Commentaire de C. trav. Mons, 31 août 2006, R.G. 20.076
Mis en ligne le mercredi 26 mars 2008
Cour du travail de Mons, 31 août 2006, R.G. 20.076
TERRA LABORIS ASBL – Sandra CALA
Dans un arrêt du 31 août 2006, la cour du travail de Mons a précisé les conditions dans lesquelles un CPAS peut procéder de la sorte. Elle a également examiné la question de la recevabilité de la contestation d’une décision administrative ultérieure, contestation introduite par voie de conclusions prises dans le cadre d’une procédure en cours.
Les faits de la cause
La Cour a à connaître principalement d’une décision du 20 juillet 2005 prise par le CPAS de Charleroi, qui accorde à Madame X « un revenu d’intégration au taux isolé, moins les ressources » du 1er juillet 2005 au 30 septembre 2005 sous la condition d’introduire une demande de pension alimentaire à l’égard de ses parents.
Est également soumise à la saisine de la Cour une décision du 7 septembre 2005 du CPAS de Charleroi, contestée par voie de conclusions déposées devant le premier juge le 2 décembre 2005, cette décision maintenant les termes de la décision du 20 juillet 2005.
Les faits de la cause peut être résumés comme suit :
La teneur et la motivation de cette décision sont confirmées par des décisions subséquentes des 7 septembre 2005, 9 novembre et 23 novembre 2005. Ces deux dernières décisions ont fait l’objet d’un recours séparé.
La décision du tribunal
Le tribunal joint les recours introduits devant lui et déclare recevable le recours introduit par conclusions du 2 décembre 2005 contre la décision du 7 septembre 2005, estimant qu’il a été exercé conformément à la lettre et à l’esprit de l’article 807 du code judiciaire, outre le fait qu’il a respecté le délai de recours de trois mois.
Il considère que c’est le CPAS de Charleroi qui est territorialement compétent pour allouer le revenu d’intégration sociale à partir du 1er juin 2005, de sorte que le CPAS ne peut avoir limité le point de départ du revenu d’intégration sociale au 1er juillet 2005. Le tribunal retient que :
Sur le fond, le tribunal rappelle qu’en vertu de l’article 4 §1er de la loi du 26 mai 2002, le CPAS a la faculté mais non l’obligation de renvoyer un demandeur vers ses débiteurs d’aliments, précisant que doit être réalisée une enquête sociale préalable, qui doit porter non seulement sur la situation financière de l’intéressé mais également sur les implications familiales de cette démarche. Le tribunal retient que le CPAS n’aurait pas procédé à cet examen de la situation des parents adoptifs de Mme X, même si cette dernière a refusé de fournir des explications sur sa situation familiale.
Position des parties
Mme X, partie appelante au principal, reproche au tribunal d’avoir conditionné son droit au revenu d’intégration à l’obligation préalable d’intenter une procédure à l’encontre de ses parents adoptifs alors qu’il constate pourtant que le CPAS n’avait pas effectué d’enquête sociale.
Elle rappelle que la situation des débiteurs d’aliments doit faire l’objet d’une enquête sociale qui doit concerner non seulement l’aspect financier mais aussi les implications familiales d’un renvoi au débiteur d’aliments.
Elle se défend d’avoir refusé de fournir des explications et d’avoir empêché l’enquête sociale d’aboutir. En outre, si ses parents adoptifs ont refusé de répondre aux convocations, il appartenait au CPAS de mener plus avant son enquête sociale et d’obtenir les renseignements afférents aux ressources auprès de l’administration compétente, ce qui n’a pas été fait.
Le CPAS estime que, dès lors qu’il a convoqué les parents adoptifs et que ceux-ci ne se sont pas présentés, il a rempli son devoir d’enquête sociale. Il fait valoir qu’il aurait bien tenté de mener une enquête sociale approfondie mais qu’il ne dispose pas de pouvoirs d’investigation similaires à ceux de la police. Par ailleurs, Mme X aurait manqué à son devoir de collaboration, ayant refusé de fournir des explications nécessaires à sa situation familiale, ce qui a empêché le CPAS de procéder à l’enquête sociale sur les possibilités financières de ses débiteurs d’aliments.
