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Allocations de chômage provisionnelles : quid si l’action en justice n’est pas introduite ?

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 21 février 2020, R.G. 2018/AL/455

Mis en ligne le vendredi 12 février 2021


Cour du travail de Liège (division Liège), 21 février 2020, R.G. 2018/AL/455

Terra Laboris

Dans un arrêt du 21 février 2020, la Cour du travail de Liège (division Liège) reprend les obligations figurant à l’article 47 de l’arrêté royal organique chômage, qui impose au bénéficiaire d’allocations provisionnelles d’introduire une action en justice dans l’année de la rupture, quelles que soient les chances de succès de celle-ci.

Bref rappel des faits

Les faits ont été repris dans un précédent commentaire, celui-ci ayant trait à un premier arrêt rendu par la cour du travail le 24 mai 2019, en la même affaire.

Après avoir démissionné de son poste qu’elle occupait dans une banque, l’employeur ayant envisagé de la licencier pour motif grave, l’employée avait sollicité le bénéfice des allocations de chômage et avait pris les engagements habituels dans cette situation, aux fins d’obtenir l’octroi des allocations provisionnelles. Cependant, alors qu’elle s’y était engagée, elle n’avait pas introduit de procédure contre son ex-employeur dans le délai d’un an.

L’ONEm réclama les allocations perçues à titre provisionnel, d’un montant de l’ordre de 17.500 euros.

L’arrêt du 24 mai 2019

Dans ce premier arrêt, la cour du travail avait rappelé les articles 44, 46 (§§ 1er et 3) et 47 de l’arrêté royal organique. Elle avait résumé les engagements pris par le chômeur qui sollicite le bénéfice des allocations provisionnelles comme suit : agir, informer, rembourser et céder.

La question s’était posée dans le cadre de l’affaire de déterminer si l’ONEm avait correctement informé l’intéressée de ses obligations.

La cour s’était également demandé si l’intéressée aurait pu raisonnablement prétendre à une indemnité compensatoire de préavis dès lors que son conseil avait émis un avis très réservé sur la question. Elle avait rouvert les débats, à propos de l’étendue de l’obligation à charge du bénéficiaire d’allocations contenue dans l’article 47 de l’arrêté royal, étant que celui-ci s’engage à intenter et, le cas échéant, à diligenter et poursuivre jusqu’à terme une action judiciaire contre l’ex-employeur en paiement des indemnités auxquelles il pourrait éventuellement prétendre du fait du licenciement irrégulier.

La cour avait constaté que les parties ne s’étaient pas exprimées sur la question et la réouverture des débats avait dès lors été ordonnée sur deux points, étant de déterminer (i) si, vu les circonstances de la cause, l’article 47, § 1er, alinéa 1er, 1°, de l’arrêté royal pouvait être interprété en ce sens qu’il ne faisait pas obligation à l’intéressée d’intenter une action contre son ex-employeur et (ii) si, dans la mesure où une réponse négative devait être apportée à cette première question, le manquement ponctuel au devoir de conseil de l’ONEm (étant que la cour avait retenu que celui-ci eut dû préciser sa position en signalant clairement à l’intéressée qu’il entendait qu’elle introduise son action quel qu’en soit le résultat) avait engendré dans le chef de celle-ci un préjudice en lien causal avec ladite faute de l’ONEm.

L’arrêt du 21 février 2020

Dans cet arrêt, rendu par un siège autrement composé, la discussion est reprise quant au cadre général du litige, étant les dispositions applicables et l’objet de la réouverture des débats.

Pour ce qui est de l’obligation visée à l’article 47 de l’arrêté royal, étant l’introduction d’une action en justice dans l’année qui suit la fin du contrat, la cour relève que ce texte ne prévoit aucune exception et qu’il n’est pas possible de l’interpréter comme n’imposant pas l’introduction d’une action en justice dans l’hypothèse où elle aurait peu de chances de succès. Est en effet sanctionné le non-respect de l’engagement d’introduire celle-ci.

La cour rappelle la doctrine qui a commenté l’arrêt du 24 mai 2019 (Q. CORDIER et Q. DETIENNE, « De quelques considérations autour des allocations de chômage provisoires », Casus de droit social, C.U.P., vol. 191, Anthémis, 2019, p. 119).

