Terralaboris asbl

Le fait de ne jamais avoir travaillé implique-t-il nécessairement l’absence de capacité de gain ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 21 décembre 2006, R.G. 43.978

Mis en ligne le mercredi 26 mars 2008


Cour du travail de Bruxelles, 21 décembre 2006, R.G. 43.978

TERRA LABORIS ASBL – Pascal HUBAIN

S’il est exact que le bénéfice d’allocations de chômage ne constitue pas une présomption irréfragable d’une capacité de gain, le fait de ne jamais avoir travaillé malgré des recherches d’emploi ne suffit pas à démontrer l’absence de capacité de gain minimale exigée par l’article 100 § 1er de la loi relative à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités, coordonnée le 14 juillet 1994

Les faits

Madame F. a été admise par l’ONEm au bénéfice des allocations de chômage jusqu’en 1993.

Elle n’a cependant jamais exercé d’activité salariée, ayant suivi uniquement une formation en secrétariat, sans toutefois obtenir de diplôme.

Elle souffre de problèmes neurologiques (épilepsie), dont les crises se sont aggravées et, le 1er mars 1993, elle a été reconnue incapable de travailler par le médecin conseil de sa mutuelle, puis invalide par le Conseil médical de l’Invalidité de l’INAMI, suite à plusieurs rapports médicaux, tant de son médecin conseil que du médecin inspecteur de l’INAMI.

Le médecin conseil de sa mutuelle n’ignore pas qu’elle n’a jamais travaillé et précise même, à l’occasion d’un rapport médical après examen du 29 août 2001, qu’il n’y a jamais eu de capacité de gain mais que Madame F a été inscrite au chômage de 1988 à 1993.

Le 20 août 2002, Madame F s’est vu notifier une décision de la Commission régionale du Conseil médical de l’invalidité de l’INAMI du 19 août 2002, selon laquelle elle n’est plus, à partir du 26 août 2002, incapable de travailler au sens de l’article 100 § 1er de la loi du 9 août 1963 instituant et organisant un régime d’assurance obligatoire soins de santé et indemnités, coordonnée par l’arrêté royal du 14 juillet 1994.

Elle a contesté cette décision par requête du 13 septembre 2002.

Par jugement du 6 février 2003, le tribunal du travail de Bruxelles a déclaré sa demande recevable et a désigné un expert neurologue.

Le 10 mars 2003, l’INAMI a interjeté appel de ce jugement avant que l’expert n’ait été saisi.

La position des parties en appel

L’INAMI demande à la Cour du travail de dire pour droit que Madame F n’a jamais eu une capacité de gain de plus d’un tiers, avant son inscription au chômage en sorte que sa demande originaire est non fondée.

Subsidiairement, l’INAMI demande à la Cour du travail de modifier la mission confiée à l’expert en lui donnant celle de déterminer si Madame F a jamais eu une capacité de gain de plus d’un tiers avant son inscription au chômage. Par voie de conclusions, l’INAMI modifiera sa demande subsidiaire en demandant à la Cour de préciser dans la mission d’expertise que l’incapacité de travail devrait être examinée par rapport au travail qui pourrait être exercé par une personne « handicapée » et non par référence au marché normal du travail.

L’INAMI considère que :

  • l’article 100 de la loi du 9 août 1963 est d’ordre public
  • il ne résulte pas de la reconnaissance d’une incapacité de travail pendant une longue période que Madame F. doive rester reconnue incapable de travailler, si objectivement elle ne répond pas ou plus aux conditions légales
  • chaque examen du CMI est indépendant de la situation antérieure et n’est pas une révision d’une situation acquise au vu des seuls éléments nouveaux
  • il résulte d’un rapport médical que Madame F. est inapte à toute activité professionnelle et l’a toujours été car elle n’a jamais eu de capacité de gain de plus d’un tiers avant son inscription au chômage, n’ayant jamais travaillé et souffrant de crises d’épilepsie depuis son plus jeune âge ;
  • n’ayant jamais intégré le marché général du travail, Madame F. n’établit pas avoir perdu une capacité de travail
  • le fait d’avoir bénéficié d’allocations de chômage ne constitue qu’une présomption pouvant être revue si la capacité de travail était inexistante
  • si une expertise est néanmoins décidée par la Cour, l’état d’incapacité de travail doit être examiné par rapport au travail pouvant être effectué par une personne handicapée et non par référence au marché normal du travail

