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Charte de l’assuré social : obligation d’information de l’assureur contre les accidents du travail

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 4 novembre 2019, R.G. 2018/AB/704

Mis en ligne le mercredi 28 octobre 2020


C. trav. Bruxelles, 4 novembre 2019, R.G. 2018/AB/704

Charte de l’assuré social : obligation d’information de l’assureur contre les accidents du travail

Par arrêt du 4 novembre 2018, la Cour du travail de Bruxelles constate l’expiration du délai d’agir aux fins de solliciter la réparation des séquelles d’un accident du travail mais retient la responsabilité de l’assureur, qui a manqué à son devoir d’information : pour la cour, il y a lieu à réparation en nature.

Les faits

Suite à un accident du travail, un ouvrier tombe en incapacité de travail pendant une courte période (six jours).

Près de trois mois plus tard, l’assureur – qui a accepté l’accident – décide de consolider sans séquelles, décision adressée par courrier simple. Vingt mois plus tard, des examens médicaux sont faits, eu égard à la survenance de douleurs à l’épaule, et l’intéressé est mis en incapacité de travail. Cette période n’est pas considérée comme imputable à l’accident du travail par l’assureur. Une intervention chirurgicale est alors pratiquée et l’assureur en est informé. Il fait savoir qu’il n’est pas en mesure de juger si l’incapacité en cause est la conséquence de l’accident.

Huit mois plus tard, l’assureur rejette le lien entre l’incapacité de travail et l’accident (celui-ci étant survenu plus de trois ans avant le début de cette nouvelle incapacité).

Cependant, quelques mois plus tard encore, l’intéressé ayant été vu par le médecin-conseil de l’assureur, la compagnie se ravise et admet une incapacité de travail pendant treize mois et demi, correspondant à la période d’incapacité survenue, ainsi, plus de trois ans après l’accident lui-même. L’assureur propose une incapacité permanente partielle de 12%. Les indemnités d’incapacité temporaire sont payées mais, pour ce qui est de l’incapacité permanente, l’assureur propose un accord-allocation d’aggravation, qui n’est pas signé par l’intéressé.

Celui-ci, entre-temps, a obtenu un rapport d’un médecin de recours, qui élargit la période d’incapacité (la faisant remonter à cinq mois avant le début admis par l’assureur) et retenant un taux d’I.P.P. de 20%, la date de consolidation restant inchangée.

La procédure

Une procédure a été initiée par l’assureur, qui a demandé, en mai 2018, de faire reconnaître son offre comme étant satisfactoire (I.T.T. de plus de treize mois et allocation d’aggravation correspondant à un taux d’I.P.P. de 12%).

Un expert a été désigné par le tribunal du travail, qui a retenu que le litige se mouvait dans le cadre d’une demande de révision. La mission de l’expert a été fixée en conséquence.

L’assureur a interjeté appel.

Les arrêts de la cour du travail

L’arrêt du 4 mars 2019

La cour a rendu un premier arrêt le 4 mars 2019, ordonnant la réouverture des débats sur certains points, notamment le respect par l’assureur de la Charte de l’assuré social et de l’arrêté royal d’exécution de celle-ci dans le secteur des accidents du travail, arrêté royal du 24 novembre 1997.

La cour s’interroge sur le respect par l’assureur de son obligation d’information quant à la possibilité pour la victime d’introduire une action en révision, dès lors qu’il a été informé de l’opération chirurgicale qui devait intervenir (celle-ci datant d’un peu moins de trois ans après l’accident). La cour rappelle dans cet arrêt que la matière est d’ordre public, renvoyant à l’article 6 de la loi du 10 avril 1971 et considérant qu’il en va de même des arrêtés d’exécution de la loi et des dispositions de la Charte.

L’arrêt du 4 novembre 2019

La position des parties

L’arrêt reprend en premier lieu la position des parties, étant que, pour l’assureur, il s’agit d’une demande fondée sur l’article 9 de l’arrêté royal du 10 décembre 1987 en matière d’allocations d’aggravation. Pour la victime, il y a lieu de fixer les séquelles de l’accident dans le cadre de l’incapacité permanente, ainsi que, de manière plus générale, du droit au paiement des indemnités, rentes et frais médicaux et paramédicaux. Sur la prescription de l’action, l’intimé considère qu’il y a eu à interruption du fait de la reconnaissance par l’assureur de l’incapacité temporaire (article 2248 du Code civil). Il dit contester la décision de guérison sans séquelles intervenue moins de trois ans avant le début de cette période.