La cour souligne que l’interprétation en cause est incompatible avec le texte de l’article 47 mais qu’en outre, se poseraient d’importantes difficultés pratiques, relatives aux chances de succès et à la manière d’envisager celles-ci (via le service juridique d’une organisation syndicale ?, via l’avis d’un avocat ?, via l’avis d’un avocat spécialisé ?, obligation pour le travailleur d’obtenir une seconde opinion ?).

La cour conclut à l’obligation pour le travailleur d’introduire l’action dans le délai de prescription annal de l’article 15 de la loi du 3 juillet 1978, ce qui n’a pas été fait. La décision de l’ONEm doit dès lors être confirmée et le remboursement de la totalité des allocations est admis.

Pour ce qui est du manquement de l’ONEm à son devoir de conseil, la cour retient cependant une faute et un dommage. En effet, si l’ONEm l’avait informée avant la date-anniversaire de la cessation du contrat de travail du fait que, à défaut pour elle d’introduire l’action en contestation de la rupture, il y aurait exclusion du bénéfice des allocations provisoires à dater de la rupture, l’intéressée aurait introduit le recours, même si celui-ci avait peu de chances de succès.

La cour relève encore que l’issue de l’action est ici sans incidence, puisque l’article 47 de l’arrêté royal ne prévoit pas de sanction si une action est introduite mais qu’elle n’a pas débouché sur une condamnation de l’employeur. Il n’y a, dans cette hypothèse, pas lieu à rembourser les allocations provisoires, dans la mesure où la procédure a été entamée, ce qui amène la cour à conclure que l’intéressée ne prenait aucun risque en prenant cette action, l’obligation en cause étant une obligation de moyen. Dès lors, si elle avait été informée correctement, elle aurait introduit le recours.

Pour ce qui est du dommage, la cour considère qu’il correspond aux allocations provisoires correspondant à la période durant laquelle elle a été exclue du fait de la non-introduction du recours, ainsi qu’aux intérêts sur quatre mois d’allocations en 2014, allocations qui n’ont pas été versées. L’intéressée sollicite également des dommages et intérêts, mais est déboutée de ce chef de demande.

La cour condamne, dès lors, dans son dispositif, la travailleuse à rembourser la somme de 17.500 euros correspondant aux allocations provisoires indûment perçues pour la période en cause, mais condamne l’ONEm à lui payer des dommages et intérêts équivalents aux allocations auxquelles elle aurait pu prétendre (ainsi qu’aux intérêts sur les quatre mois de 2014).

Pour ce qui est des dépens, se pose encore une question, étant de savoir si le montant de l’indemnité de procédure d’appel doit correspondre à celui prévu pour les litiges dont l’enjeu est supérieur à 2.500 euros. La cour admet qu’il s’agit d’une demande manifestement évaluable en argent et, dès lors que l’indemnité de procédure de base pour les litiges de ce type aurait pu être appliquée, elle retient même qu’un montant de 349,80 euros aurait pu être réclamé, condamnant, cependant, l’ONEm à ce qui figure dans les conclusions, soit 262,37 euros, et ce en fonction du principe dispositif.

Intérêt de la décision

Cette affaire est, ainsi, vidée, en tout cas au niveau de la cour du travail.

Deux points importants ont été réglés par la cour, étant l’obligation de l’article 47 de l’arrêté royal organique d’introduire une procédure dans le délai de prescription annal de l’article 15 de la loi sur les contrats de travail, et ce indépendamment des chances de succès de celle-ci. La cour a relevé, d’ailleurs, que l’issue de cette procédure n’est pas réglée par l’ article 47, qui ne prévoit aucune sanction au cas où la procédure n’aboutirait pas.

Un deuxième point est relatif à l’obligation de conseil de l’ONEm, dans cette situation. La demanderesse avait en effet été exclue du droit aux allocations de chômage à partir du 30 novembre 2012, et ce jusqu’au 29 mai 2014, décision prise le 13 mars 2014. Alors que le délai d’introduction de la demande en justice n’était pas expiré, l’ONEm avait pris contact avec l’intéressée dans un courrier du 20 septembre 2013, demandant si elle avait introduit l’action en justice. Il s’agissait uniquement de s’enquérir de l’état d’avancement du dossier. La cour a retenu que constitue une faute le fait qu’il ne ressort pas de ce courrier que l’intéressée était obligée d’introduire l’action judiciaire dans le délai d’un an à dater de la rupture.


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