Terralaboris asbl

Calcul du délai de trois jours

Commentaire de Trib. trav. Mons, 16 janvier 2006, R.G. 11.748/04/M

Mis en ligne le jeudi 27 mars 2008


Tribunal du travail de Mons, 16 janvier 2006, R.G. n° 11.748/04/M

TERRA LABORIS ASBL – Sophie Remouchamps

Dans un jugement du 16 janvier 2006, le tribunal du travail de Mons a été appelé à se prononcer sur le calcul du délai de trois jours, étant la notion de jour ouvrable, ainsi que sur d’autres questions annexes, telles que la surséance à statuer en raison du principe « le criminel tient le civil en état » et la possibilité pour l’employeur de solliciter la compensation entre les sommes dues par lui en raison de la fin du contrat et des éventuels dommages et intérêts qui pourraient être attribués à l’issue d’une procédure pénale.

Les faits

Madame V. est employée dans une librairie papeterie en qualité de vendeuse réassortisseuse depuis l’année 2001.

Constatant que le chiffre d’affaires baisse d’une manière anormale, ainsi que cela avait été le cas par le passé en raison de vols d’une précédente employée, l’employeur procède à des contrôles physiques sur la base de manquements relevés par un système de contrôle informatique mis en place à la suite des vols qu’avait connus cette entreprise.

Ces contrôles feraient apparaître l’existence de disparition de stocks ou de manquants en caisse, que l’employeur attribue à Madame V., ceux-ci se produisant lorsqu’elle est seule dans le magasin.

Le 19 février 2004, l’employeur procède à une audition de la travailleuse. Les parties sont contraires en fait quant à la teneur et la nature de cette audition. Toujours est-il qu’à l’issue de celle-ci, la travailleuse signe des aveux ainsi qu’un formulaire C4.

Le surlendemain, elle se représente au magasin avec son époux, revenant sur les aveux faits, qu’elle estime avoir été obtenus par violence et menaces. Elle demande à poursuivre l’exécution du contrat de travail, ce qui lui est refusé.

Le 23 février 2004, elle se représente avec un huissier de justice, qui acte la déclaration de la fille du gérant selon laquelle Madame V. ne doit plus revenir au travail en raison d’un préavis qui lui aurait été remis le 19 février.

Par courrier daté du 23 mais expédié par recommandé le 24 février 2004, l’employeur notifie à la travailleuse un congé pour motif grave, en raison des faits et des aveux du 19 février.

Par ailleurs, celui-ci dépose plainte avec constitution de partie civile entre les mains d’un juge d’instruction en date du 22 avril 2004.

Position des parties

Madame V. soutient devant le tribunal du travail que la notification du motif grave est intervenue au-delà du délai de trois jours prescrit par l’article 35 de la loi du 3 juillet 1978, la connaissance des faits devant être située au 19 février 2005. Elle en conclut que l’indemnité compensatoire de préavis est due, quelle que soit la matérialité des faits. Elle soutient dès lors qu’il est inutile de faire droit à la demande de surséance à statuer formulée par l’employeur en raison de l’instruction pénale, dans la mesure où l’examen de la matérialité des faits ne doit pas être effectuée par le tribunal vu l’irrégularité formelle affectant le licenciement pour motif grave.

Elle demande également la modification du formulaire C4, à savoir que celui-ci mentionne l’indemnité compensatoire de préavis et ne fasse aucune référence au motif grave, vu l’absence de notification dans les délais prescrits. La travailleuse avait également introduit une demande d’abus de droit de licencier. Pour cette demande, elle demande au tribunal de réserver à statuer dans l’attente de l’issue de l’instruction pénale.

L’employeur soutient quant à lui que la notification du motif grave s’est réalisée dans le délai de trois jours, arguant tout d’abord que les samedis ne peuvent être, actuellement, considérés comme des jours ouvrables. Selon lui, les jours ouvrables seraient les jours au cours desquels la plupart des travailleurs prestent, à savoir du lundi au vendredi.

Par ailleurs, il plaide qu’en date du 19 février 2004, la travailleuse avait marqué accord pour cesser toute prestation de manière volontaire en échange de quoi le congé pour motif grave ne lui aurait pas été signifié immédiatement. Ce n’est qu’après la volte-face de la travailleuse, qui est revenue sur ses aveux en se représentant ultérieurement avec son époux, qu’il aurait pris la décision de la licencier pour motif grave, cette volte-face constituant un fait déterminant de la faute grave alléguée.