La décision de la cour

La cour se prononce, en premier lieu, sur la position de la victime relative à la nature de son action. Elle considère que celle-ci est prescrite, en tant que telle, dans la mesure où la reconnaissance par l’assureur-loi de la longue période d’incapacité est intervenue après le délai de trois ans (même si le début de cette incapacité elle-même est intervenu avant l’écoulement du délai). Elle rappelle qu’une cause d’interruption de la prescription ne produit d’effet interruptif que pour autant qu’elle intervienne avant l’expiration du délai lui-même.

Ensuite, la cour entreprend l’examen de la demande en tant que portant sur la réparation en nature du préjudice causé par la faute de l’assureur. La faute consiste en un manquement à l’obligation d’information pesant sur lui, obligation qui figure en de termes généraux dans la Charte de l’assuré social elle-même et qui est précisée dans l’arrêté royal du 24 novembre 1997 portant exécution de certaines dispositions de celle-ci dans la matière des accidents du travail dans le secteur privé.

Elle souligne qu’avant l’entrée en vigueur de la Charte, il avait été admis que, si des discussions existent entre l’institution de sécurité sociale et la victime quant à l’indemnisation de l’accident et que la première s’abstient d’attirer l’attention de la seconde en temps utile sur le fait que ses prétentions pouvaient se prescrire, il s’agit d’une faute et celle-ci doit donner lieu à réparation (la cour cite un arrêt de la Cour de cassation du 20 juin 1997 (Cass., 20 juin 1997, J.T., 1998, p. 182)).

D’autres décisions sont intervenues, dans le cadre de l’examen des obligations visées par la Charte, retenant une faute en cas d’information inexacte, d’absence d’information quant à l’action en révision (expiration du délai, manière de procéder), alors que l’assureur était au courant de l’aggravation des séquelles.

Pour la cour, le même raisonnement peut trouver à s’appliquer à l’action qui porte sur la fixation initiale des conséquences indemnisables de l’accident. En l’espèce, tel est bien le cas et l’assureur aurait dû donner à l’intéressé d’initiative un complément d’informations, ce qu’il n’a pas fait, se bornant à le renvoyer vers sa mutuelle.

La faute étant admise, la cour examine le préjudice de l’intéressé et elle conclut que, si celui-ci avait été dûment informé en temps utile, il aurait introduit une demande d’indemnisation devant le tribunal du travail. Les conséquences de la faute sont dès lors qu’il y a eu retard dans l’introduction de la demande et que ce retard prive l’intéressé du bénéfice de l’examen d’une demande d’indemnisation.

Pour ce qui est du mode de réparation, la cour rappelle encore les principes, étant que le mode normal est la réparation du dommage en nature, mode qui ne se heurte pas à une impossibilité juridique déduite du principe de légalité. Le délai de prescription est un délai de procédure et non une condition d’octroi en elle-même.

Enfin, examinant très brièvement la demande de l’assurance, qui entend faire valoir qu’il s’agit d’une demande dans le cadre de l’arrêté royal du 10 décembre 1987, soit une aggravation après l’expiration du délai de révision, elle la considère prématurée, dans la mesure où l’indemnisation primaire des conséquences de l’accident n’a pas été réglée.

Elle désigne en conséquence un expert, avec la mission habituelle.

Intérêt de la décision

La nature de l’action a été différemment comprise par les divers intervenants. Pour la victime, il s’est agi d’une contestation d’une décision de guérison sans séquelles, soit d’une action en indemnisation des séquelles, alors que, pour le tribunal du travail, il y avait révision (vu le dépassement manifeste du délai) et, pour l’assureur, une allocation d’aggravation, étant l’allocation qui peut être versée si cette aggravation intervient après l’expiration du délai de révision.

Pour la cour, la demande est une demande en indemnisation, mais est prescrite eu égard à une faute de l’assureur.

Cet arrêt est l’occasion de souligner l’importance de l’obligation d’information d’une institution de sécurité sociale lorsqu’elle est avisée de discussions (ré)intervenues dans le cadre du règlement du dossier. La cour reprend la jurisprudence sur la question, antérieurement à l’entrée en vigueur de la Charte ou depuis celle-ci. Rappelons à cet égard le devoir d’initiative imposé par la jurisprudence en application des obligations d’information et de conseil, devoir d’initiative qui est également vu comme une obligation de proactivité.


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