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Fin du cumul allocations de chômage et pension de retraite incomplète dans le secteur public : la Cour constitutionnelle interrogée

Trib. trav. Liège (div. Namur), 3 octobre 2019, R.G. 17/1169/A

Mis en ligne le mardi 11 août 2020


Par jugement du 3 octobre 2019, le Tribunal du travail de Liège saisit la Cour constitutionnelle d’une question préjudicielle relative à la violation de la règle de standstill contenue à l’article 23 de la Constitution par l’article 91, alinéa 1er de la loi-programme du 28 juin 2013 étant qu’actuellement il y a suspension complète de la pension de retraite en cas de perception d’une allocation de chômage, toute possibilité de cumul étant actuellement supprimée entre la pension de retraite du secteur public et les allocations.

Les faits

Madame D. perçoit des allocations de chômage depuis la fin mai 2013. Elle indique sur son document C1 qu’elle perçoit depuis le 1er mai une pension de retraite du secteur public (enseignante). Ce montant est de l’ordre de 480€ par mois.

En novembre 2013, l’ONEm lui notifie le montant de l’allocation journalière, initialement de 49,04€ et passée à 44,88€. Ceci entraîne un indu. L’ONEm effectuera encore deux notifications, sollicitant le remboursement d’un montant plus élevé.

De son côté, en février 2016, le SdPSP procède à une notification par laquelle il expose que les pensions de retraite et de survie du secteur public sont suspendes les mois calendrier au cours desquels une allocation de chômage est perçue. Des informations sont demandées et en fin de compte un indu de l’ordre de 13.000€ est réclamé.

L’ONEm prend encore une nouvelle décision par laquelle l’indu constaté est encore supérieur (de l’ordre de 3.600€).

Un recours est introduit contre cette dernière décision.

En cours de procédure le SdPSP est cité en intervention forcée.

Les deux organismes sont ainsi à la cause.

La décision du tribunal

Le tribunal a rendu un premier jugement, ordonnant dans celui-ci la réouverture des débats. Le point central du litige est en effet la question du cumul entre une pension de retraite (en l’espèce du secteur public) et les allocations de chômage.

Dans l’arrêté royal organique, la question est abordée à l’article 65, §2, qui permet au chômeur bénéficiant d’une pension incomplète ou d’une pension de survie de percevoir des allocations dans les limites de l’article 130 (s’il bénéficie d’une allocation de transition, les allocations peuvent être perçues sans application de ces limites).

Il est toutefois précisé que le chômage ne doit pas être causé par un arrêt ou une diminution du travail du fait du bénéfice de la pension ou de l’allocation de transition et que le régime sur la base duquel la pension est accordée ne peut interdire le cumul avec les allocations et ne subordonne pas le bénéfice de la pension ou son montant à des conditions limitant la disponibilité pour le marché de l’emploi.

Le tribunal constate que le cumul d’une pension du secteur public et d’allocations de chômage était autorisé par la loi du 5 avril 1994 jusqu’à sa modification par la loi-programme du 28 juin 2013 (article 91 – entré en vigueur le 1er janvier 2013).

Vu cette modification du texte, le tribunal rappelle qu’il a ordonné la réouverture des débats sur deux questions : étant d’une part l’application de l’article 91 de la loi-programme du 28 juin 2013 au bénéficiaire d’une pension de retraite, qui ouvrirait le droit à un cumul pour une période limitée (ou sur la discrimination qui pourrait en résulter vu la non-application de cette disposition au bénéficiaire d’une pension de retraite) et d’autre part sur la conformité de cette disposition avec le principe du standstill et celui de la non-rétroactivité des lois.

Le tribunal passe dès lors à l’examen de ces questions.

Après avoir constaté dans les faits qu’il n’a pas été fait application d’une mesure avec effet rétroactif, le tribunal en vient plus spécifiquement à la question de la discrimination entre bénéficiaires d’une pension de retraite et d’une pension de survie ainsi qu’à la règle du standstill.

Une question est proposée, à destination de la Cour constitutionnelle, sur la discrimination. Le tribunal la rejette, cependant, au motif que, s’il y a un traitement distinct de deux groupes considérés comme distincts, ceci n’est pas discriminatoire. Il renvoie à l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 4 juillet 1991 (C. const., 4 juillet 1991, n° 17/91), qui a examiné la comparaison des bénéficiaires de pension de retraite et de pension de survie, concluant que les deux types de pension diffèrent quant à leur objectif, quant à leur mode de financement et quant aux conditions de leur octroi.

Sur le standstill, par contre, le tribunal accueille une question préjudicielle.

Après le rappel de l’arrêt de la Cour de cassation du 5 mars 2018 (Cass., 5 mars 2018, S.16.0033.F), qui a jugé que l’obligation de standstill contenue à l’article 23 de la Constitution s’oppose à ce que le législateur et l’autorité réglementaire compétents réduisent sensiblement le niveau de protection offert par la norme applicable sans qu’existent pour ce faire des motifs liés à l’intérêt général, le tribunal considère qu’il ne peut faire l’économie d’une question à la Cour constitutionnelle s’il y a une violation potentielle de l’obligation de standstill sauf lorsqu’il y a absence manifeste de violation.

En l’occurrence, la suppression pure et simple du droit dont bénéficiait l’assuré social constitue un recul significatif. Si celui-ci n’était pas raisonnablement justifié au regard d’un objectif d’intérêt général, il serait contraire à la Constitution.

La Cour constitutionnelle est dès lors saisie, sur avis conforme de l’auditeur du travail. Lui est posée la question de savoir si l’article 91, alinéa 1er de la loi-programme du 28 juin 2013 viole l’article 23 de la Constitution et la règle de standstill qu’il contient en ce qu’était autorisé précédemment le cumul d’une pension de retraite et d’allocations de chômage alors qu’actuellement il y a suspension complète de la pension de retraite en cas de perception d’une allocation de chômage, toute possibilité de cumul étant actuellement supprimée entre la pension de retraite du secteur public et les allocations.

Intérêt de la décision

La situation examinée par le Tribunal du travail de Liège dans cette affaire est un nouveau cas d’application du principe du standstill à une modification législative venue réviser drastiquement, et ce en défaveur de l’assuré social les règles relatives à l’octroi de prestations.

La Cour constitutionnelle est dès lors saisie à juste titre.

Le tribunal a rappelé l’arrêt rendu par celle-ci le 4 juillet 1991 considérant que ne constituaient pas des groupes comparables les bénéficiaires de pension de survie (secteur public en l’espèce) et les bénéficiaires de pension de retraite.

La question ici posée ne concerne pas cette comparaison, mais porte sur la privation – sans mesure transitoire au demeurant – de la possibilité de cumul d’une pension de survie incomplète dans le secteur public avec l’octroi d’allocations de chômage. Pour le tribunal il s’agit d’un recul significatif. La question de la justification de la mesure devra trouver réponse.

Affaire à suivre donc …


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