Par ailleurs, le CPAS introduit un appel incident reprochant au premier juge :
Décision de la Cour
La Cour a statué comme suit :
Quant à la recevabilité du recours introduit par voie des conclusions contre la décision subséquente du 7 septembre 2005
Indépendamment de la possibilité ouverte par l’article 807 du code judiciaire, un écrit de conclusions satisfait aux règles spécifiques d’introduction en matière de sécurité sociale et peut être interprété et valoir comme un recours au sens de l’article 704 du code judiciaire, sa recevabilité n’étant conditionnée qu’au respect du délai de recours, délai qui a été respecté en l’espèce.
La Cour retient à cet égard que :
La Cour estime en outre qu’il n’est pas admissible de la part du CPAS de limiter, artificiellement ou non, par une décision ultérieure, la période à prendre en considération, dès lors que :
Quant à la période litigieuse à prendre en considération
Pour ce qui concerne l’inclusion du mois de juin 2005, la Cour rejoint la motivation du tribunal, considérant que, dès lors que le CPAS de Fleurus a constaté son incompétence et a transmis le dossier au CPAS du lieu de résidence, soit celui de Charleroi, en son antenne de Couillet, comme le prévoit la procédure de l’article 18, § 4 et suivants de la loi du 26 mai 2002, le CPAS de Charleroi a été valablement saisi et doit en conséquence verser le revenu d’intégration à partir du 1er juin 2005.
La Cour précise encore que la ratio legis de l’article 18 § 4 - conforme à une interprétation téléologique - est d’assurer une continuité du revenu d’intégration malgré un problème de compétence territoriale.
Cependant, la Cour relève qu’une condamnation du CPAS de Charleroi au paiement d’un revenu d’intégration pour le mois de juin 2005 violerait le principe dispositif, nonobstant le caractère d’ordre public de la matière puisque cette demande n’a été articulée en première instance qu’à l’égard du CPAS de Fleurus.
Quant au recours aux débiteurs d’aliments
Sur le plan des principes, la Cour rappelle que :
Sur cette base, la Cour estime que :
Intérêt de la décision
Cette décision est particulièrement riche dans les principes qu’elle contient.
Principalement, l’on peut retenir le raisonnement qu’elle adopte quant au fait que les conclusions peuvent constituer la « requête informelle » visée par l’article 704 du Code judiciaire pour contester une décision en matière de sécurité sociale. Si ces conclusions sont déposées au greffe dans le délai de recours, il n’est pas nécessaire de justifier la saisine de la juridiction du travail en établissant que les conditions de l’article 807 du Code judiciaire sont réunies. Les règles formelles et les obstacles procéduraux sont ainsi réduits au minimum, dès lors qu’il suffit que l’assuré social ait manifesté sa volonté de saisir la juridiction de la décision administrative qu’il conteste.
L’on peut également relever la motivation de la Cour à l’égard des décisions successives prises par le CPAS limitant la période litigieuse à prendre en considération, l’arrêt estimant que pareille pratique est inadmissible sur le plan juridique vu qu’il est reconnu aux juridictions du travail une compétence particulière de pleine juridiction et que l’article 17 de la charte de l’assuré social permet à l’institution de sécurité sociale en cas d’erreur de droit ou matérielle de prendre d’initiative une nouvelle décision produisant ses effets à la date de prise d’effet de la décision initiale.
Enfin, la Cour du travail vérifie les conditions d’opportunité d’un renvoi vers les débiteurs d’aliments et rappelle l’obligation pour le CPAS d’effectuer au préalable une enquête sociale sur leur capacité financière à intervenir. Elle limite par ailleurs la possibilité pour le CPAS de conditionner l’octroi du revenu d’intégration à l’introduction d’une demande de contribution alimentaire, rappelant que d’autres alternatives s’offrent au CPAS pour agir, surtout lorsqu’une action à l’égard des débiteurs d’aliments par la personne elle-même ne paraît pas raisonnable vu les implications familiales et humaines difficilement supportables pour elle.