Terralaboris asbl

Une personne présentant des troubles psychiatriques depuis l’âge de 18 ans peut-elle encore être reconnue incapable de travailler au sens de la législation assurance indemnités et ce après une période de travail ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 1er juin 2006, R.G. 45.855

Mis en ligne le mercredi 26 mars 2008


Cour du travail de Bruxelles, 1er juin 2006, R.G. 45.855

Terra Laboris asbl – Pascal Hubain

Les faits

Mr M.G., de nationalité turque, est arrivé en Belgique en 1998, où il travaille pour une société de nettoyage.

Le 15 septembre 1998, il est hospitalisé dans un hôpital psychiatrique pour schizophrénie paranoà¯de, et ce jusqu’au 14 janvier 1999.

Il est reconnu incapable de travailler par sa mutuelle du 1er juin au 1er décembre 1999 mais il ne sera pas indemnisé, ne remplissant pas les conditions légales (stage de six mois).

Après une nouvelle période de travail de six mois, Mr M.G. rentre le 14 septembre 2000 une nouvelle attestation d’incapacité de travail,celle-ci étant reconnue jusqu’au 4 mars 2001 inclus.

Le médecin conseil de la mutuelle met fin à l’incapacité de travail à partir du 5 mars 2001 et Mr M.G. contestera cette décision devant le tribunal du travail.

La décision du tribunal

Par un jugement du 27 août 2002, le tribunal du travail de Bruxelles désigne un médecin expert, qui sera remplacé par un autre expert, selon un second jugement du 10 octobre 2003.

L’expert désigné dépose son rapport le 21 janvier 2004. Il conclut que Mr M.G. présente effectivement une schizophrénie paranoà¯de traitée par neuroleptiques. L’expert précise également que cet état a commencé au début de l’âge adulte,après une première décompensation Mr M.G. a eu un suivi psychiatrique et plusieurs hospitalisations en Turquie. Cet état a ensuite évolué en réduisant la capacité de gain de façon constante. En réalité, l’état de réduction de la capacité de gain existait antérieurement à l’hospitalisation de 1999 et ne s’est pas modifié depuis.

L’expert conclut dès lors à la date du 5 mars 2001 à une incapacité de travail d’au moins 66%, concluant même à une incapacité définitive.

Par jugement du 28 juin 2004, le tribunal du travail de Bruxelles déclare le recours de Mr M.G. fondé, en se fondant sur les conclusions de l’expertise.

La position des parties en appel

Par requête du 6 septembre 2004, l’UNML a interjeté appel de ce jugement devant la cour du travail de Bruxelles. Elle considère que la pathologie dont souffre Mr M.G. existait déjà lors de son entrée sur le marché du travail puisqu’il avait déjà été hospitalisé en Turquie à l’âge de 18 ans pour sa première décompensation psychotique avec délire de persécution. Pour l’UNML, la cessation des activités de Mr M.G. n’est pas la conséquence du début de l’aggravation de lésions ou de troubles fonctionnels, l’affection étant déjà présente lors du début de l’activité professionnelle.

Mr M.G. se borne à rappeler que l’UNML n’a pas fait de remarque, ni suite au rapport préliminaire de l’expert ni devant le tribunal du travail. Subsidiairement, il demande un complément d’expertise. Interrogé par la cour du travail sur ce point, il n’a pas souhaité aborder la question relative à son état de santé déficient préexistant.

La décision de la cour

Dans son arrêt du 1er juin 2006, la cour du travail de Bruxelles rappelle tout d’abord le contenu de l’article 100 de la loi du 9 août 1963 coordonnée par arrêté royal du 14 juillet 1994.

Parmi les conditions de la reconnaissance d’une incapacité de travail, il y a certes la condition d’un taux supérieur à 66% ( ce qui n’est pas contesté dans le cas de Mr M.G.) mais également celle du rapport de cause à effet entre l’interruption de l’activité et la détérioration de l’état de santé.

Se référant au Rapport au Roi précédant l’arrêté royal n° 22 du 23 mars 1982, la cour du travail rappelle qu’en introduisant ce lien de causalité, le législateur a voulu exclure les titulaires dont la capacité de gain est déjà diminuée de manière importante au début de leur mise au travail et dont l’interruption n’est pas la conséquence de l’aggravation de leur état de santé.

La cour du travail estime dès lors que la conclusion que le tribunal a tirée du rapport d’expertise n’est pas conforme à l’article 100 de la loi coordonnée le 14 juillet 1994.

En effet, après avoir terminé ses études et effectué son service militaire à l’âge de 18 ans, Mr M.G. a alors présenté sa première décompensation psychotique avec des idées délirantes de persécution.

Or, ne peut être incapable de travailler, l’assuré dont la capacité de gain était déjà fortement réduite sur le marché du travail et qui n’a jamais pu travailler que dans des conditions protégées.

Se référant à une jurisprudence de la cour du travail de Mons et de Gand, la cour du travail de Bruxelles estime que l’intéressé a en réalité sa place dans le régime des personnes handicapées et s’étonne d’ailleurs qu’aucune demande d’allocation n’ait encore été introduite dans ce secteur.

L’intérêt de la décision

Depuis l’entrée en vigueur, le 1er avril 1992, l’arrêté royal n° 22 du 23 mars 1982, il est expressément requis qu’un rapport de cause à effet soit établi entre l’interruption de l’activité d’une part et la détérioration de l’état de santé d’autre part.

Le travailleurs ne peut donc être considéré comme incapable de travailler si son état de santé, au moment de l’interruption du travail, ne s’est pas aggravé par rapport à celui qui existait au début de son occupation.

Ainsi, n’a pas droit, en principe, aux indemnités, une personne qui, bien qu’atteinte d’une incapacité de travail suffisante pour lui assurer le bénéfice desdites indemnités, exerce néanmoins une activité professionnelle et cesse ensuite cette activité, par exemple pour des motifs de convenances personnelles.

De même, l’exigence du lien de causalité entre la cession de toute activité et la survenance de lésions ou de troubles fonctionnels empêche que des personnes dont la capacité de gain était déjà réduite au début de leur occupation en raison d’une lésion ou d’une affection préexistante puissent être reconnues incapables de travailler sans que l’interruption de leur activité soit la conséquence d’une aggravation de leur état de santé. Cette condition implique également qu’une capacité de gain, même peut importe, doive exister au départ.

L’exigence de ce lien de cause à effet a également pour conséquence qu’un assuré social qui n’a jamais travaillé et dont la capacité de gain était déjà réduite à moins d’un tiers avant son entrée sur le marché du travail ne peut pas être reconnu incapable de travailler au sens de l’article 100 de la loi coordonnée le 14 juillet 1994.

La solution au litige est toutefois étonnante : un travailleur n’est-il pas censé avoir une pleine capacité d’exercer la profession pour laquelle il a été engagé ?


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