Madame F. considère que :

  • si elle a été admise par l’ONEm, c’est qu’elle s’est vu reconnaître une capacité de gain suffisante, ce que l’ONEm n’a jamais contesté
  • elle a recherché activement du travail de 1992 à 1994
  • elle a été reconnue en incapacité de travail par l’INAMI pendant neuf ans
  • le fait de n’avoir jamais travaillé ne suffit pas à établir qu’elle n’a jamais présenté de capacité de gain
  • il y a eu aggravation de lésions ou troubles fonctionnels
  • il ne peut pas lui être rétroactivement retiré un état reconnu, le principe de bonne administration s’y opposant
  • sa situation médicale doit être examinée dans sa globalité, en ce compris l’état antérieur

La position de la Cour du travail

La Cour du travail relève tout d’abord une évolution dans l’argumentation de l’INAMI : cet organisme soutenait initialement l’absence totale de capacité initiale de gain requise pour bénéficier des indemnités d’incapacité de travail alors que, dans ses dernières conclusions, il a saisi la Cour de l’existence d’une capacité de gain suffisante (1/3) au moment de l’entrée de Madame F. sur le marché du travail et subsidiairement d’un examen de la capacité de gain de Madame F. par rapport au travail d’une personne handicapée.

La Cour estime qu’en introduisant un lien de causalité dans l’article 100 § 1er de la loi coordonnée le 14 juillet 1994 ( « en conséquence directe du début ou de l’aggravation de lésions ou troubles fonctionnels dont il est reconnu qu’ils entraînent une réduction de sa capacité de gain »), le législateur a voulu exclure les titulaires dont la capacité de gain était déjà diminuée d’une manière importante au début de leur mise au travail et dont l’interruption n’est pas la conséquence de l’aggravation de leur état de santé ( Rapport au Roi de l’arrêté royal n° 22 du 23 mars 1982, M.B. 25 mars 1982,p.331).

Elle admet aussi que le caractère d’ordre public de l’article 100 § 1er de la loi permet de vérifier à tout moment qu’un assuré répond toujours à la notion d’incapacité prévue par cette disposition.

Elle relève néanmoins que la modification apportée à l’article 100 § 1er remonte à 1982 alors que Madame F. a été admise en incapacité primaire de travail en 1993 puis en invalidité sans discontinuer jusqu’à la décision litigieuse du 19 août 2002. Or, c’est la capacité initiale de gain de Madame F. que l’INAMI remet en cause, sans invoquer aucun élément nouveau.

La Cour précise ensuite que le caractère d’ordre public de l’article 100 § 1er de la loi n’empêche pas un administré d’invoquer la faute d’une administration, qui consiste à remettre en cause les conséquences d’une décision d’admissibilité dans un délai tel qu’il alourdit de manière inconsidérée la charge de la preuve des conditions d’octroi, alors que l’administré n’a commis aucune faute (notamment aucun(e) refus, omission, réticence à fournir des informations).

Toutefois, la Cour estime qu’il n’est pas nécessaire de rouvrir les débats pour que les parties discutent de ce moyen qu’elle a soulevé d’office, notamment quant à son incidence sur la charge de la preuve, mais dans le prolongement du principe de bonne administration, invoqué par Madame F. En effet, d’une part, Madame F. avait, avant l’aggravation de son état de santé, une capacité de gain telle que prévue par l’article 100 § 1er de la loi alors que l’INAMI ne prouve pas le contraire et, par ailleurs, il y eut bien aggravation de celui-ci.

Concernant la capacité initiale de gain, la Cour du travail relève tout d’abord que l’article 100 § 1er de la loi n’exige pas qu’elle soit celle d’une personne apte à 100% sur le marché général du travail.

En l’espèce, l’ONEm n’a pas contesté la capacité de gain de Madame F. et celle-ci a introduit des demandes d’emploi et a même postulé pour un emploi d’huissier, dont rien ne permet de supposer qu’elle n’était pas capable de l’exercer à l’époque.

