Terralaboris asbl

Toute lettre recommandée interrompt-elle la prescription ?

Commentaire de C. trav. Liège, 26 octobre 2006, R.G. 33.126/05

Mis en ligne le mercredi 26 mars 2008


Cour du travail de Liège, 26 octobre 2006, R.G. 33.126/05

TERRA LABORIS ASBL – Pascal HUBAIN

Dans un arrêt du 26 octobre 2006, la cour du travail de Liège rappelle que les revenus à prendre en considération pour la détermination du taux des indemnités d’incapacité de travail (« avec charge de famille ») sont les revenus bruts et non les revenus imposables. La cour du travail considère également que n’importe quelle lettre recommandée n’interrompt pas la prescription de deux ans de l’action en récupération d’indemnités indûment versées : la lettre doit au moins indiquer le montant constituant l’indu et contenir une mise en demeure.

Les faits

Monsieur DJ est en incapacité de travail depuis le 9 juin 1992.

Il a perçu de sa mutuelle des indemnités calculées au taux « avec charge de famille » (article 225 de l’arrêté royal du 3 juillet 1996 portant exécution de la loi relative à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités coordonnée le 14 juillet 1994).

Sur la base du formulaire rentré chaque année, la mutuelle a considéré que les revenus perçus par son épouse ne s’opposent pas à la perception d’indemnités au taux « avec charge de famille » (le plafond des revenus est repris à l’article 225 § 3, s’agissant d’un montant indexé).

Par une première lettre simple du 23 mars 1999, la mutuelle a informé Monsieur DJ que son dossier d’indemnités faisait l’objet d’un contrôle de la part des services administratifs de l’INAMI pour la période du 1er avril au 31 août 1998.

La lettre précise qu’elle a pour but d’interrompre la prescription prévue à l’article 174 5° et 7° de la loi relative à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités, coordonnée le 14 juillet 1994.

Par une deuxième lettre datée du 7 juillet 1999, la mutuelle a demandé à Monsieur DJ une copie des fiches mensuelles de salaire de son épouse à partir de juin 1997, et ce de manière à vérifier la situation mois par mois. Il est à nouveau fait allusion à une interruption de la prescription.

Par une troisième lettre du 11 octobre 1999, la mutuelle a demandé à Monsieur DJ de lui rembourser les allocations trop perçues, depuis le mois d’avril 1997, d’un montant total de 6.504,92€ car il est apparu que les revenus de son épouse sont finalement supérieurs au plafond (revenus bruts).

Monsieur DJ a introduit un recours contre cette décision en date du 4 novembre 1999.

Après avoir dans un premier temps contesté la rectification du calcul de ses indemnités, il a ensuite admis l’existence d’un indu mais s’est opposé à la déduction de la rémunération brute de son épouse, argumentant que seule la rémunération imposable est visée par la loi.

Par la suite, il a invoqué la prescription de deux ans pour réduire encore le montant de l’indu et la mutuelle a introduit une demande reconventionnelle par voie de conclusions.
Le jugement

Par un premier jugement du 19 janvier 2004, le tribunal du travail de Verviers a considéré que le premier acte interruptif de la prescription est intervenu le 15 octobre 1999 (date de l’envoi de la lettre recommandée contenant la décision du 11 octobre 1999), les lettres des 23 mars et 7 juillet 1999 ne pouvant être considérées comme des actes valablement interruptifs « à défaut de tout caractère comminatoire quant à une réclamation dûment chiffrée ».

Le tribunal a également dit pour droit que seuls les revenus imposables doivent effectivement être pris en considération et a ordonné une réouverture des débats pour le recalcul des indemnités trop perçues.

Par un deuxième jugement du 21 février 2005, le tribunal du travail de Verviers a dit l’action principale fondée, à défaut de décompte refait par la mutuelle.

La décision administrative a été confirmée sous la réserve que la récupération des indemnités AMI pendant la période du 1er septembre 1997 au 31 juillet 1999 a été recalculée.

La position des parties en appel

La mutuelle a déposé une requête d’appel le 10 mars 2005 devant la cour du travail de Liège.

Elle fait valoir que la déduction doit s’opérer à partir des revenus bruts et non des revenus imposables et que la prescription a été valablement interrompue par ses lettres des 23 mars 1999 et 7 juillet 1999.

Monsieur DJ maintient son argumentation selon laquelle il faut prendre en considération la rémunération imposable.

Il confirme également qu’il n’y a, selon lui, pas eu d’interruption de la prescription avant la décision de récupération, en matière telle que l’indu se limite à la période de septembre 1997 à juillet 1999.

