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Règles de prescription du remboursement de versements effectués par le CPAS

C. trav. Bruxelles, 20 novembre 2019, R.G. 2017/AB/367

Mis en ligne le mardi 11 août 2020


Dans un arrêt rendu le 20 novembre 2019, la Cour du travail de Bruxelles rappelle le caractère d’ordre public des règles de prescription dans le cadre de la loi organique des CPAS du 8 juillet 1976 : celle-ci ne vise pas la reconnaissance que le débiteur fait du droit de celui contre lequel il prescrivait.

Les faits

Suite à une violente agression, Madame C. a été prise en charge dans une résidence, où elle est hébergée depuis 2000. Un administrateur provisoire est désigné pour gérer ses biens et par ailleurs le CPAS a accepté de prendre en charge les frais d’hébergement (ainsi qu’un argent de poche).

L’intéressée a par la suite été indemnisée par la Commission pour l’aide financière aux victimes d’actes intentionnels de violence et aux sauveteurs occasionnels, qui lui a alloué un montant de l’ordre de 62.000€.

Elle bénéficie par ailleurs d’allocations aux personnes handicapées (pour lesquelles aucune précision n’est donnée).

Le CPAS est intervenu en sa faveur jusqu’en 2013, l’administrateur provisoire effectuant des versements mensuels passés de 300€ à 500€ par mois.

À cette époque, il signale vouloir procéder à une révision générale du dossier, suite à quoi l’administrateur provisoire propose de prendre en charge l’intégralité de la facture mensuelle de la résidence, au lieu de procéder à des paiements forfaitaires inférieurs.

Le CPAS prend quelques mois plus tard une décision de récupération de la totalité des frais relatifs au séjour, depuis 2000.

En 2018, le Juge de Paix désigne deux nouveaux administrateurs de biens, l’un pour la gestion « spécifique » et l’autre pour la gestion « ordinaire » en remplacement de l’administrateur précédemment désigné.

Objet du litige

Le litige porte ainsi sur le remboursement d’un montant de l’ordre de 123.000€, étant l’intégralité des frais de séjour exposés depuis le début de l’hébergement, à majorer des intérêts judiciaires, sous déduction des montants versés.

La décision du tribunal

Le tribunal a déclaré la demande fondée à concurrence d’un montant de l’ordre de 50.000€.
Il a en effet limité l’application de l’indu dans le temps.

Le CPAS a interjeté appel de cette décision.

Les administrateurs de biens sollicitent la réformation du jugement entrepris en toutes ses dispositions, plaidant à titre subsidiaire la limitation de la somme à rembourser à un montant de l’ordre de 21.500€, dont à déduire les paiements effectués.

L’ancien administrateur étant intervenu volontairement à la cause, il est sollicité que l’arrêt à intervenir soit déclaré commun et opposable à celui-ci.

La décision de la cour

La cour examine la question posée au regard des règles relatives à la récupération de l’indu dans le cadre de la loi du 8 juillet 1976 organique des CPAS.

Celle-ci prévoit que, en cas de déclaration volontairement inexacte ou incomplète, le CPAS récupère la totalité des frais exposés quelle que soit la situation financière de l’intéressée (article 98, §1er, dernier alinéa). Lorsqu’une personne vient à disposer de ressources en vertu de droits qu’elle possédait pendant la période au cours de laquelle elle a bénéficié d’une aide, le CPAS récupère les frais de l’aide à concurrence des montants des ressources susvisées (en tenant compte des minima exonérés).

Lorsqu’est accordée une aide sociale au titre d’avance sur une pension ou une autre allocation sociale, le CPAS est subrogé de plein droit à concurrence du montant de celle-ci dans le droit aux arriérés auxquels le bénéficiaire peut prétendre. La doctrine a précisé à cet égard (J.F. NEVEN, « La révision et la récupération » in Aide sociale – intégration sociale, le droit en pratique, La Charte, 2011, p.577) que cette hypothèse est plus restrictive que la précédente, n’étant d’application qu’en cas de perception de prestations sociales. Elle suppose que la décision d’octroi de l’aide sociale mentionne expressément que cette dernière est accordée au titre d’avance. Si ces conditions ne sont pas réunies, on doit se référer aux règles ci-dessus.

En l’espèce, la cour retient qu’il ne peut être fait application de la règle prévue en cas de déclarations volontairement inexactes ou incomplètes. Par ailleurs, le caractère « volontairement incomplet » de l’information donnée par l’administrateur provisoire de l’époque n’est pas démontré.

