Terralaboris asbl

Prise en compte du revenu représenté par la jouissance d’un immeuble dont le bénéficiaire du R.I.S. est usufruitier

Commentaire de C. trav. Liège, 28 août 2007, R.G. 34.062/06

Mis en ligne le mercredi 26 mars 2008


Cour du travail de Liège, 28 août 2007, R.G. n° 34.062/06

TERRA LABORIS ASBL – Mireille Jourdan

Dans un arrêt du 28 août 2007, la Cour du travail de Liège a rappelé les règles d’évaluation de cet avantage ainsi que les conditions de prise en charge d’intérêts d’un remboursement d’emprunt hypothécaire.

Les faits

Un couple de bénéficiaires du revenu d’intégration sociale est usufruitier de l’immeuble qu’il occupe.

Dans l’appréciation de la contre-valeur de cet usufruit, il conteste la prise en compte de la totalité du revenu cadastral de l’immeuble au motif, notamment qu’une partie de celui-ci (rez-de-chaussée commercial) est inoccupé et n’a pu être reloué. Il en demande donc la ventilation, celle-ci aboutissant à ce que le revenu de l’immeuble à prendre en compte soit réduit à néant.

Le CPAS considère toutefois que l’arrêté royal du 11 juillet 2002, qui impose de tenir compte du revenu cadastral de l’immeuble dont le bénéficiaire du revenu d’intégration est usufruitier ne distingue pas selon que l’immeuble rapporte ou non un loyer. Si loyer il y a, ce n’est que s’il est supérieur au montant fixé par l’arrêté en son article 25, qu’il sera tenu compte du montant réel de celui-ci.

Le CPAS conteste par ailleurs que l’on puisse tenir compte d’intérêts d’emprunts hypothécaires versés par les bénéficiaires du revenu d’intégration sociale dès lors que ceux-ci ne justifient pas de l’usage fait des montants prêtés, dans le cadre de ce crédit, et ce d’autant que le CPAS considère ne pas avoir été informé préalablement de ces emprunts.

La position de la Cour

La Cour va d’abord trancher un double point de procédure.

Tout d’abord elle constate que dans leurs conclusions en réplique à l’avis du Ministère public, les intéressés ont déposé des pièces nouvelles. La Cour les écarte, dans la mesure où elles sont déposées après la clôture des débats. L’article 747, § 3 du Code judiciaire autorise en effet le dépôt au greffe de conclusions portant exclusivement sur le contenu de l’avis du Ministère public et celles-ci ne seront d’ailleurs prises en considération que pour autant qu’elles répondent à cet avis. La Cour rappelle encore que le dépôt de nouvelles pièces après la clôture des débats viole le principe fondamental du caractère contradictoire de la procédure. Il y aurait, à supposer qu’une pièce nouvelle doive être envisagée, lieu de solliciter une réouverture des débats.

Ensuite elle relève que le Ministère public a, pour sa part, également déposé des pièces nouvelles. Or, celles-ci ne peuvent davantage l’être de la part de ce dernier. Pour celles-ci, la Cour considère qu’il y a une alternative étant, soit de les écarter, soit d’ordonner une réouverture des débats afin de respecter la loyauté de ceux-ci et le principe du contradictoire.

Elle rappelle que l’article 772 n’est pas applicable au Ministère public et que la réouverture des débats ne pourrait être sollicitée, dans les conditions que celui-ci détermine, que par une partie, si celle-ci découvrait durant le délibéré un fait nouveau et capital.

La différence de traitement entre une partie et le Ministère public ne se justifie, pour la Cour, nullement, d’autant que ce dernier joue en la matière un rôle fondamental dans le débat judiciaire en informant et éclairant le mieux le juge sur les divers aspects de la cause. La Cour va, dès lors, ordonner d’office la réouverture des débats, ainsi que l’article 774 du Code judiciaire l’y autorise, et ce afin de corriger les conséquences de la différence de traitement et afin de respecter le principe du débat contradictoire, allié au caractère d’ordre public de la matière.

Sur le fond, la Cour rappelle que l’article 16 de la loi du 26 mai 2002 impose de prendre en considération toutes les ressources dont dispose le demandeur, quelle qu’en soit la nature ou l’origine. Le fait d’être propriétaire ou usufruitier d’un immeuble implique, pour la Cour, certes de devoir supporter certaines charges notamment relatives à l’entretien de celui-ci, mais également l’existence de ressources ou d’une potentialité de ressources (perception de loyers ou occupation personnelle générant l’économie d’un loyer). Dans la fixation du calcul des ressources, des critères ont été arrêtés par l’arrêté royal du 11 juillet 2002, critères qui s’inspirent des catégories et mode d’évaluation en droit fiscal (revenu professionnel, revenu immobilier, revenu mobilier). Pour apprécier le revenu immobilier, en l’espèce, le paramètre est forfaitaire et est constitué par le revenu cadastral de l’immeuble. Une exception est apportée à cette approche forfaitaire, lorsque l’immeuble est effectivement loué et qu’il produit un revenu d’une certaine importance.

Pour la Cour, il n’y a pas lieu d’écarter cette disposition, comme le sollicitaient les demandeurs, car le revenu cadastral, à caractère forfaitaire, communément admis en matière fiscale, permet d’éviter des discriminations pouvant résulter de l’usage particulier fait par chaque propriétaire ou usufruitier de son bien et, en outre, parce qu’il intègre la prise en compte de certaines charges que peut supporter le propriétaire ou usufruitier, essentiellement la charge d’un prêt hypothécaire ou d’une rente viagère mais aussi la situation de famille, un abattement par enfant à charge étant accordé. La circonstance que, pour des raisons diverses, un propriétaire ou usufruitier ne retire pas effectivement de revenus de son immeuble ne peut être prise en compte sans entrer dans d’insurmontables difficultés d’appréciation.

La Cour considère, par conséquent, que le CPAS a, à juste titre, apprécié le droit des bénéficiaires au revenu d’intégration sociale en prenant en compte l’intégralité du revenu cadastral de l’immeuble et sans effectuer aucune ventilation.

Par ailleurs, sur l’existence des emprunts hypothécaires, la Cour va d’abord vérifier qu’ils ont été contractés afin de couvrir les besoins propres aux demandeurs et que les intérêts ont été effectivement payés. En conséquence, ces intérêts doivent venir en déduction des montants pris en considération pour l’établissement des ressources dans les limites précisées à l’arrêté royal.

Intérêt de la décision

La Cour fait un judicieux rappel de règles de prise en compte de l’usufruit au niveau du calcul de ressources, ainsi que du sort des intérêts remboursés par un bénéficiaire sur un emprunt hypothécaire contracté afin de couvrir ses besoins.


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