La position de la cour du travail

La cour du travail de Liège confirme tout d’abord que la question des revenus à prendre en considération a déjà été tranchée par elle, dans un arrêt du 4 octobre 2005 (R.G. n° 32.550/04), considérant qu’il faut tenir compte des revenus bruts et non des revenus imposables, et ce sur la base des articles 230 de l’arrêté royal du 3 juillet 1996 (mais cette disposition concerne les revenus professionnels d’un travail préalablement autorisé et vise expressément le montant brut du revenu professionnel, ce qui n’est pas le cas de l’article 225 § 3, qui fait exclusivement référence aux revenus « visés à l’article 23, § 1er, 1°,2° ou 4° ou l’article 228 § 2, 3° et 4° du Code des impôts sur les revenus 1992 ») ainsi qu’à l’article 23 du même code, en sorte que l’appel est fondé sur ce point.

En ce qui concerne l’interruption de la prescription, la cour du travail rappelle que, selon l’article 174 de la loi sur l’assurance maladie invalidité coordonnée le 14 juillet 1994, il ne suffit pas d’adresser n’importe quelle lettre recommandée (telle qu’une lettre « standard ») pour interrompre la prescription mais qu’il faut au contraire au moins que la mutuelle chiffre le montant réclamé.

Or, ce n’était pas le cas des lettres des 23 mars 1999 et 7 juillet 1999, à défaut d’une quelconque mise en demeure.

C’est dès lors à juste titre que les premiers juges ont considéré que les mensualités d’avril 1997 à août 1997 ne peuvent être récupérées puisque le premier acte interruptif de la prescription est la décision de récupération notifiée le 15 octobre 1999.

L’intérêt de la décision

(1) La cour du travail de Liège rappelle à juste titre que, pour interrompre la prescription de l’action en récupération de la valeur de prestations indûment octroyées, à charge de l’assurance indemnités, il ne suffit pas aux mutuelles d’adresser à l’affilié concerné, tous les deux ans, une lettre recommandée standardisée et vague. Pour ce qui concerne le point de départ du calcul de la prescription, tant que la décision de récupération n’a pas été prise, le délai ne commence pas à courir. Par ailleurs, pour que la lettre recommandée interrompe la prescription, il faut au moins qu’elle chiffre le montant réclamé. La cour rappelle également l’exigence de la mise en demeure, soit la signification par le créancier, d’une manière claire et non équivoque, de sa volonté de voir exécuter l’obligation en souffrance.

Voici d’utiles précisions que la simple lecture de l’article 174 alinéa 4 de la loi coordonnée le 14 juillet 1994 ne révèle pas : « Pour interrompre une prescription prévue au présent article, une lettre recommandée à la poste suffit. L’interruption peut être renouvelée » !

(2) Concernant la décision de récupération de l’indu, ni le demandeur ni la Cour du travail n’ont soulevé (d’office) l’application de l’article 17 alinéa 2 de la loi du 11 avril 1995 visant à instituer « la Charte de l’assuré social », entrée en vigueur le 1er janvier 1997.

Or, il n’est plus contesté, notamment depuis l’arrêt de la Cour d’arbitrage n° 196/2005 du 21 décembre 2005 ( M.B. du 8 février 2006) que l’article 17 alinéa 2 vise toute décision prise par une institution de sécurité sociale en vue de rectifier une erreur de droit ou matérielle commise par l’institution elle-même, que cette décision de révision soit prise par un organisme de droit privé ou par une institution publique ( sur cette question, voyez Jérôme MARTENS, « La charte de l’assuré social dans la jurisprudence des juridictions du travail. Les droits sociaux en quête d’effectivité » in Liber Amicorum Paul Martens, Ed. Larcier, 2007, p.119)

D’après les éléments de fait de la cause, l’affilié a rentré chaque année le formulaire adéquat et ne semble pas avoir fourni des renseignements inexacts ou incomplets en sorte que la révision de la décision ne dépendait pas d’éléments nouveaux qui devaient être communiqués par lui (sur cette question, voyez Trib. trav.Mons – section de La Louvière, 13 mars 2003, in http://www.juridat.be ; Trib. Trav. Bruxelles, 6 juillet 1999, Chron. D.S., 2000, p. 558).

Il semble donc bien que l’indu provienne exclusivement d’une erreur due à l’institution de sécurité sociale, en sorte qu’il aurait pu être soutenu que la nouvelle décision ne pouvait produire ses effets que le premier jour du mois qui suivait sa notification puisque le droit à la prestation est inférieur à celui reconnu initialement.

Les droits sociaux en quête d’effectivité…

Enfin, la référence aux revenus bruts (c’est à dire avant toutes retenues sociales et fiscales) s’impose vu le renvoi aux articles 23, §1er, 1°, 2° ou 4° ainsi que 228 §2, 3° et 4° du Code des impôts sur les revenus 1992.

Cette référence peut néanmoins surprendre dès lors que, même en droit fiscal, c’est généralement les revenus nets qui déterminent la qualité de « personne à charge ».

Sans doute la fiscalité « avantageuse » des indemnités d’incapacité de travail n’est-elle pas étrangère à ce renvoi aux revenus bruts…


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