Pour le surplus, l’employeur demande au tribunal de surseoir à statuer dans l’attente du règlement de la procédure pénale, les faits à la base de la plainte pénale et du motif grave étant identiques. Cette demande de surséance se fonde également sur la volonté de l’employeur de compenser les sommes éventuellement dues à Madame V. (indemnité compensatoire de préavis, dernier salaire) avec les dommages et intérêts qu’il pourrait obtenir sur la base des infractions pénales.

La décision du tribunal

En ce qui concerne le respect du délai de trois jours, le tribunal conclut à l’irrégularité du licenciement. Il estime en effet que la date de la connaissance suffisante et certaine des faits allégués à l’appui du motif grave doit être fixée au jeudi 19 février, ce qui résulte de l’ensemble des déclarations de l’employeur (ses conclusions additionnelles, la lettre de congé - qui précise que la connaissance se situe au 19 février -, le formulaire C4 et les déclarations de la fille du gérant actées par l’huissier de justice).

Le tribunal relève par ailleurs que la connaissance suffisante des faits au 19 février se justifie d’autant plus qu’à cette date, l’employeur était en possession de suffisamment d’éléments pour signifier verbalement le congé.

La date de la connaissance des faits ainsi que celle du congé étant fixée au 19 février, le tribunal estime que la notification intervenue en date du 24 février est tardive, la notion de jours ouvrables se définissant dans son sens usuel, c’est-à-dire par opposition aux jours fériés. Les jours ouvrables comprennent dès lors le samedi. Le tribunal s’appuie d’ailleurs sur un arrêt de la Cour de Cassation rendu en matière de licenciement d’un travailleur protégé du 27 février 1995 ainsi qu’également sur la loi du 16 mars 1971 sur le travail, qui prescrit l’interdiction d’occuper les travailleurs le dimanche par rapport aux autres jours de la semaine, en ce donc compris le samedi.

Dans la mesure où la notification du licenciement pour motif grave est jugée irrégulière, le tribunal estime qu’il n’y a pas lieu de faire droit à la demande de surséance à statuer au motif que le tribunal n’a pas à se prononcer sur la réalité et/ou la gravité des faits constitutifs de motif grave reprochés à la travailleuse, celle-ci obtenant l’indemnité compensatoire de préavis sur le seul constat de l’irrespect par la société du double délai de trois jours prescrit par l’article 35 de la loi du 3 juillet 1978. Le tribunal se fonde à cet égard sur un arrêt de la Cour de Cassation du 19 mars 2001, qui précise que, lorsque le juge se borne à examiner la régularité formelle du licenciement pour motif grave, il ne statue pas sur l’existence des faits et sur leur caractère grave.

En ce qui concerne le formulaire C4, le tribunal estime qu’il y a lieu de le modifier concernant les données relatives à l’occupation, concernant l’indication de l’existence d’une indemnité compensatoire de préavis mais également concernant le motif mentionné dans la rubrique « motif précis du chômage ». Il estime en effet que, puisqu’il n’examinera pas la matérialité du motif grave reproché, aucune référence ne peut être faite dans la case ad hoc à un licenciement pour motif grave.

Le tribunal estime par ailleurs qu’il faut préserver Madame V. d’une enquête unilatérale menée par l’ONEm auprès de l’employeur quant au motif de chômage. Sur ce point, le tribunal se limite à ordonner à l’employeur de rédiger un nouveau C4 en ne mentionnant pas un licenciement pour motif grave.

Enfin, sur la demande de surséance à statuer en vue de permettre une éventuelle compensation formée par l’employeur, le tribunal la rejette, les conditions édictées par l’article 1291 du Code civil n’étant pas réunies. En effet, les dommages et intérêts postulés par l’employeur ne sont pas encore exigibles au moment où le tribunal statue.

Quant à la demande du chef d’abus de droit de licencier et la demande reconventionnelle introduite par l’employeur (en vue d’obtenir des dommages et intérêts vu les détournements incriminés), le tribunal réserve à statuer dans l’attente de l’issue de la procédure pénale.

Intérêt de la décision

Cette décision présente un intérêt à deux titres, étant tout d’abord la définition de la notion de jour ouvrable contenue à l’article 35 ainsi que le fait qu’aucune surséance à statuer en application de l’adage « le criminel tient le civil en état » ne peut trouver à s’appliquer lorsque le juge estime le licenciement pour motif grave irrégulier eu égard au non respect des conditions formelles de sa notification.


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