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Légalité des barèmes des honoraires des experts judiciaires après le deuxième arrêt de la Cour d’arbitrage – suite

Commentaire de C. trav. Liège, 25 juin 2007, R.G. 29.631/01

Mis en ligne le mercredi 26 mars 2008


Cour du travail de Liège, 25 juin 2007, R.G. 29.631/01

TERRA LABORIS ASBL – Pascal HUBAIN

Dans un arrêt du 25 juin 2007, la Cour du travail de Liège confirme la légalité des barèmes d’honoraires des experts judiciaires.

Les faits

Le 12 décembre 2006, nous avions déjà commenté l’arrêt de la Cour du travail de Liège du 24 avril 2006 qui a posé à la Cour constitutionnelle deux questions préjudicielles concernant la légalité du barème imposé en assurance soins de santé et indemnités, ceci sous l’angle d’une possible discrimination entre justiciables et non plus entre experts judiciaires.

Les questions préjudicielles étaient posées tout d’abord par rapport à l’article 982, alinéa 2 du Code judiciaire et ensuite plus spécifiquement par rapport à l’article 167, alinéa 4 de la loi relative à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités, coordonnée le 14 juillet 1994, en exécution duquel fut pris l’arrêté royal du 14 novembre 2003 fixant le tarif des honoraires et frais des experts judiciaires désignés dans certains litiges de sécurité sociale.

Dans son arrêt n° 22/2007 du 25 janvier 2007, la Cour constitutionnelle a répondu de manière négative aux questions préjudicielles posées par la Cour du travail de Liège.

Il restait, dès lors, à cette dernière, à trancher les questions posées par l’expert judiciaire qui, pour rappel, avait établi deux états alternatifs d’honoraires et frais, l’un fondé sur l’article 982, alinéa 2 du code judiciaire (1.076,68 €) et l’autre fondé sur l’arrêté royal du 14 novembre 2003 pris en exécution de l’article 167, alinéa 4 de la loi coordonnée le 14 juillet 1994 (549,47 €).

Position des parties

L’expert judiciaire demande à la Cour du travail d’écarter à tout le moins l’application de l’arrêté royal du 14 novembre 2003 et donc du tarif qu’il fixe, pour trois motifs :

  • l’arrêté royal n’est pas exhaustif et s’applique indistinctement à toutes les expertises alors que les difficultés rencontrées par les experts à l’occasion d’une expertise dans une affaire délicate ne sont pas prises en considération.
  • le tarif réglementaire est manifestement en deçà du coût réel de l’organisation d’un bureau d’expertise médicale et de la rémunération correcte de son titulaire, ne permettant pas aux experts de mener leur mission avec l’indépendance et le soin attendu d’eux.
  • aucune raison objective ne justifie la présence dans le tarif réglementaire d’un forfait d’honoraires plus élevé pour les experts psychiatres et neuropsychiatres.

L’I.N.A.M.I demande au contraire à la Cour du travail d’entériner l’état d’honoraires et frais, conforme au tarif réglementaire.

La décision de la Cour

La Cour du travail de Liège rappelle tout d’abord l’enseignement de l’arrêt de la Cour constitutionnelle : l’article 982, alinéa 2 du code judiciaire, ne peut permettre à la loi de déroger aux critères qu’elle prévoit que dans le respect du principe constitutionnel d’égalité et de non discrimination en sorte que la disposition incriminée ne peut être considérée, en tant que telle, comme permettant d’établir une différence de traitement injustifiée entre des justiciables.

Concernant l’article 167, alinéa 4 de la loi du 14 juillet 1994, pour justifier la différence de traitement, la Cour constitutionnelle reprend la même argumentation que celle qu’elle avait déjà développée dans son arrêt n° 137/99 du 22 décembre 1999.

Pour la Cour constitutionnelle, justifient à suffisance que le législateur ait habilité le Roi à procéder à une tarification en la matière, indépendamment du fait que cette mesure n’ait pas été érigée en règle dans toutes les autres branches du droit social, les circonstances que (i) les frais d’expertise sont toujours à charge de l’institution tenue d’appliquer l’assurance maladie invalidité (sauf demande téméraire ou vexatoire), (ii) les expertises à réaliser sont assez comparables entre elles et (iii) les montants réclamés varient considérablement sans raison apparente, d’un expert à l’autre et d’un arrondissement judiciaire à l’autre.

