Terralaboris asbl

Quand y a-t-il manœuvre frauduleuse déterminant le délai de prescription applicable à la récupération des indemnités d’incapacité de travail indûment perçues ?

Commentaire de C. trav. Mons, 8 juin 2006, R.G. 19.999

Mis en ligne le mercredi 26 mars 2008


Cour du travail de Mons, 8 juin 2006, R.G. n° 19.199

Terra Laboris asbl – Pascal Hubain

Dans un arrêt du 8 juin 2006, la cour du travail de Mons a considéré que le seul fait d’affirmer qu’un assuré social « savait parfaitement » qu’il ne pouvait poursuivre une activité professionnelle, sans autorisation préalable du médecin conseil de sa mutuelle, tout en percevant des indemnités d’incapacité de travail, ne suffit pas à démontrer l’existence dans son chef de manœuvres frauduleuses.

Les faits

Mr P .M. a été reconnu en incapacité de travail pour plusieurs pathologies et a été indemnisé par son organisme assureur à partir du 5 octobre 1999.

Son épouse, Mme J.C., exploite en personne physique depuis 1990 une épicerie installée à leur domicile.

Au cours d’une enquête effectuée par le service du contrôle médical de l’INAMI, Mr P.M. a été interpellé à la sortie d’un magasin alors qu’il était occupé à charger dans sa camionnette des produits de tabac qu’il venait d’y acheter pour un montant de 1.233,49 €, facturés au nom de son épouse.

Le contrôleur social a entendu l’intéressé ainsi que divers témoins, leurs déclarations ayant été consignées dans un procès-verbal de constat notifié par lettre recommandée.

Dès le 18 avril 2002, le médecin inspecteur de l’INAMI a décidé de mettre fin à l’incapacité de travail de Mr P.M. à partir du 24 avril 2002 au motif qu’il n’a pas cessé toute activité au sens de l’article 100, § 1er de la loi coordonnée le 14 juillet 1994, décision qui ne fit pas l’objet d’un recours.

Par une deuxième décision du 25 avril 2002, le médecin inspecteur de l’INAMI a notifié à Mr P.M. qu’il ne lui reconnaissait pas le degré d’invalidité prévu par les articles 101 et 102 de la loi coordonnée le 14 juillet 1994 (réduction de capacité de gain de 50% au moins permettant de limiter la récupération des indemnités d’incapacité de travail aux jours effectifs de travail) .

Par conséquent, il a été mis fin à l’incapacité de Mr P.M. avec effet à la date du 5 octobre 1999.

L’INAMI a alors notifié à Mr P.M. sa décision de l’exclure du droit aux indemnités à concurrence de 180 indemnités journalières.

Par ailleurs, la mutuelle de Mr P.M. l’a invité à lui rembourser une somme de 38.899,33 € perçue indûment du 5 octobre 1999 au 23 avril 2002.

Les trois décisions ont été contestées par Mr P.M. devant le tribunal du travail de Charleroi.

La décision du tribunal

Dans un jugement du 24 mai 2004, le premier juge a confirmé les trois décisions de l’INAMI mais a réduit la sanction infligée à 15 et 38 indemnités journalières, a fixé à 5 ans le délai de prescription applicable à la récupération de prestations indues et a ordonné une réouverture des débats pour permettre à la mutuelle de s’expliquer sur son décompte.

La position des parties en appel

Mr P.M. conteste avoir poursuivi une activité non autorisée, arguant du caractère très irrégulier et limité de son activité, en raison de ses problèmes de santé.

Il prétend par ailleurs pouvoir bénéficier de la limitation de la récupération des indemnités perçues aux périodes de travail, selon lui, déterminables.

Il plaide enfin que le délai de prescription doit être limité à deux ans.

L’INAMI demande la confirmation du jugement entrepris sauf en ce qui concerne les sanctions prises, réduites par le premier juge.

L’UNMS demande la confirmation du jugement et introduit en degré d’appel une demande reconventionnelle pour obtenir le remboursement de la somme de 38.899, 33 € représentant les indemnités indûment perçues du 5 octobre 1999 au 23 avril 2002

La décision de la Cour

Après avoir rappelé les dispositions légales applicables (articles 100 et 101 de la loi coordonnée le 14 juillet 1994), la cour du travail a considéré que Mr P.M. a effectivement travaillé pour le compte de son épouse durant la période litigieuse, son activité consistant à servir les clients à l’épicerie, à effectuer des livraisons à domicile, à se rendre chez les fournisseurs, à scier des palettes, ...

La cour du travail considère dès lors que Mr P.M. n’était pas dans les conditions pour être reconnu en incapacité de travail à partir du 5 octobre 1999.

En ce qui concerne la prescription prévue par l’article 174 de la loi coordonnée le 14 juillet 1994, la cour du travail rappelle que la prescription de 5 ans ne s’applique que dans l’hypothèse où l’octroi indu a été provoqué par des manœuvres frauduleuses.

Celles-ci peuvent être définies comme étant tout agissement malhonnête réalisé malicieusement en vue de tromper un organisme assureur pour son propre profit, pouvant consister aussi bien en acte positif, qu’en abstention coupable.

Il appartient à la partie qui invoque l’existence de manœuvres frauduleuses d’en rapporter la preuve.

Or, en l’espèce, la mutuelle se limite à soutenir que Mr P.M. « savait parfaitement » que, étant en période d’incapacité de travail et indemnisé à ce titre, il lui était interdit d’exercer les activités reprochées sans autorisation préalable du médecin conseil en sorte qu’il y a manifestement intention frauduleuse dans son chef.

La cour du travail estime toutefois que la mutuelle ne justifie pas son affirmation en fonction des circonstances de fait de la cause et ne produit aucun des documents soumis à la signature de l’intéressé lors de la reconnaissance de son incapacité de travail ou ultérieurement.

La cour du travail rappelle que, pour que des manœuvres frauduleuses soient reconnues dans le chef de l’assuré social, il faut que celui-ci ait conscience de ce que ses actes ou son abstention de déclaration ont pour conséquence la perception de prestations auxquelles il n’a pas droit.

C’est donc sur la base de l’argumentation concrète de la mutuelle que la cour du travail estime qu’il n’est pas établi que Mr P.M. savait ou devait savoir que l’aide qu’il a continué a apporter à son épouse après son entrée en incapacité devait faire l’objet d’une demande d’autorisation préalable auprès du médecin conseil de son organisme assureur.

En conséquence, la cour du travail estime qu’il n’y a pas lieu de déroger au délai de prescription de deux ans.

L’intérêt de la décision

La décision annotée permet de rappeler la notion de fraude, appliquée à la matière.

La simple omission d’une déclaration ne constitue pas en elle-même une manœuvre frauduleuse. De même la circonstance d’une personne peut s’informer quant à l’étendue de ses droits n’implique pas qu’elle est consciente de cette étendue et que son absence de déclaration procède de la volonté malicieuse de tromper intentionnellement l’organisme de sécurité sociale.

Constituent par contre des manœuvres frauduleuses les abstentions ou attitudes passives lorsque l’assuré sait qu’il sera sanctionné si ses activités sont découvertes.

La charge de la preuve incombant à l’organisme de sécurité sociale, celui-ci ne peut donc se borner à affirmer de manière abstraite que l’assuré social « savait parfaitement » qu’étant en période d’incapacité de travail, il ne pouvait poursuivre une activité sans autorisation préalable. Il doit justifier une telle affirmation en fonction des circonstances de fait de la cause.


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