévention aient un caractère confidentiel ne fait pas que leur communication au Tribunal les rendrait publics.

Il est en effet essentiel de respecter le principe du contradictoire mais ces documents, dossiers et rapport doivent conserver leur caractère confidentiel. Aussi le juge attire-t-il l’attention des parties sur leur obligation de réserve et leur responsabilité à cet égard.

Intérêt de la décision

Le jugement annoté pose la question de la production du rapport du conseiller en prévention, ainsi que de l’ensemble du dossier de plainte non dans le cadre des mesures prévues par la loi du 4 août 1996 et de ses arrêtés d’exécution, mais en tant que preuve du motif grave.

Le Tribunal admet non seulement que peut être constitutif d’une telle preuve le rapport en lui-même mais également les déclarations de témoins et plaignants, dont il se réserve toutefois d’apprécier la force probante conformément aux règles générales en matière de preuve.

Relevons qu’appel a été interjeté de cette décision.


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