Par ailleurs, la Cour constitutionnelle considère que l’application d’un tarif à certaines expertises médicales ne permet pas de conclure que la qualité de ces expertises serait moindre que celle des expertises de droit commun et que les justiciables seraient donc traités différemment en fonction de la nature du litige dans lequel s’inscrit l’expertise.

Pour la Cour constitutionnelle, la mission d’un expert, notamment la qualité de son expertise ne peut être influencée par son mode de rétribution, l’expert étant un auxiliaire de justice soumis aux obligations légales prévues par les articles 962 et suivants du code judiciaire et dont la responsabilité civile peut être engagée en cas de négligence fautive.

Enfin, un expert médical a toujours le droit de refuser sa désignation et, s’il l’accepte, il accomplira sa mission dans le respect des règles déontologiques de la profession médicale et sous le contrôle du juge, celui-ci ayant la possibilité de demander un complément d’expertise ou une nouvelle expertise par d’autres experts, comme les parties elles-mêmes.

Dès lors que l’expert judiciaire demandait également à la Cour d’écarter l’application de l’arrêté royal du 14 novembre 2003 - et donc du tarif qu’il fixe, la Cour du travail s’est également prononcée sur la légalité de cet arrêté royal ( article 159 de la Constitution). Pour la Cour,

  • l’uniformité reprochée à l’arrêté royal est le contraire même d’une discrimination. Son caractère trop général et incomplet n’a rien à voir avec une rupture de l’égalité de traitement ;
  • concernant la qualité technique du tarif réglementaire et sa pertinence, elle n’a pas le pouvoir d’en écarter l’application par une appréciation de ses lacunes et insuffisances, l’article 159 de la Constitution autorisant uniquement un contrôle de légalité. Il en va de même de la comparaison du barème avec le coût réel d’une expertise et du forfait d’honoraires plus élevé pour les experts psychiatres et neuropsychiatres

La Cour du travail de Liège conclut dès lors à la légalité de l’arrêté royal du 14 novembre 2003 et fixe le montant des honoraires et frais de l’expert conformément au tarif prévu.

Intérêt de la décision

Sauf à poser une nouvelle question préjudicielle différente, la Cour du travail de Liège devait se conformer à l’arrêt du 25 janvier 2007 de la Cour constitutionnelle.

Son raisonnement, sous l’angle de l’article 159 de la Constitution, est également correct.

On peut toutefois regretter que la Cour constitutionnelle n’ait pas été plus explicite concernant une possible discrimination résultant du fait que la fixation de tarifs n’ait pas été érigée en règle dans toutes les branches du droit social, notamment en matière d’accidents du travail et de maladies professionnelles.

Dans son arrêt du 24 avril 2006, précédemment commenté, la Cour du travail de Liège se posait la question de savoir si cette discrimination entre deux catégories de justiciables devant l’expertise judiciaire est raisonnablement justifiée par les différences objectives déjà relevées par la Cour d’arbitrage, différences qui disparaissent lorsqu’il s’agit d’expertises en matière de maladies professionnelles, voire d’accident du travail.

Pour la Cour constitutionnelle, les expertises « en droit commun » recouvrent toutes les expertises pour lesquelles « aucune loi ne dispose autrement » dans la fixation de l’état des honoraires et frais (article 982 alinéa 2 du Code judiciaire).

Mais les expertises en matière d’accidents du travail et de maladies professionnelles, qualifiées implicitement d’expertises en droit commun, ont plus de traits communs avec la « réglementation particulière » qui s’applique, dit la Cour constitutionnelle, « à un domaine bien délimité », comme « les expertises médicales ordonnées par les juridictions du travail dans les litiges relatifs à la législation et à la réglementation en matière d’assurance obligatoire soins de santé et indemnités » ( B.3.1. précité) :

  • il s’agit en effet nécessairement toujours d’experts médicaux ( éventuellement des ergologues mais c’est également le cas en assurance maladie invalidité par exemple) ;
  • il existe toujours des règles « particulières » ;
  • la condamnation aux dépens est toujours prononcée, sauf en cas de demande téméraire ou vexatoire à charge de l’organisme tenu d’appliquer les lois et règlements concernés ;
  • il s’agit d’expertises souvent comparables entre elles ;
  • les montants varient aussi d’un expert à l’autre.

On n’aperçoit donc toujours pas bien ce qui justifie une telle différence de traitement dans la fixation des honoraires et frais pour ces expertises… alors que la Cour constitutionnelle admet de manière plus générale la différence de traitement, pour les motifs déjà expliqués, « indépendamment du fait que cette mesure n’ait pas été érigée en règle dans toutes les autres branches du droit social ».


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