Terralaboris asbl

Clause d’essai et législation sur l’emploi des langues

Commentaire de Trib. trav. Bruxelles, 7 janvier 2008, R.G. 5.438/07

Mis en ligne le jeudi 27 mars 2008


Tribunal du travail de Bruxelles, 7 janvier 2008, R.G. n° 5.438/07

TERRA LABORIS ASBL – Sandra CALA

Dans un jugement du 7 janvier 2008, le tribunal du travail de Bruxelles a considéré qu’une clause d’essai rédigée en langue française, destinée à corriger, en cours de contrat, la non validité de celle signée en anglais lors de l’engagement est valable.

Les faits

Une employée est engagée par une société anglaise, dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée, en mai 2006. Le contrat est rédigé en langue anglaise et il contient une clause d’essai de 6 mois.

Ce contrat sera remplacé avec effet rétroactif par un document établi en langue française.

L’employée est licenciée, pendant une période de protection de maternité, en cours d’essai, moyennant préavis de 7 jours. L’indemnité correspondante lui est payée.

Elle assigne, tant sur la non validité de la clause d’essai que pour obtenir l’indemnité de protection.

La position des parties

Pour la demanderesse, la clause d’essai est nulle, étant rédigée en contrariété avec les dispositions des lois coordonnées du 28 juillet 1966 sur l’emploi des langues en matière administrative. Elle objecte que le remplacement ne peut sortir ses effets en temps utile et, en outre, que l’article 67 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail doit primer l’article 59 des lois coordonnées. Elle demande, à titre subsidiaire, que soit posée une question à la Cour constitutionnelle en ce qui concerne la discrimination entre travailleurs, ceux travaillant pour un siège d’exploitation établi en région unilingue pouvant invoquer la nullité d’une clause d’essai établie dans une autre langue que celle requise alors que ceux travaillant pour un siège d’exploitation établi en région bruxelloise ne le peuvent pas, l’employeur ayant la faculté de remplacer le document irrégulier par une traduction.

La position du Tribunal

Le tribunal rappelle que, pour les employeurs dont le siège d’exploitation est établi dans la région de langue néerlandaise (hormis les communes contiguà« s à une autre région linguistique), l’emploi des langues en matière de relations sociales est régi par le décret du 19 juillet 1973 de la Communauté flamande ; pour ceux établis dans la région de langue française, il s’agit du décret du 30 juin 1982 de la Communauté française relatif à la protection de la liberté de l’emploi des langues et de l’usage de la langue française en matière de relations sociales et que, pour les autres, il faut se référer aux lois coordonnées du 18 juillet 1966.

Les deux premiers textes font obligation au juge de prononcer la nullité de tout acte qui ne serait pas établi dans la langue requise et prévoient que le remplacement de l’acte ne peut sortir ses effets que pour l’avenir, c’est-à-dire à partir de la date du remplacement. Tel n’est pas le cas des lois coordonnées, qui permettent le remplacement de l’acte irrégulier avec effet rétroactif à sa date.

Dès lors, pour la société qui a son siège d’exploitation en région bruxelloise, s’il ne peut être admis que le contrat soit rédigé en langue anglaise, la faculté de remplacement est autorisée par l’article 59 et celui-ci va sortir ses effets à la date du document remplacé. La société ayant communiqué une traduction française du contrat, celle-ci peut rétroagir à la date de l’engagement. En outre, la demanderesse objectant qu’elle n’avait pas signé cette traduction, le tribunal retient qu’il est procédé au remplacement du document irrégulier par l’entreprise intéressée et que celui-ci est opposable au travailleur comme s’il avait été établi régulièrement à cette date. L’accord du travailleur sur le remplacement n’est pas requis (Cass., 16 janvier 1995, Chron. Dr. Soc. 1995, p. 371).

Sur la contrariété entre les normes applicables, invoquée par la demanderesse, le tribunal considère qu’elle n’existe pas : l’exigence d’un écrit établi au plus tard à la date de l’engagement (article 67 de la loi du 3 juillet 1978) n’empêche pas la régularisation de la langue avec effet rétroactif (fiction juridique établie par l’article 59 des lois coordonnées).

Sur la demande de la question préjudicielle à la Cour constitutionnelle, tout en relevant une différence de traitement entre les travailleurs prestant pour un siège d’exploitation établi en région unilingue (française ou néerlandaise) d’une part et la région bruxelloise d’autre part, le tribunal relève qu’il ne s’agit pas d’une discrimination susceptible de censure par la Cour.

En effet, la différence de traitement ne trouve pas sa source dans une loi ni dans un décret mais découle de ce que les entités fédérées ont exercé de manière autonome les compétences dévolues par la Constitution, ainsi, en matière d’emploi des langues pour les relations sociales. Le fait que cet emploi des langues ait été réglé différemment, dans leurs champs respectifs de compétence, par les différents législateurs ne constitue pas une discrimination prohibée.

La clause d’essai est dès lors valable.

Relevons encore, sur le deuxième chef de demande, relatif à l’indemnité de protection de maternité, que le tribunal va retenir des circonstances de fait que celle-ci est fondée. L’intérêt de ce deuxième volet est que le tribunal admettra, pour la base de calcul de l’indemnité de protection, non seulement le salaire mensuel brut au sens strict mais également le montant des avantages de toute nature, en l’espèce l’allocation patronale à l’assurance de groupe. Le tribunal rappelle la jurisprudence de la Cour de cassation sur la notion de rémunération, et particulièrement, l’arrêt de la Cour de cassation du 6 février 2006 (J.T.T. 2006, p. 250) concernant le calcul de l’indemnité de sécurité d’emploi dans le secteur des assurances.

Enfin, le tribunal ne va allouer les intérêts que sur le montant net des condamnations, retenant une objection de la société relative à l’inconstitutionnalité de l’arrêté royal du 1er juillet 2005 pris en exécution des articles 81 et 82 de la loi du 26 juin 2002 relative aux fermetures d’entreprise, et ce, au motif que, s’agissant d’un arrêté de caractère réglementaire, il n’a pas été soumis à l’avis préalable du Conseil d’état.

Intérêt de la décision

Cet intérêt est triple, puisque le tribunal rappelle les distinctions à opérer, en matière d’emploi des langues, en fonction du site d’exploitation de l’employeur et que, ensuite, il retient la notion extensive de la rémunération lorsqu’il s’agit du paiement d’indemnités spéciales, en l’occurrence l’indemnité de protection de maternité et que, enfin, il constitue une des premières décisions à trancher la question de la constitutionnalité de l’arrêté royal du 1er juillet 2005.


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