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Allocation d’aggravation en accident du travail : conditions

Commentaire de Trib. trav. Hainaut (div. Charleroi), 2 octobre 2019, R.G. 12/1.101/A

Mis en ligne le jeudi 9 juillet 2020


Tribunal du travail du Hainaut (division Charleroi), 2 octobre 2019, R.G. 12/1.101/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 2 octobre 2019, le Tribunal du travail du Hainaut (div. Charleroi) reprend les règles dégagées par la Cour de cassation : même si l’élément déclencheur d’une aggravation des lésions consécutives un accident du travail intervient dans le cours du délai de revision, la demande d’allocation d’aggravation peut être introduite, dès lors que celle-ci a acquis son caractère définitif après l’expiration dudit délai.

Les faits

Suite à un braquage, un agent de sécurité (convoyeur de fonds) a subi un accident du travail en 1994. Les séquelles ont été consolidées pas un jugement du tribunal du travail du 10 janvier 2001, concluant sur le plan de l’I.P.P., à un taux de 12%. Le délai de revision a expiré dans les trois ans de la signification du jugement, intervenue le 2 février 2001.

En 2012, l’intéressé introduit devant le tribunal une action en aggravation. Dans son rapport, l’expert désigné conclut à l’existence d’une aggravation, qui justifierait l’octroi d’une allocation annuelle sur base d’un taux de 80%, et ce à partir du 24 juin 2009.

Le demandeur sollicite l’entérinement de l’avis de l’expert.

L’assureur conteste, pour un double motif, étant que les éléments susceptibles de conclure à l’aggravation en cause étaient déjà présents avant l’écoulement du délai fixé à l’article 72 de la loi sur les accidents du travail (délai de revision) et que le lien causal n’est pas établi.

La décision du tribunal

Le tribunal se prononce d’abord en droit, rappelant l’article 25 de la loi. Celui-ci règle la question de l’aggravation temporaire et suppose que la victime ait été reclassée – situation à laquelle sont assimilées toutes les périodes de réadaptation médicale et professionnelle.

Dès lors que l’aggravation temporaire interviendrait après le délai de revision, la loi dispose que les indemnités ne sont dues qu’en cas d’incapacité permanente de travail d’au moins 10%.

Par ailleurs l’arrêté royal du 10 décembre 1987 relatif aux allocations accordées dans le cadre de la loi sur les accidents du travail prévoit qu’une action peut être introduite en vue de faire constater l’aggravation définitive des lésions, et ce après le délai de revision mais, dans cette hypothèse, pour autant que le taux d’incapacité après aggravation soit de 10% au moins.

L’allocation d’aggravation est due même si celle-ci prend naissance pendant le délai de revision. Elle sera à indemniser à partir du moment où elle a acquis un caractère définitif après l’expiration de ce délai. C’est la jurisprudence de la cour de cassation, dans un arrêt du 12 décembre 2005 (Cass., 12 décembre 2005, n° S.040166.F).
Le tribunal rappelle la jurisprudence des cours du travail, suite à cet arrêt de la cour de cassation (dont C. trav. Mons, 5 mars 2007, R.G. 19.883 et C. trav. Liège (div. Liège), 20 mars 2017, R.G. 2016/AL/150).

Après avoir également fait un important rappel de principes des règles en matière d’expertise, la cour examine la contestation de l’assureur.

Pour la première question relative à la consolidation du taux nouveau durant le délai de revision, le tribunal aboutit à la conclusion, sur la base du rapport de l’expertise, que si l’élément à l’origine de l’action en aggravation existait dans le délai de revision, celle-ci n’était pas encore devenue définitive mais l’a été postérieurement à celui-ci.

Diverses précisions sont en effet apportées dans le rapport d’expertise quant à l’aggravation intervenue « depuis plusieurs années » mais rien ne permet de conclure au caractère définitif de celles-ci dans le délai de revision.

