Terralaboris asbl

Exercice d’une activité accessoire pendant une période d’incapacité de travail : faute grave ?

Commentaire de Trib. trav. Bruxelles, 30 octobre 2006, R.G. 11.685/06

Mis en ligne le jeudi 27 mars 2008


Tribunal du Travail de Bruxelles, 30 octobre 2006, R.G. 11.685/06

TERRA LABORIS ASBL – Pascal Hubain

C’est à cette question qu’a répondu le tribunal du travail de Bruxelles, concernant le cas d’un travailleur protégé. Le tribunal est ainsi amené à préciser les contours tracés par la jurisprudence quant aux comportements qui sont autorisés au travailleur pendant une période d’incapacité de travail.

Les faits

Le délégué du personnel était occupé au sein d’un hypermarché en qualité de caissier. Son occupation était prévue à temps partiel (30 heures / semaine).

Par ailleurs, celui-ci avait développé une activité accessoire, étant la prise de participation dans une société ayant pour activité la location de cassettes vidéo et de dvd. Ce travailleur a la qualité d’associé actif de cette société.

En juillet 2006, il remet un certificat d’incapacité de travail à son employeur, prévoyant un arrêt pour cause de maladie avec sortie autorisée pendant quinze jours.

L’existence de l’activité accessoire étant connue de l’employeur, celui-ci dépêche, dans le vidéo club un détective privé, puis par deux fois un huissier de justice et enfin des membres dirigeants de l’entreprise, aux fins de constater l’exercice effectif de l’activité accessoire pendant l’incapacité de travail.

Se saisissant des constatations réalisées à cette occasion (exercice effectif de l’activité et utilisation de sachets à l’enseigne de l’hypermarché), l’employeur sollicite du tribunal du travail l’autorisation de licencier le travailleur pour motif grave.

La décision du tribunal

Sur le plan des principes, le tribunal relève que la jurisprudence est unanime pour considérer que constitue une faute grave dans le chef du travailleur le fait pour celui-ci d’exercer une activité extracontractuelle pendant la suspension de son contrat de travail pour cause d’incapacité, lorsque cette activité, par sa similitude avec les tâches convenues, dénie la réalité de l’incapacité alléguée. Ceci est d’autant plus vrai lorsque cette activité s’effectue pendant une période couverte par le salaire garanti et vaut également s’il s’agit d’une activité indépendante exercée pour son propre compte.

Passant à l’analyse concrète des données de la cause, le tribunal procède à une comparaison entre la fonction convenue (caissier dans un hypermarché) et la fonction accessoire (vendeur dans un vidéo shop). Il estime que ces fonctions ne sont, in concreto, nullement similaires.

Le jugement précise en effet que la fonction de caissier ne se limite pas à l’enregistrement des achats et la manipulation d’argent mais peut également comporter la manipulation d’objets encombrants et/ou pondéreux et implique également des mouvements de torsion du tronc. Ces manipulations et mouvements ne sont pas requis pour l’exercice de la fonction de vendeur dans le vidéo shop.

Le tribunal examine également le contexte dans lequel s’exerce l’activité au sein de l’hypermarché, à savoir un emploi subordonné dans un contexte de stress potentiel (eu égard à l’importance des clients à servir et des objets manipulés au cours de la journée) ainsi que les potentialités d’agressions physiques ou verbales, soit autant de circonstances qui ne sont pas présentes dans la fonction de vendeur, qui s’exerce en-dehors d’un lien de subordination et, en principe, sans contexte stressant.

Par ailleurs, le tribunal relève que les plages d’exercice des activités ne coà¯ncident pas, celle convenue contractuellement étant exercée le matin, l’autre étant exercée l’après-midi. Il note également que cette activité accessoire était connue de l’entreprise et que l’employeur ne l’a jamais considérée comme incompatible avec l’exécution du travail convenu. Le tribunal rappelle encore que l’incapacité au travail convenu n’a pas nécessairement d’incidence sur le travail accessoire, d’autant qu’en l’espèce, il n’est pas établi que l’exercice de cette activité accessoire aurait nui à la reprise du travail.

Enfin, le tribunal souligne qu’il aurait été plus simple et moins onéreux pour l’employeur de vérifier la réalité de l’incapacité de travail par le biais du contrôle médical légalement organisé au lieu de dépêcher des tiers sur place afin de constater l’exercice d’une activité dont le travailleur ne se cachait pas, et ce d’autant plus que le motif de la mise en incapacité de travail peut par exemple relever de motifs d’ordre psychique et consister en la répercussion d’une ambiance de travail sur l’état psychique du travailleur. La seule manière de vérifier la réalité de l’incapacité était le recours à un médecin contrôleur dans le cadre de l’article 31 de la loi du 3 juillet 1978.

Intérêt de la décision

Le jugement rendu par le tribunal du travail confirme que ce n’est que par une analyse comparative de la fonction convenue et de la fonction accessoire que l’on peut déterminer s’il y a similitude, autorisant éventuellement le tribunal à reconnaître l’existence d’une faute dans le chef du travailleur. En effet, il est de jurisprudence constante que l’exercice pendant une période d’incapacité d’une activité qui par sa nature s’avère être similaire à celle contractuellement convenue, autorise le juge à considérer qu’il y a fraude, le travailleur étant en réalité apte au travail convenu, ainsi que l’atteste l’exercice de l’activité accessoire.

En l’espèce, une analyse précise des données du dossier démontre que, au-delà des apparences, les conditions d’exercice de l’activité peuvent s’avérer être tout à fait différentes, notamment eu égard à l’environnement professionnel dans lequel elle s’inscrit.

Ce jugement a été frappé d’appel. Statuant sur celui-ci, la Cour du travail a déclaré l’action irrecevable.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be