Le fait qu’elle ait ensuite fait des recherches d’emploi pour personnes handicapées et des demandes au Fonds communautaire pour l’intégration sociale et professionnelle des personnes handicapées ne s’oppose pas à la reconnaissance d’une capacité de gain au sens de l’article 100 § 1er de la loi.

S’il est exact que le bénéfice d’allocations de chômage ne constitue pas une présomption irréfragable d’une capacité de gain, le fait de ne jamais avoir travaillé malgré des recherches d’emploi ne suffit pas pour démontrer que Madame F. n’a jamais eu la capacité minimale de gain exigée par l’article 100 § 1er de la loi. C’est de manière concrète et sans pétition de principe que doit être examinée la situation de l’assuré social. Et la Cour de considérer que :

  • En ce qui concerne l’épilepsie, cette maladie ne signifie pas handicap et incapacité de travail. Etre atteint de crises d’épilepsie ne signifie pas nécessairement être incapable d’avoir une capacité de gain
  • Pour ce qui est de l’aggravation de l’état de santé de l’intéressée, celle-ci résulte des éléments médicaux produits (et notamment du premier rapport du médecin inspecteur de l’INAMI).

Enfin, la Cour du travail estime injustifié d’examiner l’état d’incapacité de travail de Madame F. par rapport au travail d’une personne handicapée et non par référence au marché normal du travail : en effet, l’intéressée est en incapacité totale de travail, que ce soit par rapport au marché normal du travail ou par rapport à une capacité initiale réduite.

Dans la mesure où est admis par l’INAMI que Madame F. souffre de crises fréquentes d’épilepsie en sorte que son état de santé la rend inapte à toute activité professionnelle, et ce avec un pronostic sombre, la Cour en conclut qu’il n’est pas utile de recourir à une expertise médicale sur ce point, n’étant au demeurant pas saisie d’une demande d’allocations auprès du Fonds des handicapés.

Par conséquent, la Cour du travail fait droit à la demande sans recourir à une expertise judiciaire et annule sur ce point le jugement dont appel.

L’intérêt de la décision

« Le refus de l’INAMI est une mesure administrative que l’on rencontre actuellement régulièrement chez les patients qui n’ont jamais travaillé. En effet, ils ne peuvent pas se trouver en incapacité de travail s’ils n’ont jamais travaillé ». Tel était l’avis d’un professeur d’un hôpital universitaire, avis produit par l’INAMI à l’appui de sa contestation.

A juste titre, la Cour du travail de Bruxelles a considéré que les propos dont il est fait état ne sont pas d’ordre médical, s’agissant de la position administrative de principe adoptée par l’INAMI et ce constat ne confortant pas une contestation d’ordre médical relative à la capacité initiale de gain de l’assuré social.

L’on peut s’étonner du fait qu’une personne n’ayant jamais travaillé se retrouve en incapacité de travail, après une période de chômage, s’agissant alors le plus souvent d’allocations d’attente, après l’accomplissement d’un stage.

Certes, l’article 60 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage précise que, pour bénéficier des allocations, le travailleur doit être apte au travail au sens de la législation relative à l’assurance obligatoire contre la maladie et l’invalidité. Mais l’article 100 § 1er de la loi relative à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités, coordonnée le 14 juillet 1994 ne reconnaît incapable de travailler que le travailleur qui a cessé toute activité.

Toutefois le mot « activité » ne doit pas être confondu avec les mots « travail » et « activité professionnelle ». Dans son arrêt commenté, la Cour du travail de Bruxelles rappelle utilement que c’est concrètement et sans a priori ni pétition de principe que doit être examinée la capacité de gain d’une personne qui n’a jamais travaillé mais a néanmoins été admise au bénéfice des allocations de chômage, et ce au regard de l’ensemble des éléments de la cause (voy. dans le même sens Cour trav. Mons, 6e chambre, 10 janvier 1997, J.L.M.B. 97/233 et, en cas de période brève de travail, Cour trav. Mons, 6e chambre, 10 janvier 1997, J.L.M.B. 97/495 mais contra Cour du travail de Bruxelles, 8e chambre, 1er juin 2006, R.G. n° 45855 également commenté dans HR TODAY).


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be