En outre, le CPAS avait reçu en 2003 un arriéré d’allocations pour personnes handicapées, ce qui amène la cour à conclure sur ce point qu’il était au courant de l’existence de cette source de revenus. De même, il avait été informé de la procédure en obtention d’une indemnité auprès de la Commission pour l’aide financière aux victimes d’actes intentionnels de violence et aux sauveteurs occasionnels. Les conditions de l’article 98, §1er de la loi ne sont dès lors pas remplies.

Quant à l’article 99, §2, s’agissant de la question d’avance sur une autre prestation sociale (en l’occurrence les prestations aux personnes handicapées), la récupération ne peut intervenir qu’à concurrence des allocations elles-mêmes et pour une période déterminée.

La cour rappelle encore la règle de prescription, en matière de remboursement d’aide indue, la loi du 8 juillet 1976 faisant en son article 102, alinéa 1er, renvoi à l’article 2277 du Code civil. La règle de prescription est dès lors de cinq ans.

Le CPAS opposant que l’administrateur ayant interrompu cette prescription par la reconnaissance du droit, la cour souligne qu’il s’agit d’une matière d’ordre public (renvoyant ici à l’arrêt de la Cour de cassation du 28 octobre 2013 (Cass., 28 octobre 2013, S.11.0054.F) et qu’une reconnaissance d’une dette – à la supposer établie – ne pourrait avoir pour effet d’interrompre une prescription d’ordre public. Aucune disposition dans la loi organique ne le prévoit en effet (la cour renvoyant ici à un précédent arrêt de la Cour de cassation du 13 novembre 1995 (Cass., 3 novembre 1995, S.95.0050.F). Par ailleurs, sur cette question d’ordre public, la Cour d’appel de Mons a jugé que la règle selon laquelle la prescription est interrompue par la reconnaissance que le débiteur fait du droit de celui contre lequel il prescrivait n’est applicable à une prescription d’ordre public que si une disposition expresse le prévoit (Mons, 11 septembre 2003, R.G.D.C. 2004, liv. VII, 412), ce qui, pour la cour, n’est pas le cas.

Par ailleurs et - surabondamment – la cour estime que les paiements eux-mêmes ne peuvent impliquer une quelconque reconnaissance. La reconnaissance est un acte unilatéral, soit un acte volontaire - et même intentionnel - manifestant la volonté du débiteur de renoncer à se prévaloir du délai écoulé. Le paiement partiel ne constitue une telle reconnaissance que s’il est fait sur une dette certaine, liquide et exigible, c’est-à-dire déterminée ou au moins déterminable. Ceci n’est nullement le cas en l’espèce.

La cour rejette encore que l’on puisse invoquer sur le plan des modes d’interruption de la prescription l’article 1256 du Code civil, qui concerne l’imputation des paiements.

En résumé, en la matière, la prescription peut être interrompue par lettre recommandée contenant sommation ou par une sommation remise à l’assuré social contre accusé de réception. La sommation est l’instrumentum constitutif de la mise en demeure (avec renvoi à l’article de T. DELHAYE, « La mise en demeure » J.T. 2018, p. 281 & s.).

La cour s’écarte de la conclusion du tribunal en ce qui concerne le caractère de sommation du la décision du CPAS, qui n’est, pour elle, pas susceptible d’interrompre la prescription. En effet, les montants réclamés ne sont pas indiqués, de telle sorte que l’administrateur ne pouvait savoir quelle somme il eut été mis en demeure de rembourser. Par contre, a le caractère de sommation la demande en justice. C’est dès lors à partir de celle-ci que la prescription a été valablement interrompue.

En ce qui concerne les frais pouvant être récupérés, la cour rappelle l’article 97 de la loi, qui vise les paiements en espèces, le coût des aides octroyées en nature, les frais d’hospitalisation, d’hébergement ainsi que les frais calculés suivant les tarifs généraux préétablis.
Pour ce qui est de l’argent de poche, il ne fait pas partie de cette liste et ne peut dès lors être récupéré.

Intérêt de la décision

Cet arrêt contient un enseignement important en ce qui concerne les règles de prescription.

Il s’agit ici d’une matière d’ordre public et, à défaut pour la loi d’avoir prévu un mode d’interruption de la prescription spécifique, celui-ci ne peut être appliqué. Ainsi pour la reconnaissance d’une dette.

La cour a renvoyé à juste titre à l’enseignement de la Cour d’appel de Mons qui a prévu que cette règle n’est applicable à une prescription d’ordre public que si une disposition expresse le prévoit. L’on peut penser sur la question à la matière des accidents du travail, qui contient une telle disposition.

Par ailleurs, sur la question des remboursements eux-mêmes, la cour a repris les paiements et frais visés à l’article 97 de la loi organique. Elle a encore renvoyé sur cette question à un arrêt de la Cour de cassation du 23 février 2007 (Cass., 23 février 2007, C.06.0275.N), qui a jugé que cette énumération est limitative.


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