Par ailleurs, sur l’existence du lien causal entre l’accident et l’aggravation, c’est également le rapport d’expertise qui permet de le retenir et plus particulièrement le rapport du sapiteur neuropsychiatre. Il précise que le fait à la base de l’aggravation (alcoolisme) peut être pris en compte dans un contexte d’état de stress post-traumatique, et ce dans la mesure où il a entrainé une aggravation de l’état psychotique de l’intéressé. Il y a ainsi lien causal et le tribunal entérine le rapport de l’expert judiciaire qu’il avait désigné.

Intérêt de la décision

Le tribunal du travail tranche ici une question particulière, étant de déterminer dans quelle mesure l’aggravation des séquelles d’un accident du travail doit être sollicitée dans le cadre d’une action en revision ou dans celle (ultérieure) d’une demande en octroi d’allocation d’aggravation. La question prend tout son sens dès lors que l’aggravation est déjà constatée dans le cours du délai de revision.

Pour l’assureur, il en découle que l’action devait être introduite à ce moment-là et dans le cadre de l’article 72 de la loi.

Le tribunal rappelle l’apport important de l’arrêt de la cour de cassation à cet égard (arrêt du 12 décembre 2005). Dans cet arrêt de principe, la Cour suprême a jugé (réponse au premier moyen) que l’article 9, alinéa 1er de l’arrêté royal du 10 décembre 1987 relatif aux allocations accordées dans le cadre de la loi du 10 avril 1971 sur les accidents du travail disposant qu’une allocation d’aggravation est accordée à la victime dont l’état résultant de l’accident s’aggrave de manière définitive après l’expiration du délai de revision, pour autant que le taux d’incapacité de travail après celle-ci soit de 10% au moins, cette allocation d’aggravation est une indemnité, au sens des articles 69 et 70 de la loi (relatifs aux règles de prescription).

En application de cet arrêt de la cour de cassation, la Cour constitutionnelle a jugé dans un arrêt du 29 avril 2010 (C. const., 29 avril 2010, n° 43/2010) que l’allocation étant une indemnité due en vertu de la loi du 10 avril 1971 ou de ses arrêtés d’exécution dont la demande est soumise aux règles de prescription des articles 69 et 70 de la loi, le point de départ du délai lui-même, qui n’est pas formellement déterminé par une disposition législative, a été fixé par la Cour suprême dans un arrêt précédent du 8 février 1993 (Cass., 8 février 1993, Pas., 1993, I, n° 280). Elle y a précisé que le droit aux allocations d’aggravation nait au moment où l’état de la victime s’aggrave.

La question posée étant relative au délai de prescription, la Cour constitutionnelle a conclu que l’article 69 de la loi, dans sa mouture de l’époque, portait sans justification raisonnable une atteinte disproportionnée aux droits de la victime d’un accident du travail. La loi a dès lors été modifiée par une loi du 13 juillet 2006 sur cette question.

Pour ce qui est de la jurisprudence des cours de de travail à laquelle renvoie le jugement annoté, relevons particulièrement l’arrêt rendu par la Cour du travail de Liège (div. Liège) du 20 mars 2017 (précédemment commenté) Dans celui-ci, la cour du travail a admis précisément sur la question du point de départ de l’aggravation (en l’espèce avant l’expiration du délai de revision) que l’allocation d’aggravation peut être octroyée en cas d’aggravation déjà présente pendant le délai de revision mais qui devient définitive après la fin de celui-ci.

La cour renvoie également à un précédent arrêt de la Cour du travail de Bruxelles (C. trav. Bruxelles, 7 septembre 2009, R.G. 50.771) qui a précisé qu’il suffit que l’aggravation ait acquit son caractère définitif après le délai même si l’évolution se serait amorcée pendant celui-ci. Le juge doit dès lors vérifier si l’aggravation s’est consolidée à un moment où l’action en revision ne pouvait plus être introduite.


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